Dans un nouveau rapport intitulé « Global Tipping Points », les scientifiques estiment que la fenêtre d’action pour prévenir certains basculements dommageables et irréversibles se referme rapidement.
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Basculements climatiques : un risque systémique bien réel, mais encore évitable
Dans un nouveau rapport intitulé « Global Tipping Points », les scientifiques estiment que la fenêtre d’action pour prévenir certains basculements dommageables et irréversibles se referme rapidement.
Dirigé par le professeur Tim Lenton de l'Institut des systèmes mondiaux de l'Université d'Exeter, un nouveau rapport intitulé « Global Tipping Points » dresse un état des lieux alarmant de la planète. @Pexels/Canva
D’ici quelques heures, la COP30 fermera ses portes à Belém, au Brésil. Si les conclusions de ce nouveau sommet international restent incertaines au moment d'écrire ces lignes, elles pourraient bien ne pas répondre à l’urgence climatique actuelle. Dix ans après les accords de Paris, la réalité est que la trajectoire définie dans la capitale française n’est plus vraiment en phase avec la situation internationale. Prenez les États-Unis, première puissance mondiale, dont le président qualifiait récemment le réchauffement climatique de « plus grande arnaque jamais perpétrée contre le monde ».
Rédigé par 160 scientifiques issus de 87 institutions réparties dans 23 pays, un nouveau rapport intitulé « Global Tipping Points » dresse un état des lieux alarmant de la planète et des points de bascule susceptibles de rendre la vie sur Terre bien plus difficile pour ses habitants — toutes espèces confondues — dans les décennies à venir. « Leur franchissement réduirait la capacité de la Terre à faire face aux perturbations humaines », indique cette étude dirigée par le professeur Tim Lenton de l'Institut des systèmes mondiaux de l'Université d'Exeter, en collaboration avec le WWF et d’autres partenaires. « Chaque dixième de degré supplémentaire accroît le risque de déclencher des points de bascule catastrophiques », rappelle Thomas Häusler, responsable de projets internationaux pour WWF Suisse, dans un communiqué.
Mais si, d’après les scientifiques, la fenêtre d’action pour prévenir certains basculements dommageables et irréversibles se referme rapidement, tout n’est pas perdu pour autant. Le rapport présente également une série de « points de bascules positifs » permettant encore d’éviter le pire. On vous en résume l’essentiel en quelques points clés.
1️⃣
Des risques sérieux de basculement: Le réchauffement climatique, qui atteint désormais près de 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels, a déjà poussé certaines composantes du système terrestre au-delà de seuils critiques. L’étude l’illustre notamment à travers l’exemple des coraux : « Avec un réchauffement global de 1,4 °C, les récifs coralliens d’eau chaude franchissent leur seuil thermique et connaissent un dépérissement sans précédent, compromettant les moyens de subsistance de centaines de millions de personnes qui en dépendent », indiquent les chercheurs.
De même, certaines parties des calottes glaciaires polaires pourraient avoir déjà dépassé des points de basculement susceptibles d’entraîner une élévation irréversible du niveau des mers de plusieurs mètres, avec des conséquences majeures pour les populations humaines et les espèces vivant dans les zones côtières. C’est d’ailleurs l’un des aspects les plus préoccupants du rapport : l’interconnexion entre la plupart des vingt points de bascule évalués. Lorsqu’un élément franchit un seuil critique, il peut en effet déclencher un effet domino — le plus souvent déstabilisateur — sur d’autres composantes du système climatique, les poussant à franchir à leur tour leur propre point de bascule.
2️⃣
Réduire au minimum le dépassement de 1,5 °C : « Ce qui importe vraiment pour prévenir les points de bascule climatiques, c’est jusqu’à quel niveau et pendant combien de temps la température mondiale augmente », écrivent les scientifiques. Chaque fraction de degré supplémentaire au-dessus de 1,5 °C accroît en effet la probabilité de franchir plusieurs seuils critiques, notamment la désertification progressive de la forêt amazonienne ou la fonte irréversible des glaciers de montagne.
De nouvelles inquiétudes portent également sur certains courants océaniques et atmosphériques. « Les modélisations récentes indiquent que la circulation méridienne de retournement de l’Atlantique (AMOC) ainsi que la convection profonde du gyre subpolaire (SPG) pourraient présenter des points de bascule », précisent les auteurs du rapport, tout en soulignant que « le nombre limité de modèles et d’observations rend l’évaluation de leur probabilité encore incertaine ».
