Chaque mois, nous interrogeons différents secteurs et professions sur des thématiques spécifiques.
Pour ce mois de novembre, nous sommes aller toquer à la porte des promoteurs et grands groupes immobiliers pour avoir leur point de vue sur une thématique particulièrement sensible ces jours à Berne : celle des subventions destinées à l'assainissement des bâtiments.
Les réponses de Nicolas Rebier, Senior Project Manager Real Estate Consulting chez Wincasa
Un groupe d’experts nommé par le Conseil Fédéral propose de réduire drastiquement les subventions pour l'assainissement des bâtiments. Comment accueillez-vous cette idée ?
L'octroi de subventions est l'une des composantes de la stratégie de réduction des émissions de CO2 à l'échelle nationale. Le risque est bien sûr que la réduction des subventions casse l'élan national et rende encore plus compliquée la prise de décision des propriétaires immobiliers. À l'instar de la fiscalité des entreprises, la stabilité et la prévisibilité des mécanismes d'accompagnement à moyen et long terme sont nécessaires pour la planification stratégique des propriétaires.
Moins de financements incitatifs pourraient donc entraîner une baisse significative du nombre de projets de rénovation énergétique. Les propriétaires pourraient être moins enclins à investir dans des améliorations énergétiques si les subventions sont réduites ou supprimées.
Réduire drastiquement les subventions serait en outre un mauvais signal donné à la population, au moment même où la stratégie doit être renforcée pour espérer atteindre les objectifs ambitieux et nécessaires de réduction continue de notre consommation d’énergie par habitant. A fortiori pour les biens immobiliers à usage privé, pour lesquels les incitations sont plus significatives que pour les objets d'investissement (mesures à valeur ajoutée et possibilité de répercuter les coûts).
À Berne, les autorités devraient plutôt envisager un redéploiement de ces aides, si elles estiment qu'elles ne portent pas leurs fruits, ou trouver des alternatives aux subventions, comme par exemple des taxes pour les bâtiments les moins durables.
Je ne voudrais pas manquer l'occasion de mentionner ici que ce sont, entre autres, les défis du droit de la location qui freinent les mesures de rénovation.
À Berne, les autorités devraient plutôt envisager un redéploiement de ces aides, si elles estiment qu'elles ne portent pas leurs fruits.
Les experts argumentent que la plupart des solutions pour assainir sont déjà rentables et que, dans ce cas, les subventions ne font plus sens. Cet argument vous semble-t-il valable ?
La question de la rentabilité des projets d'assainissement est cruciale, car elle pèse malheureusement plus que la conscience environnementale dans la majorité des décisions de rénovation énergétique. Dans le domaine de l'investissement immobilier, nous distinguons trois cas distincts.
- Tout d'abord, les projets de rénovation énergétique pour lesquels la rentabilité peut être démontrée et permet une prise de décision rapide de la part des propriétaires. Les régions concernées sont principalement les villes et agglomérations dans lesquelles les augmentations de loyers sont possibles.
- Ensuite, les projets pour lesquels les augmentations de loyer envisageables sont moindres, et les avantages d'une rénovation énergétique sur le maintien de la valeur du bien immobilier à moyen et long terme sont moins évidents aux yeux des propriétaires. Il n'est en effet pas toujours facile de convaincre les propriétaires que les bâtiments non rénovés pourraient voir leur valeur diminuer comparativement aux bâtiments écoénergétiques.
- Et pour finir, il y a les régions dans lesquelles les augmentations de loyer sont quasi impossibles, en dehors des centres urbains ou dans les villes où la réglementation les empêche.
Nous pouvons affirmer que même dans les cas favorables, peu de propriétaires sont d'avis ou conscients que les solutions pour assainir sont rentables ou intéressantes en termes de maintien de la valeur à long terme. Il n'est pas étonnant que le cabinet de conseil Wüest Partner ait constaté, dans une étude publiée récemment, que la rentabilité des rénovations énergétiques en Suisse n'était assurée que dans quelques endroits.
Supprimer les aides ne facilitera pas la prise de décision. Au vu de l'urgence climatique, l'argument de la rentabilité ne se tient donc pas.
Quant aux propriétaires privés, une suppression de subventions entraînerait une diminution de l'accessibilité financière pour certaines personnes, en particulier celles avec des revenus plus faibles.
Sans ces subventions, faut-il redouter une forte hausse de la facture pour les locataires ?
Sans subvention, dans le cas de biens de rendement, les investissements seront répercutés plus fortement sur les loyers nets, là où les propriétaires ont la possibilité de le faire. Les locataires bénéficieraient quant à eux d'une baisse de leur facture énergétique. La relation entre loyers nets et bruts doit être examinée.
En cas de non-rénovation faute de subvention, ces mêmes locataires resteraient livrés, comme ils le sont aujourd'hui, au risque de hausse des coûts des énergies fossiles et des taxations dans les années à venir. À cela s'ajoute le désagrément en termes de qualité de vie, de confort et d'image de ne pas louer un bien rénové.
Sans subvention, dans le cas de biens de rendement, les investissements seront répercutés plus fortement sur les loyers nets, là où les propriétaires ont la possibilité de le faire.
Est-ce que cela pourrait mettre en péril les objectifs de neutralité carbone de 2050 de la Suisse ?
Tout frein à la prise de décision rapide des propriétaires visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à augmenter l'efficacité énergétique des bâtiments contribue à retarder les objectifs de neutralité carbone de la Suisse.
Moins de financement peut également limiter l'innovation dans les technologies de rénovation énergétique, ce qui pourrait ralentir le développement de nouvelles solutions plus efficaces et durables.
Un autre effet serait également le renforcement des inégalités régionales. Les régions dans lesquelles les taux de vacance sont plus élevés pourraient être davantage touchées que d'autres, exacerbant les inégalités entre les régions urbaines et rurales en matière d'efficacité énergétique des bâtiments.
Mais d'autres sujets entrent également en compte dans l'atteinte des objectifs de neutralité carbone, comme les alternatives à ces subventions, les alternatives de production d'énergie, les habitudes de consommation ou les influences géopolitiques.
En tant que propriétaires, quels seraient les autres obstacles subsistant pour atteindre cette neutralité carbone ?
Le manque d'information sur l'état réel des bâtiments, sur les possibilités de réduction de consommation, ainsi que sur les coûts et la rentabilité des investissements est un obstacle à la prise de décision. Le manque de structuration dans la démarche de planification stratégique en est un autre. Nos équipes du service Consulting & Sustainability ont justement pour mission de répondre à ces besoins de clarification et de conseil.
Dans le secteur très concurrentiel des biens commerciaux, la crainte de perdre des locataires en cas d'augmentation des loyers constitue aussi un frein.
De manière générale, les propriétaires de portefeuilles immobiliers font face aux défis de l'allocation des budgets de rénovation énergétique et de la disponibilité des ressources internes et externes pour conduire plusieurs projets en parallèle, ce qui entraîne souvent des reports et un échelonnement de ces projets.