« Performance financière et transition climatique peuvent coexister durablement »

« Si l’étiquette qualifiant notre métier pourrait encore changer, l’objectif premier, lui, reste inchangé : garantir la durabilité des investissements dans le temps », explique Soliane Varlet, gestionnaire de fonds chez Mirova (affiliée à Natixis IM)

« Performance financière et transition climatique peuvent coexister durablement »
Soliane Varlet, gestionnaire de fonds chez Mirova (affiliée à Natixis IM).

Vers la mi-mai, une étude réalisée dans le cadre du VSV-ASG Investment Pulse 2025 révélait que seuls 15 % des gérants de fortune indépendants suisses appliquaient systématiquement les critères ESG depuis le début de l’année — contre 20 % en 2024 et 25 % en 2023.

Ce recul n’est pas inédit. Et dans le contexte politique actuel — notamment en Amérique du Nord — il pourrait bien se poursuivre dans les mois à venir. Le monde de la finance a-t-il déjà tourné la page ? A-t-il renoncé à atteindre certains objectifs de durabilité ? Nous en parlons avec Soliane Varlet, gestionnaire de fonds chez Mirova (affiliée à Natixis Investment Managers).

Il y a un an, en Suisse, de nombreux fonds dits « durables » ont été épinglés pour avoir investi des dizaines de milliards de dollars dans certaines des industries les plus polluantes de la planète — sans pour autant enfreindre la réglementation. Qu’est-ce qu’un fonds durable, au juste ?

À l’échelle internationale, il n’existe pas encore de définition harmonisée du terme « durable » appliqué aux fonds d’investissement. Certaines juridictions privilégient une approche axée sur la transition, tandis que d’autres ne retiennent que la notion d’impact.

Une option — celle que nous avons choisie pour nos propres fonds — consiste à orienter les investissements en priorité vers des acteurs qui apportent une contribution positive aux enjeux du développement durable. Cette approche repose sur plusieurs standards minimaux :

  • L’exclusion des activités néfastes (énergies fossiles, tabac, jeux d’argent, etc.)
  • La gestion rigoureuse des risques ESG, notamment par l’analyse des controverses
  • La réduction de l’univers d’investissement afin d’éviter les effets négatifs, tout en assurant une exposition ciblée à des contributions positives
  • Une transparence élevée dans la méthodologie, pour limiter les risques de greenwashing
La rigidité de certaines réglementations ou labels peut parfois s’avérer contre-productive.

Le problème semble venir des règles du jeu. Comment les adapter pour assurer l’émergence de fonds vraiment durables — et garantir aux épargnants qu’ils ne détiennent pas, à leur insu, des énergies fossiles dans leur portefeuille ?

Si l’on considère qu’il est essentiel que tous les acteurs respectent les mêmes règles du jeu, il nous semble tout aussi fondamental de préserver une certaine flexibilité pour les gestionnaires d’actifs. En effet, la rigidité de certaines réglementations ou labels peut parfois s’avérer contre-productive.

Nous soutenons, par exemple, l’exclusion des entreprises dont les modèles économiques sont fortement exposés aux énergies fossiles, à condition qu’elles ne disposent pas d’une trajectoire de transition crédible. Les perspectives de croissance de ces acteurs sont, dans bien des cas, incompatibles avec les objectifs internationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

En revanche, une faible exposition résiduelle peut être tolérée — à condition que l’entreprise concernée déploie des efforts tangibles pour opérer sa transition vers des sources d’énergie renouvelables. Pour cela, il est indispensable d’analyser :

  • Sa stratégie d’investissement et de développement
  • L’allocation de ses CAPEX vers des actifs renouvelables
  • La mise en place d’objectifs de décarbonation clairs et ambitieux
  • La réduction effective de ses émissions
  • L’évolution historique de son exposition aux énergies fossiles

Ces éléments permettent d’évaluer la crédibilité de son plan de transition — ce qui nous semble aujourd’hui plus déterminant pour la décarbonation de l’économie réelle qu’une politique d’exclusion stricte, fondée uniquement sur le seuil d’exposition.

Les critères ESG sont de plus en plus critiqués. Faites-vous partie de ceux qui appellent à leur révision ?

Ce qui peut effectivement être remis en question, c’est le manque d’homogénéité et de standardisation des indicateurs ESG. Nous considérons que l’intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance apporte une réelle valeur — tant en matière d’impact que de performance — à condition qu’elle soit mise en perspective et intégrée à l’analyse fondamentale de l’entreprise. Leur utilisation nous permet d’acquérir une connaissance fine de l’entreprise, de son modèle, et de ses impacts réels.

Cela dit, ces indicateurs n’ont de sens que s’ils sont cohérents avec le modèle économique de l’entreprise. Les efforts réglementaires récents — notamment via la directive CSRD — ont permis de renforcer la standardisation des publications extra-financières, ce qui constitue une avancée importante pour garantir la comparabilité entre entreprises.