Si ces scénarios venaient à se confirmer, ils pourraient accélérer encore davantage le changement climatique et déclencher des effets en cascade sur les systèmes alimentaires, hydriques et sanitaires. Et puisque nombre de ces processus s’annoncent irréversibles à l’échelle humaine, attendre une certitude totale avant d’agir serait particulièrement risqué.
Les parties du système terrestre identifiées comme présentant des points de bascule. @Global Tipping Points
3️⃣
Accélérer la décarbonisation : Pour éviter une succession de points de basculement catastrophiques, la priorité reste inchangée : diviser par deux les émissions mondiales de gaz à effet de serre d’ici 2030, atteindre la neutralité carbone en 2050, puis éliminer les excédents de carbone encore émis par les activités humaines dans l’atmosphère. « Cela exige une accélération sans précédent de la décarbonation, une réduction rapide des émissions de méthane et d’autres polluants climatiques à courte durée de vie, ainsi qu’une montée en puissance rapide et durable des méthodes d’élimination du carbone atmosphérique », précise l’étude.
Tout retard dans la mise en œuvre de ces mesures d’atténuation réduit la probabilité de retrouver des températures plus sûres au cours de ce siècle. « Si nous dépassons temporairement la limite de 1,5 °C — un phénomène appelé overshoot — il est essentiel que ce dépassement soit le plus faible et le plus court possible, afin de réduire le risque de points de bascule catastrophiques », rappelle le WWF dans un communiqué.
4️⃣
L’importance d’agir localement : « Seule une combinaison d’actions politiques résolues et d’engagements de la société civile nous permettra de détourner le monde des seuils critiques qui menacent son existence », affirme Tim Lenton, professeur à l’Institut Global Systems de l’Université d’Exeter, qui insiste sur la nécessité d’actions locales. Il évoque notamment le cas de l’Amazonie, où l’arrêt de la déforestation et la protection des droits fonciers des populations autochtones permettent de réduire le risque de dépérissement forestier à grande échelle.
Concernant les récifs coralliens, la mise en place de politiques visant à limiter la surpêche, la pollution et le ruissellement des nutriments côtiers pourrait aider ces écosystèmes à survivre à de courtes périodes de chaleur extrême. La multiplication de telles mesures locales permettrait de gagner un temps précieux, renforçant ainsi la résilience des écosystèmes face aux changements climatiques.
5️⃣
Appel à une justice climatique : L’an dernier, à Bakou en Azerbaïdjan, les 200 nations présentes s’étaient accordées sur un triplement du soutien financier aux pays en développement, afin d’atteindre 300 milliards de dollars par an d’ici 2035. Car aujourd’hui, un constat s’impose : ces régions du monde sont parmi les plus touchées par le réchauffement climatique. « La réalité est alarmante : tous les pays peuvent être touchés par le changement climatique, mais ce défi est le plus grave pour les pays les plus pauvres du monde », déclarait Axel van Trotsenburg, directeur général principal de la Banque mondiale.
L’étude de l’Université d’Exeter rappelle que les communautés pourtant les moins responsables des émissions — notamment les peuples autochtones, les petits États insulaires et les régions dépendantes des systèmes de mousson — sont aussi les plus exposées aux risques liés aux points de basculement climatiques. Elle appelle à une réponse globale incluant non seulement des mécanismes financiers renforcés, mais aussi le développement des énergies renouvelables, la mise en place de systèmes alimentaires résilients et une meilleure protection juridique des populations les plus vulnérables.
6️⃣
Des points de bascule positifs: « Le changement peut également basculer du bon côté. » Cette phrase, tirée du communiqué de presse du WWF, résume l’orientation volontairement optimiste du rapport. Elle souligne qu’aujourd’hui, des transformations majeures sont déjà en cours dans des secteurs clés comme l’énergie. Le rapport note, par exemple, que la capacité de production solaire double tous les deux à trois ans, que l’adoption des véhicules électriques se généralise progressivement à l’échelle mondiale et que les avancées dans le stockage par batteries sont significatives.
Cette dynamique dans le domaine énergétique illustre la possibilité de changements rapides et positifs. « Des politiques ciblant des points d’interaction à très fort effet de levier peuvent contribuer à déclencher ce changement positif en cascade. Le renforcement des rétroactions entre la société civile et les décideurs politiques est donc essentiel pour amplifier ces dynamiques », indiquent les scientifiques.
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« Le Brésil souhaite orienter les négociations vers « l’implémentation », autrement dit passer des engagements aux actes », souligne Pierrette Rey, porte-parole du WWF Suisse.