Investir à Impact : Financer l’Avenir

À la fin du mois se tiendra la sixième édition de Building Bridges. En amont de ce rendez-vous désormais incontournable autour de la finance durable, nous vous proposons cette toute première série de podcasts.

Investir à Impact : Financer l’Avenir
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En collaboration avec Building Bridges, nous vous proposons cette toute première série de podcasts, série déjà diffusée en début d'année sur le site de la manifestation et également disponible sur les meilleures plateformes audio (Apple PodcastsSpotify and YouTube).

Les échanges y étant en anglais, nous avons souhaité faire un pas en plus envers notre public francophone en traduisant en français l'ensemble des épisodes.

Ce dernier épisode parle d'investissement et plus spécifiquement de ceux ayant réellement un impact durable et significatif sur la société et la planète.

Bonne lecture ou écoute.


Des milliers de milliards de dollars circulent chaque jour sur les marchés mondiaux. Mais voici la véritable question à mille milliards : combien de ce capital contribue à créer réellement un impact durable et significatif ? Les profits et la raison d’être peuvent-ils vraiment aller de pair ? L’investissement à impact est souvent présenté comme la réponse, avec un volume total d’actifs désormais estimé à plus de 1 500 milliards de dollars dans le monde.

Mais est-ce vraiment l’avenir de la finance et l’outil pour bâtir un monde plus durable ? Et si oui, peut-il devenir la norme, non seulement pour les grandes institutions, mais aussi pour les investisseurs du quotidien ?

Dans cet épisode, nous explorons ces questions à travers trois conversations passionnantes, chacune apportant un éclairage différent sur cette transition. Bienvenue dans The Geneva Connection. Je suis Luka Biernacki. Commençons.


DIMPLE SAHNI

L’investissement à impact n’est plus un marché de niche. Mais à mesure qu’il entre dans le courant dominant, les questions se durcissent : peut-il vraiment concilier finalité et performance ? Et comment investir pour créer de la valeur à long terme dans un monde en mutation rapide ?

Dans cet épisode, nous examinons comment les capitaux se redirigent vers le climat et la nature, l’équité et les marchés émergents — et pourquoi les portefeuilles les plus résilients pourraient bien être ceux construits pour l’avenir. Nous en discutons avec Dimple Sahni, directrice générale de l’investissement multi-actifs à impact chez Anthos Fund & Asset Management.

Luka Biernacki : Bonjour Dimple, bienvenue dans le podcast. Pour poser les bases de notre échange, comment définiriez-vous l’investissement à impact aujourd’hui et pourquoi est-il de plus en plus pertinent à travers différentes classes d’actifs ?

Dimple Sahni : Bonjour, merci beaucoup de m’accueillir et bonjour à toutes celles et ceux qui écoutent ce podcast. L’investissement à impact, en termes très simples, c’est lorsque vous investissez votre argent — que ce soit dans des actions, des obligations ou de l’immobilier — en recherchant non seulement un rendement financier, donc gagner de l’argent, mais aussi un impact social ou environnemental positif.

Par exemple, investir dans de l’immobilier durable, des bâtiments verts, ou encore dans des obligations finançant le logement abordable pour aider ceux qui ne peuvent pas y accéder. Ou encore soutenir la microfinance, en accordant de petits prêts à de très petits entrepreneurs.

Luka Biernacki : Dans l’investissement à impact, existe-t-il encore une distinction claire entre les marchés publics et privés, ou bien ce type d’investissement devient-il pertinent dans tous les domaines ?

Dimple Sahni : Au départ, beaucoup de gens pensaient que l’investissement à impact ne pouvait se faire qu’à travers des placements privés, comme le capital-risque ou la dette privée. Mais cela a changé. On s’est rendu compte que, pour atteindre les objectifs mondiaux en matière de durabilité climatique ou de réduction des inégalités, il fallait mobiliser tous les types d’instruments, y compris les marchés publics — car c’est là que la plupart d’entre nous plaçons notre argent, via la bourse.

Je pense donc que chaque classe d’actifs a un rôle à jouer. Et on observe beaucoup d’innovation dans les stratégies permettant d’investir, que ce soit par le biais de votre banque, de vos comptes courants et d’épargne, ou de vos comptes d’investissement sur les marchés boursiers.

Luka Biernacki : Et lors de votre panel, nous avons entendu parler de l’investissement à impact comme outil face aux défis systémiques. Pouvez-vous nous présenter quelques modèles scalables qui font réellement la différence aujourd’hui ?

Dimple Sahni : Je pense que le climat est un sujet avec lequel la plupart des gens se sentent concernés. Nos étés deviennent de plus en plus chauds, le niveau de la mer monte, et ici en Europe, nous avons de moins en moins de neige pendant la saison de ski. C’est donc un système que beaucoup cherchent à transformer. Et cela peut passer par l’énergie, par l’eau, ou encore par la nature et la biodiversité.

Le premier conseil que je donnerais à ceux qui veulent s’essayer à l’investissement à impact, c’est : « qu’est-ce qui vous passionne ? Quels sont les enjeux qui résonnent vraiment avec vous ? » Cela peut être la justice raciale et sociale, ou bien le climat. Mais aujourd’hui, c’est clairement le climat qui concentre beaucoup d’attention, d’argent et de changements politiques.

Un exemple auquel beaucoup pensent, c’est le solaire et les énergies renouvelables. Des entreprises installent des panneaux solaires sur leurs toits, des particuliers s’équipent de compteurs intelligents pour gérer leur chauffage, et les gouvernements distribuent des subventions afin que chaque pays produise de l’électricité solaire pour alimenter le réseau. C’est un bon exemple de la manière dont les institutions publiques et privées s’attaquent ensemble à la question des énergies renouvelables, afin de sortir du pétrole et du charbon, et de pouvoir vivre différemment, de façon plus intelligente et durable.

