Comment le « drill, baby, drill » de Donald Trump a relancé l’exploration pétrolière
Au détriment manifeste de leur transition verte, les géants du secteur sont repartis en quête de nouveaux puits d’or… toujours aussi noir.
Au détriment manifeste de leur transition verte, les géants du secteur sont repartis en quête de nouveaux puits d’or… toujours aussi noir.
Le chiffre fait froid dans le dos : plus de 100 milliards de barils supplémentaires de pétrole et de gaz. C’est ce que pourrait coûter à la planète la lenteur prise dans le développement des énergies vertes. Selon une estimation du cabinet de conseil Wood Mackenzie, elle impliquerait un recours à « 5 % de pétrole en plus par an que prévu à partir du milieu des années 2030 ».
Avant même le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche et l’élaboration de sa politique anti-énergies vertes, certains géants pétroliers avaient déjà montré une réticence croissante à poursuivre leur transition vers la neutralité carbone à l’horizon 2050. Ce revirement est encore plus flagrant depuis le début de l’année. Le slogan « Drill, baby, drill » de Donald Trump a poussé toute l’industrie à sortir de sa torpeur. Il a surtout permis aux pétroliers de cesser de jouer avec les mots et les sous-entendus : leur envie de forer est de retour, sans le moindre complexe.
« L’histoire oubliera peut-être ce bref moment où les principaux responsables du désastre climatique ont fait mine de faire partie de la solution. Après avoir pris des engagements pour réduire leur responsabilité dans le réchauffement climatique, les géants européens du pétrole – en particulier BP, Shell et TotalEnergies – sont en train d’opérer une discrète mais sérieuse volte-face, misant sur les énergies fossiles, au mépris du consensus scientifique », écrivait en 2023, dans Le Monde, le journaliste Nabil Wakim.
« L’histoire oubliera peut-être ce bref moment où les principaux responsables du désastre climatique ont fait mine de faire partie de la solution », estime le journaliste Nabil Wakim.
Prenons l’exemple du groupe BP. Après avoir changé son logo au début du siècle pour afficher son ambition de devenir un leader des énergies vertes – un soleil stylisé baptisé Hélios, en référence à l’énergie solaire –, le géant pétrolier a opéré, en 2025, un « repositionnement fondamental ». Concrètement, cela signifie une augmentation de 20% de ses investissements dans la production d’or noir, contre une coupe de 5 milliards par an dans ceux destinés aux énergies dites « de transition », c'est-à-dire bas carbone.
Alors qu’une quarantaine de puits d’exploration sont prévus au cours des trois prochaines années, le géant pétrolier britannique annonçait, début août, avoir réalisé sa découverte la plus importante depuis un quart de siècle. Situé dans le bassin de Santos, à environ 400 km de Rio de Janeiro, le gisement couvre plus de 300 km², soit une superficie environ cinq fois supérieure à celle de Manhattan. Tout en précisant qu’il était trop tôt pour en évaluer la taille ou la qualité des réserves, BP évoque un puits riche en gaz, condensat et pétrole.
Le pétrolier britannique est loin d’être le seul à avoir amorcé un tel revirement. ExxonMobil, Chevron, TotalEnergies, Shell... tous les majors affichent leur détermination à découvrir de nouvelles réserves. Patrick Pouyanné, directeur général de TotalEnergies, parle tout simplement d'une « recharge de leur portefeuille d'exploration grâce à de nouveaux permis remportés aux États-Unis, en Malaisie, en Indonésie et en Algérie ».
« Il existe désormais, dans l’ensemble du secteur, un sentiment général selon lequel, même si la transition énergétique est en cours, elle n’est pas aussi rapide que nous le pensions », explique Palzor Shenga, analyste senior chez Rystad Energy.
« Il n’y a pas de pic de la demande de pétrole à l’horizon », affirmait Al Ghais lors du Global Energy Show, à Calgary (Alberta). Pour le secrétaire général de l’OPEP, la croissance de la demande restera robuste jusqu’en 2050, avec une hausse de 24 % des besoins énergétiques mondiaux d’ici là. Avec une demande estimée à 120 millions de barils par jour, l’OPEP est catégorique : « l’ère du pétrole est loin d’être terminée ».
Cité par le Financial Times, Palzor Shenga, analyste senior chez Rystad Energy, estime également qu’en 2050 « le pétrole et le gaz représenteront encore environ la moitié du mix énergétique ». Pour justifier cette projection, l’analyste explique « qu’il existe désormais, dans l’ensemble du secteur, un sentiment général selon lequel, même si la transition énergétique est en cours, elle n’est pas aussi rapide que nous le pensions ».
Le problème que cette nouvelle vague d’explorations se joue désormais, pour l’essentiel, en mer. C’est la première et principale conclusion qui ressort du dernier « Global Oil and Gas Extraction Tracker » (GOGET) réalisé par Global Energy Monitor.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 85 % des découvertes récentes, en volume, ont été réalisées dans dix puits offshore. Au moins douze projets ont obtenu une décision finale d’investissement (Final Investment Decision, FID) positive en 2024, tous situés le long de diverses côtes. Enfin, dix-neuf projets offshore ont produit leur premier pétrole ou gaz en 2024, représentant à eux seuls 71 % du volume total des nouveaux démarrages de puits pétroliers.
« L’activité pétrolière et gazière en mer menace deux biens communs mondiaux dont dépend toute vie sur Terre : les océans et l’atmosphère », estiment les experts du « Center for International Environmental Law » (CIEL).
Naturellement, forer en eaux parfois profondes n’a rien d’anodin. Les conséquences pour la faune et la flore marines sont considérables. « De l’exploration sismique et du forage des fonds marins jusqu’au traitement côtier et au transport maritime des combustibles fossiles, l’activité pétrolière et gazière en mer menace deux biens communs mondiaux dont dépend toute vie sur Terre : les océans et l’atmosphère », peut-on lire dans une étude du « Center for International Environmental Law » (CIEL), à Genève.
L’appel lancé en début d’année par 111 ONG pour interdire toute nouvelle activité d’exploration pétrolière et gazière en mer, à l’occasion de la 3ᵉ Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC3), n’a eu aucun effet sur les décisions prises lors du sommet. « Malgré les preuves scientifiques, de plus en plus nombreuses, des effets néfastes du pétrole et du gaz offshore sur les écosystèmes marins, les références explicites ont été absentes de la plupart des discussions et totalement absentes de la déclaration de Nice », indique la Plateforme Océan & Climat.
En 2024, soixante-dix-sept anciens hauts responsables politiques et lauréats du prix Nobel ont tenté de lancer un cri d’alarme : « Les États doivent collaborer pour mettre fin à l’expansion du pétrole, du gaz et du charbon, conformément au consensus scientifique et économique établi par le GIEC, l’AIE et d’autres organismes scientifiques internationaux fiables ; négocier des calendriers d’élimination équitables pour compléter et mettre en œuvre l’Accord de Paris ; et mobiliser les financements nécessaires afin de garantir que chaque pays, chaque communauté et chaque travailleur puisse évoluer vers un avenir prospère sans combustibles fossiles. »
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