« Le gaz naturel ne constitue qu’une solution à court terme »

Entretien avec Stéphane Maret, directeur général des FMV.

« Le gaz naturel ne constitue qu’une solution à court terme »
Stéphane Maret, directeur général des FMV.

Dans une interview accordée début décembre au « Tages-Anzeiger », Christoph Brand, directeur général du groupe Axpo, a mis en garde la Suisse contre le risque sérieux de pénuries d'énergie durant l'hiver.

Pour étayer ses propos, le directeur a évoqué le cas du 6 novembre 2024, une journée qualifiée de « sombre accalmie », c’est-à-dire sans soleil ni vent pour alimenter les panneaux photovoltaïques et les éoliennes. « Alors que toutes les centrales électriques d’Allemagne fonctionnaient à pleine capacité et que les lignes d’importation étaient saturées, la demande a tout juste été satisfaite. Imaginez si cela s’était produit par une froide journée d’hiver : les lumières se seraient éteintes », a-t-il affirmé.

En cette période où le Conseil fédéral semble prêt à rouvrir la porte du nucléaire en Suisse, avec son récent contre-projet visant à modifier la loi sur l’énergie nucléaire, l’avenir énergétique du pays est au centre des préoccupations. Mais bien avant toute relance du nucléaire, c’est le gaz qui semble recueillir la majorité des suffrages.

Depuis le début du mois de janvier, nous nous intéressons à la réémergence de cette source d'énergie dans les esprits. On en parle aujourd'hui avec Stéphane Maret, directeur général des FMV.

Partagez-vous l'analyse de Christoph Brand sur le risque sérieux de pénurie future d’électricité en Suisse ?

Evidemment. Si la situation s’est détendue d’un point de vue conjoncturel avec de meilleures disponibilités en termes de production et un marché moins volatil, la situation n’a pas fondamentalement changé sur le long terme. En Suisse, le déficit de production hivernale reste un défi à la fois chronique et structurel.

À l’avenir, notre pays devra importer davantage d’électricité des pays voisins durant le semestre d’hiver, comme l’a révélé une vaste étude réalisée par l’AES en 2022 (travail mis à jour en début d'année). Selon les scénarios envisagés, la dépendance aux importations hivernales augmentera, passant de 3 TWh aujourd’hui à 7 voire 9 TWh, ce qui représente entre 19 % et 22 % des besoins hivernaux. À titre de comparaison, cela équivaut à trois à quatre fois la production annuelle de la Grande Dixence.

Rappelons également qu’à partir de 2025, les États membres de l’Union européenne seront tenus de réserver au moins 70 % de la capacité de leurs infrastructures de réseau au commerce intérieur de l’Union. Le risque que les capacités d’importation et d’exportation de la Suisse soient fortement réduites est donc réel.

La Confédération et les acteurs de la branche de l’énergie le disent : la Suisse fait face à un problème structurel d’approvisionnement en hiver.

Que faudrait-il faire pour réduire ce risque au minimum ? 

Pour réduire le risque de pénurie d’électricité, il est essentiel de s’aligner sur la vision de la Confédération concernant la transition énergétique à l’horizon 2050 et la sécurité d’approvisionnement. Des initiatives telles que le Solarexpress, le Windexpress et les grands projets hydroélectriques à accumulation sont prévus pour répondre à ce déficit, toujours actuel, de la production hivernale d’électricité.

Ces trois types d’énergies renouvelables disposent chacun d’un potentiel d’environ 2 TWh annuellement. Ils représentent une solution à court et moyen terme, en complément aux initiatives visant à améliorer l’efficacité énergétique et à intensifier le développement massif de toutes les énergies renouvelables, dans le cadre de la transition progressive vers une sortie du nucléaire.

Votre confrère plaide en faveur de nouvelles centrales à gaz pour éviter tout risque de pénurie, quelle est votre position sur ce dossier ?