Luka Biernacki : Il existe un mythe tenace selon lequel investir à impact signifie sacrifier ses rendements. D’après votre expérience, comment les performances des investissements alignés sur l’impact se comparent-elles aux autres ?

Dimple Sahni : Je suis ravie que vous posiez cette question, car je suis avant tout une investisseuse. Bien sûr, il y a de la place pour la philanthropie ou pour des rendements concessionnels. Mais je pense personnellement que l’on peut obtenir des rendements commerciaux comparables à ceux de n’importe quel autre type d’investissement.

Cela me paraît logique : si vous investissez dans des entreprises dont les actions ou les obligations sont conçues pour l’adaptation au climat, qui disposent d’équipes diverses, d’une bonne gouvernance, et qui investissent dans de grands marchés émergents comme l’Inde, l’Amérique latine ou l’Afrique, ces entreprises sont mieux armées pour résister à l’épreuve du temps.

À l’inverse, celles qui ignorent ces marchés, ces stratégies, ces techniques de gestion des risques deviendront ce qu’on appelle des actifs échoués (« stranded assets ») : elles seront laissées pour compte, car elles ne sont pas construites pour l’avenir. Si vous raisonnez ainsi, il est tout simplement logique d’investir votre argent dans ce sens.

La clé, selon moi, c’est d’avoir une perspective de long terme. Si vous voulez gagner de l’argent rapidement, vous pouvez miser sur la volatilité, les cryptos, la tech, ou encore les « Magnificent Seven ». Mais ces titres montent un jour et baissent le lendemain. En revanche, si vous adoptez une vision de long terme — disons que vous avez 22 ans et investissez pour vos 30 ou 40 ans —, alors investir selon cette logique est une excellente façon de faire fructifier votre argent décennie après décennie.

Luka Biernacki : Comment mesurer concrètement l’impact ? Est-ce difficile ? Quels sont aujourd’hui les outils ou cadres les plus efficaces pour évaluer à la fois la performance financière et non financière ?

Dimple Sahni : La réponse est oui : c’est très difficile à mesurer, mais cela devient de plus en plus simple et précis. La bonne nouvelle, c’est que l’on s’est rendu compte qu’en plus d’investir, il fallait mesurer l’impact, car sinon, comment le prouver ? On a donc vu apparaître de nombreuses bases de données, outils et logiciels qui extraient automatiquement des informations des terminaux Bloomberg, Reuters, ou encore des bilans et rapports annuels des entreprises, pour ensuite les présenter sous une forme exploitable.

Les actionnaires, les régulateurs et les consommateurs exigent désormais de plus en plus que les entreprises rendent compte de leurs performances durables. Quand vous achetez un produit en magasin, par exemple, certaines étiquettes indiquent aujourd’hui l’empreinte climatique du T-shirt que vous achetez, ou si les grains de café sont issus du commerce équitable. Les données existent, il s’agit surtout de les agréger et de les rendre accessibles.

L’avantage, c’est que la technologie, les bases de données et les outils font ce travail — vous n’avez plus besoin de tout mesurer vous-même. Et je pense que le domaine de la mesure d’impact évolue : on ne se contente plus de capturer des outputs (par exemple, en éducation, combien d’enfants sont à l’école), mais on s’intéresse aux outcomes : qu’apprennent-ils réellement ? On se tourne vers des indicateurs standardisés, comme les scores PISA, qui permettent de comparer le niveau d’un élève de 15 ans au Kenya avec celui d’un élève au Royaume-Uni. Cela devient donc plus scientifique, plus précis, plus fondé sur des preuves — et cela renforce l’intégrité des données.

Comme l’a rappelé récemment Sir Ronald Cohen, on évolue aussi vers des pratiques d’audit et d’assurance d’impact. L’idée est d’aller au-delà de l’auto-déclaration des entreprises, en impliquant un tiers indépendant qui vienne vérifier : « Cet impact est-il réel ? Correspond-il à ce que vous aviez annoncé et à l’endroit où vous l’avez réalisé ? » Cela permet de prévenir le greenwashing.

Ainsi, un investisseur pourra dire : « En plaçant mon argent dans cette entreprise, j’obtiens tel type de données d’impact, mais peut-être que mon argent est mieux utilisé ailleurs, parce que l’impact par euro ou par franc suisse y est plus fort. » Nous avançons donc vers des benchmarks d’impact, permettant non seulement de comparer, mais aussi de se concentrer sur les résultats concrets.

Luka Biernacki : Parlons de collaboration. Cela semble être un élément clé pour développer l’investissement à impact à grande échelle. Quel rôle jouent les partenariats ? Et pourriez-vous partager un exemple de collaboration qui a réellement bien fonctionné ?

Dimple Sahni : Absolument. Pour nous, le Saint Graal, ce sont toujours les partenariats public-privé — c’est pourquoi un événement comme Building Bridges est si important. D’un côté, vous avez les organisations multilatérales comme les Nations unies, qui disposent d’une présence mondiale, de grands départements de recherche, de mécanismes de garantie et de relations sur le terrain.

De l’autre, vous avez le secteur privé — des entreprises comme celle pour laquelle je travaille, un cabinet d’investissement familial — qui peut être beaucoup plus agile, car moins réglementé que la plupart des caisses de pension, moins bureaucratique et plus entrepreneurial. Et enfin, il y a les entrepreneurs eux-mêmes. À chaque étape de la chaîne de valeur — entreprises, investisseurs, pays dans lesquels on investit — tout le monde doit partager la même étoile polaire, le même objectif.