Cependant, le revers de la médaille est que ces indicateurs, bien qu’unifiés, ne sont pas toujours les plus pertinents pour évaluer l’impact effectif d’une entreprise. Une approche qualitative et contextualisée reste donc indispensable pour en tirer une analyse utile.

Les retraits actuels traduisent surtout les difficultés pour les grands acteurs à s’engager de manière cohérente sur l’ensemble de leurs actifs tout en répondant à des exigences client parfois contradictoires.

Plus globalement, avec le retrait des plus grandes banques de la « Net Zero Asset Managers Initiative », peut-on parler d’un blues de la finance verte ?

Comme de nombreux gestionnaires d’actifs, nous évoluons dans un environnement juridique complexe et en constante mutation — notamment aux États-Unis. Ces derniers mois, des pressions considérables ont été exercées contre les initiatives d’engagement collaboratif, telles que « Climate Action 100+ » (CA100+), « Net-Zero Insurance Alliance » (NZIA) ou « GFANZ » (Glasgow Financial Alliance for Net Zero).

Au-delà d’un simple sentiment de désillusion vis-à-vis de la finance verte, ces retraits reflètent des préoccupations légitimes : crainte d’actions légales de la part des autorités, ou tensions avec certains clients. Ils traduisent surtout les difficultés pour les grands acteurs à s’engager de manière cohérente sur l’ensemble de leurs actifs tout en répondant à des exigences client parfois contradictoires.

Pour notre part, nous restons convaincus que l’adhésion à ces initiatives n’est pas incompatible avec la responsabilité fiduciaire du gestionnaire d’actifs. Nous entendons maintenir — voire renforcer — notre participation et notre activité de plaidoyer. Et si la défiance envers les approches ESG devait perdurer, nous y voyons une opportunité : celle d’apporter la preuve concrète que performance financière et transition climatique peuvent coexister durablement.

Le mot « durabilité » a-t-il encore un sens dans le monde de la finance ?

Le débat autour des termes comme « finance verte », « finance durable », « finance à impact » ou encore « finance de transition » est loin d’être clos, et continuera probablement à évoluer à mesure que le marché se structure.
Comme nous parlions autrefois d’investissement éthique, puis d’investissement socialement responsable, il est possible que l’étiquette qui qualifie notre métier continue à changer. En revanche, l’objectif premier, lui, reste inchangé : garantir la durabilité des investissements dans le temps.

Si l’on revient à la définition première de la durabilité, il s’agit de la capacité à maintenir un équilibre dans le temps, en répondant aux besoins actuels sans compromettre ceux des générations futures. L’enjeu, aujourd’hui, est d’adopter une approche thématique dans la génération d’idées d’investissement, et de soutenir des entreprises qui apportent des réponses concrètes aux grandes transitions de notre époque : démographique, environnementale, technologique, ou encore liée à la gouvernance.

Atteindre l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050 repose en grande partie sur le déploiement massif de solutions climatiques — notamment via les technologies d’énergie propre. Que l’on parle de finance ESG, verte, responsable ou durable, le nom importe moins que l’engagement concret à faire face à des risques désormais systémiques : changement climatique, érosion de la biodiversité, croissance des inégalités.

Ces risques représentent une menace directe pour la stabilité de nos économies et la pérennité de nos sociétés. Aussi légitime soit-il, le débat sur les mots ne doit pas faire oublier l’essentiel : intégrer les enjeux de durabilité dans la gestion d’un portefeuille est aujourd’hui une nécessité.

Investir via un fonds permet à l’investisseur de diversifier à la fois ses expositions et ses impacts.

Quelles sont, selon vous, les meilleures recommandations pour investir de manière réellement durable aujourd’hui ? Faut-il privilégier un fonds ou opter pour un investissement direct dans des actifs spécifiques ?

Il existe aujourd’hui une solution d’investissement durable adaptée à chaque type d’investisseur. Tout dépend des objectifs personnels en matière de risque et de rendement, du montant investi, ainsi que des contraintes spécifiques — qu’elles soient géographiques, fiscales ou réglementaires.

Ce que nous souhaitons souligner, c’est qu’investir via un fonds permet à l’investisseur de diversifier à la fois ses expositions et ses impacts. Certaines solutions ciblent des actifs liés à des thématiques concrètes : les technologies climatiques, l’économie circulaire, la gestion durable de l’eau, la santé publique ou encore l’éducation.

Un fonds bien structuré permet non seulement de répartir le risque, mais aussi d’agir collectivement : en votant aux Assemblées Générales, les investisseurs peuvent influencer les décisions des entreprises en faveur des objectifs de développement durable.

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