L’Espagne et le Portugal ont vécu il y a quelques jours un vrai « black-out » : une coupure générale d’électricité résultant d’une forme d’« effondrement » du réseau électrique national. La cause n’est pas encore connue à ce stade, et je préfère éviter les spéculations, qu’elles soient « pro » ou « anti » renouvelables.
A priori, cette panne ne semble pas liée à un manque d’énergie (aucune grande centrale de production n’était annoncée à l’arrêt), mais serait plutôt multifactorielle, en lien avec un déséquilibre momentané entre l’énergie injectée et celle consommée sur le réseau.
En effet, le réseau électrique — qu’il soit de basse, moyenne ou haute tension — doit en permanence rester équilibré entre la production et la consommation d’énergie. Cette gestion incombe soit aux gestionnaires de réseau de distribution (GRD) concernés, soit à Swissgrid pour le réseau national à haute tension (qui a été affecté dans le cas ibérique).
La pénurie d’énergie, quant à elle, n’a rien à voir avec des problématiques de réseau ou de black-out, même si elle peut en provoquer si elle est mal gérée.
Black-out ou pénurie
Les causes d’un black-out peuvent être multiples, allant d’incidents sur des centrales de production ou des postes de transformation à une mauvaise gestion par le gestionnaire de réseau concerné. Le contrôle et la surveillance du réseau, assurés en continu par les GRD et Swissgrid, sont d’une importance capitale pour éviter les problèmes ou pour les résoudre aussi vite que possible.
À titre d’exemple, Lausanne a connu en 2020 un incendie dans un poste de transformation, qui a plongé un quart de la ville dans le noir pendant plusieurs heures. Comme en Espagne et au Portugal, c’est grâce à une excellente coordination entre la supervision du réseau et les collaborateurs sur le terrain que les services ont pu être rétablis en à peine quelques heures. Mais j’y reviendrai plus bas.
La pénurie d’énergie, quant à elle, n’a rien à voir avec des problématiques de réseau ou de black-out, même si elle peut en provoquer si elle est mal gérée. Il s’agit d’un manque d’énergie sur une période plus ou moins longue.
Plan « OSTRAL » de la Suisse
Afin d’y pallier, la Confédération a prévu, il y a une trentaine d’années déjà, un plan nommé « OSTRAL ». À cette époque, le risque de pénurie semblait alors lointain, et rares — voire inexistants — étaient les GRD qui s’étaient réellement préparés à appliquer ce plan avant 2022.
Cette année-là, le risque de pénurie est devenu très concret pour l’hiver à venir, en raison de l’arrêt de près de la moitié des centrales nucléaires françaises pour révision, mais aussi de l’interruption quasi totale des livraisons de gaz russe vers l’Europe. Dès lors, la préparation à une éventuelle pénurie est devenue une priorité, et la mise en œuvre du plan OSTRAL a pu être rapidement engagée par les énergéticiens. Ces derniers ont, en quelques mois, accompli en profondeur un travail qui, jusque-là, avait été réalisé de manière plus superficielle.
L’objectif est d’éviter d’atteindre le quatrième palier et de limiter les conséquences de la pénurie sur le fonctionnement de notre société, en supprimant graduellement certains usages.
Les mesures destinées à éviter une pénurie n’ont aucun lien direct avec un black-out. Elles ont été largement abordées au cours des derniers hivers, et je n’y reviendrai donc pas en détail. Quatre paliers de mesures sont prévus, le passage à un palier supérieur n’intervenant que si les étapes précédentes ne suffisent pas à limiter le risque de pénurie. L’objectif est d’éviter d’atteindre le quatrième palier et de limiter les conséquences de la pénurie sur le fonctionnement de notre société, en supprimant graduellement certains usages, en commençant par ceux ayant les impacts économiques et sociaux les plus faibles.
- Palier 1 : Appels à des réductions volontaires de la consommation d’électricité.
- Palier 2 : Restrictions et/ou interdictions visant des activités non essentielles.
- Palier 3 : Contingentement des gros consommateurs, qui doivent réduire leur consommation de 10 % à 50 %, selon la situation.
- Palier 4 : Délestage — la mesure la plus contraignante — consistant à couper l’électricité par zone, à tour de rôle, hormis pour les établissements jugés indispensables, pour autant que la configuration du réseau permette leur alimentation (hôpitaux, services de secours, gestion de l’eau potable, des eaux usées, du chauffage, etc.).
Ces mesures peuvent — et doivent — être anticipées. Elles sont annoncées plusieurs jours à l’avance lorsque la Confédération estime qu’une situation de pénurie est susceptible de survenir. Lors de l’hiver 2022-2023, nous avons déjà enclenché le premier palier, qui a été suffisant pour passer la saison, notamment grâce à un hiver exceptionnellement doux. Les énergéticiens ont cependant accompagné les grands consommateurs à se préparer aux paliers 2 et 3, et se sont eux-mêmes organisés plus concrètement en vue d’un éventuel passage au quatrième palier.
Rôle essentiel des GRD
L’objectif est évidemment d’éviter une pénurie d’électricité au moment le plus critique : à la sortie de l’hiver, lorsque les barrages suisses sont vides et ne permettent plus de disposer d’une réserve d’énergie suffisante. Pour cela, une gestion rationnée peut être mise en place dès le début de la saison froide. Un déficit de production fin février pourrait provoquer un black-out, faute d’énergie suffisante pour répondre à la demande. Il implique surtout un problème d’approvisionnement structurel sur une plus longue période.
Le black-out est généralement lié à un déséquilibre du réseau sur une très courte période, alors qu’un risque de pénurie peut être anticipé pour être évité. Pour que ce risque reste acceptable, il est indispensable de maintenir des capacités de production nationales importantes et d’augmenter la production hivernale.
Les mesures visant à prévenir un black-out ne concernent pas directement les consommateurs finaux, mais relèvent des gestionnaires de réseau à différents niveaux. Elles portent sur leur capacité à maintenir en permanence l’équilibre du réseau, à s’assurer que les oscillations restent supportables, et, le cas échéant, à pouvoir absorber rapidement une grande quantité d’énergie — ou en injecter — afin de rétablir l’équilibre global.
En Suisse également, les différents GRD participent à des simulations de black-out et de reconstruction, en lien avec Swissgrid, afin d’être en mesure de reconstruire le tout rapidement depuis un réseau stable.
Mais le travail le plus important dans des situations de black-out est celui de la « reconstruction » du réseau. Cela nécessite de pouvoir reconnecter progressivement le système électrique à partir d’une zone stable et fiable. C’est la raison pour laquelle, lors du cas ibérique, la France a d’abord coupé toute connexion avec l’Espagne — pour éviter que son réseau ne tombe également — avant de permettre, aux côtés du Maroc, une reconnexion progressive du réseau espagnol, région par région, grâce à la stabilité de ses voisins.
En Suisse également, les différents GRD participent à des simulations de black-out et de reconstruction, en lien avec Swissgrid, afin d’être en mesure de reconstruire le tout rapidement depuis un réseau stable. C’est ce qui s’est produit — de manière assez impressionnante — en Espagne et au Portugal, où 90 % du réseau ont pu être rétablis en à peine 16 heures après l’incident.
Ainsi, si une pénurie peut effectivement provoquer un black-out, les deux phénomènes ne sont absolument pas synonymes et nécessitent des mesures bien différentes, tant pour les prévenir que pour y remédier. Dans tous les cas, nous devons nous y préparer aux deux situations — et nous le faisons — car elles peuvent arriver et leurs conséquences peuvent être très impactantes.