Ce type de collaboration est absolument essentiel, car sans approche systémique, on n’est pas en phase. La main gauche ignore ce que fait la main droite, et vous essayez de développer un business dans un pays qui, lui, ne favorise pas ce succès. Il est aussi fondamental de ne pas avancer seul. La société pour laquelle je travaille est une structure d’investissement fermée, réservée à une seule famille depuis 100 ans. Nous venons de nous ouvrir à d’autres familles souhaitant co-investir et apprendre, car c’est intimidant : par où commencer ? Comment faire ? Quels sont les risques ?

Je pense donc que plus les gens partagent et investissent ensemble — que ce soit dans un club d’investissement entre amis, comme j’ai moi-même commencé à le faire à l’université, ou de façon plus professionnelle avec des co-investisseurs partageant la même vision — plus c’est sûr. Vous mutualisez la due diligence, la recherche, vous partagez les risques… mais aussi les gains. Et surtout, vous n’avez plus le sentiment d’avancer seul.

Luka Biernacki : Et en regardant vers l’avenir, comment voyez-vous évoluer l’investissement à impact, notamment à mesure qu’il devient plus grand public et que la nouvelle génération d’investisseurs prend le relais ?

Dimple Sahni : Eh bien, je dois dire que j’espère qu’un jour, des podcasts comme celui-ci n’existeront plus… parce qu’on ne parlera plus de l’investissement à impact comme d’une stratégie à part. Vous m’interviewerez sur CNBC ou la BBC tout simplement parce que ce sera devenu la manière normale de penser des marchés, tant tout sera interconnecté. Je vois donc une convergence se produire. Je vois une généralisation de l’approche. Et je pense que les gens finiront par considérer l’investissement à impact comme une façon de réduire les risques, plutôt que d’en prendre davantage.

Et comme nous le savons tous, avec les élections de cette année, le paradigme du pouvoir mondial est en train de changer. On voit de plus en plus d’influence venir du Sud global, des continents comme l’Afrique, de pays comme l’Inde et la Chine. Chacun a un rôle à jouer. Si vous n’intégrez pas ces marchés et n’adoptez pas une vision globale, en tenant compte des interdépendances, vous ne pouvez pas investir en vase clos, uniquement pour résoudre les problèmes du « premier monde » dans des entreprises du « premier monde » qui perpétuent le modèle hérité.

Et pour être honnête, la nouvelle génération d’investisseurs, c’est ainsi qu’elle veut investir. Quand elle prendra le contrôle des comptes bancaires, des family offices, quand elle deviendra PDG ou membre de conseils d’administration, c’est ce qu’elle exigera. Car pour cette génération, cette façon de penser est intuitive.

Luka Biernacki : Dimple, merci beaucoup.


YUKO TAKANO

Comment les investisseurs peuvent-ils distinguer le vrai du faux dans un paysage saturé de promesses de durabilité et d’attentes croissantes ? Dans ce segment, nous plongeons au cœur de la transparence, des données et des stratégies, et nous explorons ce qu’il faut pour rendre l’impact mesurable, significatif et crédible. Pour cette conversation, nous accueillons Yuko Takano, directrice principale des investissements chez Pictet Asset Management.

Luka Biernacki : Bonjour Yuko. Bienvenue dans notre podcast. La transparence et la responsabilité sont des éléments clés de l’investissement à impact. Comment s’assurer que les résultats déclarés soient exacts et que les données reflètent réellement ce qui se passe sur le terrain ?

Yuko Takano : C’est un thème qui traverse non seulement l’investissement à impact, mais l’investissement en général. Mais je suis ravie de constater qu’il y a eu énormément de progrès au cours des sept à huit dernières années, notamment grâce à une meilleure réglementation en matière de transparence, en particulier en Europe.

De ce fait, le type de données disponibles s’est considérablement amélioré. Par exemple, les entreprises publient beaucoup plus d’informations sur leurs émissions de scope 1, 2 et 3. Il existe aussi de nouveaux cadres et objectifs comme le SBTi, qui obligent les entreprises à être beaucoup plus transparentes dans leurs données par rapport à il y a dix ans. À l’époque, beaucoup de ces structures n’existaient tout simplement pas.

Donc, même si le travail n’est pas terminé, nous disposons aujourd’hui de données beaucoup plus concrètes, en particulier sur l’environnement. Et sur la gouvernance également, la transparence a beaucoup progressé. Je pense que le domaine qui nécessiterait encore davantage de données et de reporting est sans doute le social, mais c’est aussi, comme on peut l’imaginer, le plus difficile à mesurer.

Luka Biernacki : Lorsque vous évaluez un investissement, quels sont les critères clés qui vous permettent de déterminer si une entreprise est réellement alignée sur des objectifs d’impact durable ?

Yuko Takano : C’est une question vraiment intéressante, et je pense que la réponse dépend beaucoup du type de fonds que l’on gère — qu’ils soient passifs ou actifs. Pour ma part, je gère un portefeuille actif et concentré. Nous n’imposons pas d’objectifs de manière descendante (top-down). Certains fonds le font, mais je trouve cela extrêmement difficile avec un portefeuille concentré d’une quarantaine à une cinquantaine de titres. Notre approche est donc ascendante (bottom-up), titre par titre.