La Confédération et les acteurs de la branche de l’énergie le disent : la Suisse fait face à un problème structurel d’approvisionnement en hiver. Une crise pourrait survenir, exacerbée par des facteurs tels qu’une météo froide, un faible niveau de remplissage des barrages, des indisponibilités dans le parc nucléaire français, ou encore des réserves de gaz insuffisantes en Europe.

Combinés, ces éléments pourraient produire une pénurie d’électricité et entraîner une flambée des prix de l’énergie. Dans cette perspective, les centrales à gaz constituent une assurance à court terme mais en aucun cas une solution à long terme. Le gaz naturel peut néanmoins jouer un rôle crucial pour relever les défis énergétiques des cinq prochaines années.

D’ici là, les énergies renouvelables doivent faire l’objet d’un développement massif. Les bases légales, telles que le Solarexpress ou la nouvelle loi sur l’électricité (Mantelerlass), doivent être mises en œuvre de manière résolue et rapide. Dans ce contexte, certains paramètres tels que les délais fixés dans le Solarexpress doivent être adaptés afin que l'objectif de 2 TWh/an d'électricité issue du photovoltaïque alpin d'ici 2030, dont la moitié en hiver, puisse être atteint.

Dépendre en partie du gaz, c’est dépendre aussi de la bonne volonté de l’Europe de nous le fournir. Ne faudrait-il pas enfin traiter de la problématique du stockage ?

Le gaz naturel représente une forme d’assurance face aux risques immédiats de pénurie ces prochains hivers. Quant à la problématique du stockage, c’est un véritable enjeu. Une piste est actuellement explorée en Suisse par les acteurs du secteur gazier. Les premiers résultats des forages exploratoires, menés par Gaznat en 2021 près d’Oberwald, en Valais, pour évaluer la faisabilité d’un stockage saisonnier de gaz en cavités rocheuses, ont été jugés prometteurs.

Le projet prévoit un volume énergétique de 1,2 TWh. Sa réalisation favoriserait le développement de la technologie Power-to-Gas en Suisse. Cette innovation permettrait, à terme, de convertir l’électricité excédentaire produite en été par les centrales hydrauliques, photovoltaïques et les parcs éoliens en hydrogène ou en gaz de synthèse pour une consommation hivernale.

Les premiers résultats des forages exploratoires, menés par Gaznat en 2021 près d’Oberwald, en Valais, pour évaluer la faisabilité d’un stockage saisonnier de gaz en cavités rocheuses, ont été jugés prometteurs.

Dans le mix énergétique visé par la Suisse, plutôt que de parier sur le gaz, ne faudrait-il pas investir plus fortement dans l’hydrogène ?

La vision d’un mix énergétique à long terme est définie par la Stratégie énergétique 2050 de la Confédération. Mettant l’accent sur les énergies renouvelables indigènes, notamment l’hydroélectricité, le solaire, l’éolien et la biomasse, elle constitue une véritable feuille de route pour guider la transition énergétique. L’utilisation de gaz naturel pour produire de l’électricité est une solution utile à très court terme mais à bannir à moyen terme.

Actuellement, l’hydrogène est principalement utilisé pour répondre aux besoins de la grande industrie. Cependant, il pourrait jouer un rôle très intéressant, voire devenir un pilier de l’approvisionnement énergétique, grâce à sa flexibilité en tant qu’agent énergétique. En convertissant l’électricité en énergie chimique via la technologie Power-to-X, l’hydrogène peut être utilisé dans tous les domaines de la production d’énergie, dans l’industrie ainsi que pour le chauffage.

Le projet de stockage de gaz en cavités rocheuses mentionné précédemment s’intègre pleinement dans cette vision stratégique. Cependant, du point de vue suisse, l’hydrogène sera majoritairement importé. La stratégie en matière d’hydrogène récemment publiée par le Conseil fédéral doit donc être élaborée en tenant compte de l’ensemble du système énergétique national.

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