Quand nous définissons des objectifs et des critères, nous analysons les fondamentaux de l’entreprise et nous regardons quels types de KPI sont réalistes et réellement porteurs d’impact. Prenons l’exemple d’une institution financière, un secteur très orienté services. On doit réfléchir aux différents impacts qu’elle peut avoir. Mais est-il pertinent de se concentrer sur son impact environnemental direct ? Probablement pas, car il est relativement marginal par rapport à d’autres enjeux essentiels, comme les projets qu’elle finance.

Ainsi, lorsque nous commençons à investir dans une entreprise, nous réalisons une analyse de matérialité pour ce secteur et cette société en particulier, afin d’identifier les enjeux les plus saillants, les plus importants. Puis, à partir de là, nous définissons les KPI pertinents.

Luka Biernacki : Vous avez mentionné l’importance des analyses de matérialité dans le choix des KPI. Comment déterminez-vous le niveau de précision nécessaire pour ces indicateurs, en particulier lorsqu’il s’agit de comparer des secteurs très différents ?

Yuko Takano : Eh bien, quand vous parlez de niveau de précision, j’imagine que vous faites référence à la fiabilité des données. Je pense qu’il y a deux façons de les considérer : celles qui sont générées par l’entreprise elle-même et celles qui proviennent de tiers, donc validées de manière indépendante. Tout dépend ensuite des KPI que l’on définit. Nous nous appuyons sur les deux. Et lorsque les données viennent directement de l’entreprise, nous lui demandons quelle en est la source. Parfois, nous procédons à des vérifications croisées pour confirmer la validité de ces informations. C’est donc une approche très au cas par cas.

Luka Biernacki : Parlons technologie. Quel rôle jouent l’IA, le big data et d’autres innovations dans l’analyse et le reporting des performances en matière de durabilité ?

Yuko Takano : Pour l’impact investing en particulier, je trouve encore difficile d’identifier des cas d’usage très précis. Mais de manière générale, dans la gestion d’actifs et dans la recherche, nous avons commencé à exploiter beaucoup plus de sources de données différentes, et à utiliser la puissance de l’IA.

Par exemple, nous sommes actuellement en train de développer notre propre assistant de recherche interne. En parallèle, il existe de nombreux fournisseurs externes qui proposent déjà leurs propres solutions, s’appuyant sur des sources variées : études, bases de données, états financiers des entreprises, etc. De ce point de vue, la phase de recherche préliminaire et de collecte des données n’est pas forcément devenue plus simple, mais elle est devenue beaucoup plus efficace pour nous.

Luka Biernacki : En prenant un peu de recul, quels changements structurels ou politiques pourraient accélérer la généralisation de l’investissement à impact, à travers les différentes régions et classes d’actifs ?

Yuko Takano : Il y a un point fondamental à souligner concernant l’investissement à impact : tant que l’on parle bien d’investissement, qu’on gère un fonds et qu’on a une obligation fiduciaire envers ses clients, il faut rester fidèle à cette mission première, à savoir générer de meilleurs rendements que son indice de référence.

C’est là qu’il existe beaucoup de malentendus autour de l’impact investing. Certains pensent, à tort, que l’investissement à impact rime forcément avec rendements plus faibles, parce qu’ils confondent l’intention de l’investisseur avec celle du philanthrope. Mais si un investisseur agit dans l’unique but « d’aider » une entreprise à lever du capital, alors il n’est plus investisseur, il est philanthrope. Et tant que vous gérez de l’argent provenant d’investisseurs externes et que vous vous présentez comme un fonds, vous avez une responsabilité claire : générer un retour sur investissement.

Cette perception erronée constitue d’ailleurs un vrai frein à l’essor de l’investissement à impact. Elle doit absolument changer. Comme nous l’avons évoqué en profondeur lors du panel à Building Bridges, si l’on veut que l’impact investing et l’investissement durable aient du sens — à la fois en termes de performance financière et de durabilité — il faut convaincre les investisseurs que c’est un levier pour obtenir des rendements positifs par rapport au benchmark.

Sinon, soyons clairs : les investisseurs, et notamment les clients qui confient leur argent à des caisses de pension, ne trouveraient pas responsable de sacrifier les rendements uniquement « pour la durabilité ». Et je ne pense pas qu’aucun investisseur sérieux ne fasse ce choix en réalité. Mais la perception persiste. C’est donc à nous, en tant que gérants de portefeuille, de démontrer que ce n’est pas le cas.

Luka Biernacki : Vous avez évoqué les idées fausses autour de l’investissement à impact et du devoir fiduciaire. Qu’est-ce qui doit changer pour que davantage d’investisseurs perçoivent l’impact non pas comme une concession, mais comme un avantage compétitif ?

Yuko Takano : Je ne dirais pas que cela n’existe pas déjà. Je pense qu’il s’agit d’une tendance de fond, qui évolue depuis longtemps. Mais si l’on regarde les flux de capitaux dans l’investissement durable ou à impact, on constate des hauts et des bas. On peut citer la période autour de 2019 jusqu’à l’après-COVID, où beaucoup d’argent est allé vers ces fonds. Puis 2022 a été une sorte d’année de vérité, où ces fonds n’ont pas affiché de très bonnes performances, entraînant des retraits importants du marché.

Il faut aussi tenir compte du contexte politique dans certains pays. D’un côté, on insiste — et à juste titre — sur le devoir fiduciaire. Mais de l’autre, la question est devenue tellement politisée que certains présentent l’ESG comme une « menace ». Cela explique aussi ces fluctuations dans les tendances d’investissement durable et à impact.

Mais derrière tout cela, je pense qu’il y a beaucoup d’innovations technologiques en cours, notamment sur l’environnement. Et si l’on regarde aussi les politiques publiques, même aux États-Unis, l’Inflation Reduction Act a permis le lancement de nombreux projets dans les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique. On voit donc qu’il y a bel et bien des changements politiques et une dynamique d’innovation.

Au fond, la vraie question n’est pas de savoir si l’innovation ou les politiques accéléreront la généralisation de l’impact investing. Pour moi, tout repose sur la perception des investisseurs, comme nous l’avons évoqué plus tôt.

Luka Biernacki : Yuko, merci beaucoup


KOSTIS TSELENIS

Comment la mesure de l’impact devient un véritable avantage stratégique et comment les fonds de capital-risque naviguent dans un paysage politique et financier en pleine évolution. Notre dernier invité est Kostis Tselenis, Managing Partner chez Swiss Impact Office.

Luka Biernacki : Les fonds de capital-risque accordent une importance croissante à la durabilité. Comment développent-ils et mettent-ils en œuvre des stratégies axées sur l’impact dans leur approche d’investissement ?

Kostis Tselenis : En principe, lorsqu’ils se concentrent sur la durabilité, les acteurs du capital-risque ne se contentent pas d’intégrer quelques critères d’impact. Ils construisent toute leur stratégie autour de cet objectif. Cela va bien au-delà de la fixation de certains buts spécifiques ou de l’application de filtres négatifs. Selon leur stratégie d’investissement, ils s’alignent directement sur certains Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies. C’est donc un double mandat : performance financière et performance d’impact — même si certains fonds ne portent pas explicitement l’étiquette de « fonds à impact ».

On trouve déjà de nombreux exemples de fonds de capital-risque qui, sans se présenter comme des fonds d’impact à proprement parler, contribuent pourtant à des objectifs environnementaux et sociaux. C’est également l’orientation que nous adoptons chez Swiss Impact Office : nous nous concentrons sur des entreprises en phase de croissance, combinant fortes performances financières et fort potentiel d’impact.

Luka Biernacki : Les start-up qui s’attaquent aux défis climatiques et sociaux font face à la fois à des opportunités et à des obstacles. Comment les fonds de capital-risque peuvent-ils les aider à changer d’échelle, et pas seulement à survivre ?

Kostis Tselenis : Je pense que les plus grandes opportunités dans le capital-risque se situent aujourd’hui à l’intersection entre technologie et durabilité. Traditionnellement, les fonds de VC sont très orientés technologie. Or, si nous voulons relever à temps les défis sociaux et environnementaux — et la notion de temps est essentielle —, nous avons besoin de solutions très innovantes. Les technologies sont l’un des outils les plus puissants dont nous disposons pour atteindre ces objectifs. Mais elles doivent être correctement financées.

Un bon exemple est l’IA : on voit à quelle vitesse les offres se développent et transforment notre façon de travailler et d’opérer. Par définition, les technologies peuvent induire un changement systémique — et c’est exactement ce dont nous avons besoin : des solutions et innovations capables de bâtir la nouvelle économie. Mais cela ne suffit pas. Financer ces technologies au départ est crucial, mais il faut ensuite les faire grandir. Pour la phase de scale-up, il faut des capitaux additionnels, qu’ils soient early stage ou growth, au-delà du financement initial.

Et au-delà du capital, il est absolument nécessaire que les venture capitalists apportent aussi des ressources supplémentaires : ouvrir leurs réseaux, trouver l’expertise adaptée, faciliter des partenariats stratégiques, préparer les entreprises aux tours suivants. Cela inclut attirer des investisseurs stratégiques ou corporate capables d’accélérer rapidement la commercialisation. Sans cette étape de scalabilité, l’impact des solutions, même financées, reste nul. Il faut une commercialisation large et massive. Or, certains fonds de VC, notamment sur les marchés périphériques, n’ont pas toujours les compétences ou les réseaux pour cela.

C’est pourquoi, au-delà du financement, il faut une approche pratique, active et engagée de la part des investisseurs en capital-risque, si l’on veut vraiment relever les défis environnementaux. Sinon, nous n’aurons pas de résultats substantiels.

Luka Biernacki : Vous avez mentionné la technologie comme moteur clé. Quels sont, selon vous, les secteurs qui offrent aujourd’hui le plus fort potentiel pour des investissements à impact en capital-risque ?

Kostis Tselenis : Avec le capital-risque, on peut aborder différents thèmes. C’est un spectre très large. Mais quand on introduit le paramètre des enjeux les plus urgents auxquels nous faisons face actuellement, on se retrouve assez vite dans les thématiques sur lesquelles nous nous concentrons également. Tout d’abord, il y a les technologies climatiques, les innovations dans la capture du carbone, soit par des solutions basées sur la nature comme nous le faisons, soit par des technologies de captage du carbone, et bien sûr le stockage de l’énergie. Ces deux thèmes sont soumis à l’énorme pression de la décarbonation.

Et bien sûr, il y a la poussée de nouvelles industries, de nouvelles avancées technologiques, comme encore une fois les centres de données liés à l’IA. Nous avons besoin de beaucoup d’énergie, donc le stockage de l’énergie sera déterminant. Les solutions en matière d’énergies renouvelables vont également jouer un rôle déterminant dans l’avancée de la tendance des centres de données.

L’alimentation et l’agriculture durables, incontestablement. La sécurité alimentaire est l’un des enjeux les plus pressants aujourd’hui. Et de l’autre côté, les solutions liées à l’économie circulaire. Par exemple, comment s’attaquer au problème du plastique ? Avec des alternatives au plastique, par exemple. On revient donc à la technologie. Les solutions de gestion des déchets. Ce sont des thèmes cruciaux actuellement, et c’est pourquoi ils sont prioritaires.

Je n’ai même pas besoin de mentionner tout le spectre de l’économie bleue. Nous estimons qu’il y a là un potentiel énorme. Et comme nous parlons toujours de thématiques environnementales, dans le contexte de la transition juste, nous voyons apparaître de plus en plus d’innovations et d’entreprises innovantes dans le domaine social. Les solutions pour la santé mentale, par exemple, sont très en vogue actuellement.

Donc, un spectre large : c’est aussi l’un des avantages de l’investissement à impact, n’est-ce pas ? C’est très diversifié, mais on peut faire beaucoup. Mais je pense que ces quatre domaines seraient ceux que nous prioriserions en matière d’investissements en capital-risque, et ce sont aussi ceux où les marchés présentent le plus grand potentiel de croissance.

Luka Biernacki : Comment conciliez-vous les rendements financiers avec des résultats sociaux ou environnementaux mesurables ?

Kostis Tselenis : Eh bien, en principe, vous n’avez pas besoin de les « équilibrer ». Vous devez simplement veiller à les intégrer à la même échelle. Malheureusement, le mot « équilibre » évoque, pour un large public d’investisseurs, l’idée de compromis. Et nous voulons communiquer au marché qu’il n’y a plus nécessairement de compromis, n’est-ce pas ?

Sur le plan financier, c’est très clair : le succès des investissements se mesure à la vitesse de croissance de l’entreprise. Ainsi, la croissance du chiffre d’affaires est un indicateur. Le taux de rendement interne réel du portefeuille, la performance, la performance financière du portefeuille, les sorties réussies et leurs multiples respectifs. C’est donc la partie la plus simple. Mais encore une fois, nous voulons montrer comment la dimension « impact » influence aussi la performance financière. Nous devrions cesser de regarder uniquement la performance financière en tant que telle. Il s’agit toujours d’un profil risque-rendement pour un investissement.

Et nous avons prouvé à plusieurs reprises, en particulier ces cinq ou six dernières années, que la méthodologie d’impact, la dimension « impact », est le mécanisme parfait de réduction du risque pour un investissement potentiel. Si vous avez un investissement totalement aligné sur les enjeux environnementaux et sociaux, alors, par définition, il a un profil de risque faible. Ainsi, nous estimons qu’un portefeuille de « vieille économie » en est un bon exemple : pour nous, un portefeuille de vieille économie est aujourd’hui extrêmement risqué, car il est lié à des processus. Il est lié à des entreprises dont les produits ou services ne sont pas alignés avec l’environnement et la société. Et par conséquent, elles en paieront le prix, soit à cause de la réglementation, soit à cause de leur réputation, comme nous disons. Ainsi, la composante impact peut influencer de manière substantielle le profil risque-rendement d’un investissement.

Maintenant, du côté de la mesure de l’impact, cela peut être un peu plus difficile. C’est très clair. Il existe des cadres internationaux, également issus d’organisations privées, qui tentent de fournir des orientations sur la façon de mesurer l’impact. Je pense qu’ils sont de bons points de départ, mais je ne crois pas qu’un investisseur puisse appliquer ces cadres à chaque portefeuille et obtenir les résultats souhaités, parce que, comme je l’ai dit plus tôt, la thématique est très large. Le spectre est très large. On ne peut pas avoir les mêmes indicateurs pour une technologie de stockage solaire et pour une technologie liée à la santé mentale.

Il y a certains indicateurs communs, surtout pour tout ce qui touche aux profils carbone. La création d’emplois en est un très bon exemple. Ce sont les plus simples. Ce que nous faisons, et ce que nous suggérons également aux autres investisseurs, en particulier dans le capital-risque, c’est de développer des indicateurs spécifiques à l’entreprise, puis spécifiques au secteur, puis au portefeuille, afin de pouvoir avoir une forme de comparaison.

Ainsi, la partie mesure de l’impact est un exercice qui doit être abordé avec plus de soin. C’est essentiel. Beaucoup d’investisseurs disent : si vous ne pouvez pas le mesurer, alors l’impact n’existe pas. Mais la mesure ne consiste pas seulement à communiquer quelque chose pour pouvoir apposer votre étiquette « impact » sur votre fonds ou votre stratégie d’investissement. C’est un formidable exercice d’analyse approfondie de votre portefeuille. Et encore une fois, je le relie à ce que j’ai dit auparavant sur la réduction des risques du portefeuille.

C’est donc comme revisiter fréquemment le portefeuille et identifier les risques potentiels en réalisant cet exercice de mesure d’impact. Nous pensons donc que c’est essentiel et que cela renvoie également à la performance financière. Maintenant, idéalement, les capital-risqueurs devraient aussi inclure des mécanismes pour relier les objectifs d’impact à leur propre performance et à leur propre rémunération.

C’est quelque chose que la communauté de l’impact demande de plus en plus. Cela permettrait d’ajouter aussi la dimension d’additionnalité et de matérialité que nous utilisons au Swiss Impact Office. Par exemple, nous devons avoir un impact substantiel. Sinon, l’investissement pourrait potentiellement ne pas être qualifié, même si les indicateurs financiers sont présents et que le potentiel financier existe. Et l’additionnalité signifie que les objectifs d’impact doivent être directement liés à l’investissement lui-même.

Luka Biernacki : Bonne transition vers ma prochaine question. Quelles tendances ou quels obstacles voyez-vous dans l’intégration d’un plus grand intérêt du capital-risque traditionnel pour les investissements à impact ?

Kostis Tselenis : Bon, c’est une question difficile. Je pense qu’il y a deux façons d’y répondre. La première, c’est que cela se fait tout seul. Nous n’avons pas nécessairement besoin de forcer les choses, surtout si les technologies à impact répondent à des enjeux actuels. Je vais citer ici un investisseur avec qui nous avons récemment échangé : il investit dans des technologies d’efficacité des réseaux électriques, une stratégie purement orientée impact.

Mais il ne l’étiquette même pas comme une stratégie d’impact, car il dit : « Écoutez, nous devons le faire. Cela concerne la stabilité des réseaux. » Donc nous investissons dans des technologies efficaces et impactantes pour les réseaux afin d’obtenir, comme je l’ai dit précédemment, de meilleurs résultats, une meilleure performance financière. Donc je pense que, d’un côté, cela se fait automatiquement : les investisseurs traditionnels s’engagent sur cette voie parce que c’est ce que la nouvelle économie nous pousse à faire.

De l’autre côté, je pense qu’il y a potentiellement une mauvaise perception de ce qu’est l’investissement à impact, surtout dans la communauté mainstream. Il y a aussi une confusion au sein même de la communauté impact à propos des définitions. Nous avons encore beaucoup de définitions et d’approches différentes, et dans une certaine mesure c’est positif, car cela nous permet de mobiliser différents flux de capitaux vers un objectif commun.

Mais je pense que cette mauvaise perception est aussi liée à la désinformation et au manque de formation, et nous devons combler ces lacunes. Nous devons éduquer les investisseurs sur ce qu’est l’investissement à impact. Ce n’est plus seulement l’entreprise sociale en Afrique. Cela peut être aussi un investissement en clean tech en Allemagne avec un TRI de 25 %. C’est, selon moi, l’un des aspects qui freinent l’afflux de capitaux provenant des investisseurs traditionnels.

La réglementation pourrait être un autre obstacle, mais aussi une opportunité. Elle peut servir de levier. Elle peut stimuler l’investissement à impact. Nous l’avons vu en Europe : la réglementation peut être un moteur de croissance dans certaines industries. Mais si elle est trop complexe, trop « sur-réglementée», elle peut créer de la confusion. Et là, on entend un investisseur mainstream dire : « Nous n’allons pas dans la direction de la durabilité, c’est trop compliqué, le cadre réglementaire est un peu confus. » Dans ce cas, c’est un frein pour investir. Je pense donc qu’il faut trouver le juste équilibre. Autrement dit, avoir une réglementation qui déclenche de nouvelles tendances d’investissement, mais qui ne devienne pas trop compliquée ni trop confuse pour les investisseurs.

Le dernier point que je pourrais mentionner, c’est la nature à long terme des investissements à impact. C’est un marché nouveau. Certains fonds de capital-risque sont traditionnellement habitués à des périodes d’investissement plus courtes avec des multiples très élevés. Donc des sorties plus rapides, en principe. Ici, cela peut être les deux. On peut avoir des sorties opportunistes plus rapides, car le marché réclame une solution. Donc on peut la faire monter en puissance rapidement. Mais d’un autre côté, la plupart des investissements sont de nature long terme.

Et si les investisseurs privés, eux, peuvent fournir du capital plus patient, ce n’est pas nécessairement le cas des venture capitalists. Cela peut donc ralentir l’afflux de capitaux dans une certaine mesure. Et je pense qu’il existe un moyen de résoudre ce problème. Nous pouvons utiliser des approches de finance mixte (blended finance) pour rendre ce type d’investissements un peu plus attractifs pour les investisseurs traditionnels.

Par exemple, du capital de première perte en utilisant du capital philanthropique pour réduire le risque des portefeuilles ; du capital catalytique, du capital provenant d’institutions financières de développement (DFI), qui peuvent jouer un rôle substantiel. Nous croyons au rôle de ces capitaux « plus souples » pour faire progresser la méthodologie d’impact et mobiliser davantage de capitaux dans la bonne direction.

Mais je pense que, globalement, le capital-risque à impact n’est plus un marché de niche. C’est quelque chose que nous voyons de plus en plus. Il y a des gestionnaires d’actifs établis qui ont lancé des stratégies de durabilité. Et peu importe qu’ils les appellent impact ou qu’ils les labellisent impact. Au bout du compte, leurs portefeuilles ont un impact très élevé. Donc je pense que cela change, et que cela évolue.

La question est : à quelle vitesse cela évolue-t-il ? Nous avons besoin de quelques milliers de milliards chaque année, pendant les dix prochaines années, pour atteindre les Objectifs de développement durable des Nations Unies. Et nous en sommes encore un peu loin.

Luka Biernacki : Pouvez-vous partager un exemple concret où un investissement en capital-risque orienté impact a conduit à un changement systémique, et expliquer ce qui a fait son succès ?

Kostis Tselenis : je suis très tenté de mentionner des gestionnaires de fonds très spécifiques et très performants. Nous en avons financé quelques-uns par le passé, mais je me suis dit que je ne pourrais probablement pas tous les citer. Je vais donc donner un exemple de technologies dans lesquelles j’ai été impliqué, ou de stratégies de capital-risque auxquelles j’ai participé il y a quelques années.

Nous avions lancé, il y a presque 20 ans, une stratégie d’investissement dans la technologie solaire, très pionnière et, je dirais, visionnaire, avec Good Energies. En principe, nous avons réalisé les premiers investissements professionnels dans la technologie solaire. Et je pense que nous avons aussi montré la voie à d’autres investisseurs, en prouvant que c’était la direction à prendre. L’objectif était d’investir dans ces technologies pour nous permettre de passer des combustibles fossiles aux énergies renouvelables.

C’était un territoire complètement nouveau à l’époque. Il n’y avait en principe pas de marché, mais nous avons réussi à faire baisser le coût de la technologie solaire. Et cela a permis à ces solutions de devenir évolutives. Cela a jeté les bases du marché des infrastructures d’énergies renouvelables tel que nous le connaissons aujourd’hui. Et nous savons que ce marché prospère et que c’est la voie d’avenir. Donc c'est un exemple formidable de changement systémique, n’est-ce pas ? Nous avons rendu les installations solaires « mainstream » en réduisant les coûts technologiques et nous avons permis le développement d’un marché énergétique complètement différent.

Je pense qu’un changement systémique similaire se produit aujourd’hui avec les solutions d’efficacité énergétique, par exemple dans les LED intelligentes, avec le stockage de l’énergie, avec l’optimisation des réseaux. Je pense donc que ce type de solutions peut être catalyseur pour atteindre les grands objectifs environnementaux et sociaux mondiaux que nous nous sommes fixés à long terme.

Luka Biernacki : Enfin, si l’on se tourne vers l’avenir, quels changements ou quelles tendances émergentes, selon vous, définiront l’avenir de l’investissement à impact dans le capital-risque ?

Kostis Tselenis : Je pense que, tout d’abord, le capital-risque — non lié à l’impact, n’est-ce pas ? — s’est établi au cours des dix dernières années comme une véritable classe d’actifs auprès des banques et des institutions financières, et j’en suis heureux. Il y a 15 ans, on n’aurait pas trouvé le capital-risque dans le portefeuille de gestion d’actifs d’une banque privée, par exemple. Cela a changé.

En ce qui concerne l’impact, nous progressons — et bien sûr cela dépend toujours de la manière dont on le définit — mais nous en sommes encore à 1 ou 2 % du marché mondial des investissements. Avec 2 %, nous ne pourrons pas accomplir grand-chose. Il faut donc davantage de capitaux. Et cela nous ramène à la discussion précédente : comment inspirer le capital traditionnel ?

Une manière d’y parvenir serait de changer le récit, de modifier la manière dont nous présentons l’investissement à impact, de transformer le type d’arguments que nous utilisons face aux investisseurs. Je pense que nous avons beaucoup insisté — et c’était peut-être nécessaire au départ — sur les bénéfices environnementaux et sociaux de ces investissements.

Nous avons ainsi inspiré une communauté forte, notamment les investisseurs privés et la nouvelle génération. Mais à présent, nous devons aussi convaincre le reste de la communauté financière. Et pour cela, nous devons avancer des critères de performance financière très précis. Il s’agit donc d’éduquer sur ce qu’est l’investissement à impact, comme nous l’avons dit, mais aussi de présenter des études de cas. Et il y a aujourd’hui de nombreux cas exemplaires.

Entre-temps, nous avons des licornes. Entre-temps, nous avons des opérations d’impact dans lesquelles nous avons investi il y a dix ans, qui sont aujourd’hui des entreprises cotées en bourse et qui performent très bien. Donc nous avons des exemples. Malheureusement, au sein de la communauté impact, nous manquons encore d’experts en investissement capables de parler le langage et le jargon financier — que je n’ai pas utilisé aujourd’hui, ou du moins essayé de ne pas utiliser. Mais je pense que c’est essentiel.

Nous devons changer la manière dont nous présentons cette méthodologie. Et si nous faisons cela, rien ne pourra nous arrêter. Mais il faut encore accélérer. Je vais donner un exemple de ce qui se passe actuellement aux États-Unis. Beaucoup disaient que, avec le changement d’administration, le segment de la durabilité allait peut-être ralentir. Je ne le pense pas forcément. Nous avons eu de nombreuses discussions avec d’autres investisseurs aux États-Unis, et je ne crois pas que les fonds orientés technologies durables et capital-risque vont ralentir d’aucune manière.

Donc si nous nous concentrons sur de bons investissements à l’avenir, et si nous sommes capables de mettre en avant des exemples, de grands exemples — des licornes, des sorties réussies — alors nous pourrons inspirer davantage de capitaux à aller dans cette direction. Sinon, cela restera lent. Les progrès ont été très lents au cours des 20 dernières années.

Je ne m’y attendais pas moi-même. J’ai commencé il y a 20 ans, et j’imaginais une courbe de croissance beaucoup plus abrupte. Mais je pense que l’opportunité n’est pas perdue. Il faut simplement faire plus. Nous avons besoin de plus d’experts. Nous avons besoin de plus d’histoires. Nous avons besoin de plus d’études de cas. Nous avons besoin de plus de sorties réussies.

Luka Biernacki : Kostis, merci beaucoup.


Merci de votre écoute. La grande conclusion ? L’impact n’est plus une niche. C’est un changement de paradigme dans la façon dont le capital est alloué, mesuré et développé pour relever les défis les plus pressants du monde.

Et pour nous, c’est la fin de la première saison de The Geneva Connection, réalisée en collaboration avec Building Bridges. Nous reviendrons bientôt avec la saison deux : une nouvelle saison, un nouveau sujet et de nouveaux partenaires qui façonnent l’avenir de la finance, des affaires et de la durabilité. D’ici là, souvenez-vous : chaque investissement est un vote pour le monde que vous voulez voir.

Alors continuez à remettre en question le statu quo, continuez à créer des liens, et continuez à construire des ponts. À bientôt, depuis Genève.

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