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Le Conseil fédéral ouvre la porte au nucléaire. Quelles sont les options à court, moyen et long terme?
L’offensive politique pour un retour du nucléaire est donc lancée. Le conseiller fédéral Albert Rösti, favorable à cette forme d’énergie, planche sur un contre-projet indirect à l’initiative qui veut lever l’interdiction de construction de nouvelles centrales atomiques. Et pour la première fois, ce ne sont pas les électriciens qui sont à la manœuvre. Les grandes sociétés électriques du pays ont été jusqu’ici quasi muettes et, pour tout dire, très réticentes à rouvrir le débat sur l’atome. Elles savent que le dossier est plombé par les coûts, discrédité par le fiasco français et miné par l’incertitude quant au choix des différentes technologies à disposition.
A l’exception de l’UDC, qui serait favorable à une centrale de IIIe génération, soit un EPR (réacteur à eau pressurisée) comme ceux construits à Flamanville ou à Olkiluoto, le PLR et les initiants parlent de réacteurs “d’une nouvelle génération”. S’agit-il de réacteurs au thorium, un minerai abondant et produisant moins de déchets tout en étant considérablement moins dangereux en cas d’accident (la fusion du coeur de la centrale étant intrinsèquement exclue avec du thorium) ou pensent-t-il à la génération dite IV, soit à un surgénérateur dont certaines variantes permettent théoriquement de brûler les déchets nucléaires existants, tout en les transmutant en résidus beaucoup moins dangereux que ceux que l’on envisage de stocker définitivement dans des cavernes? Ou font-il allusion à une ambition plus grande encore: la fusion nucléaire? Un procédé qui reproduirait sur terre la réaction physico-chimique qui se déroule au cœur de notre soleil.
Passons en revue les options. Un réacteur suisse au thorium? A moyen terme, l’aboutissement d’un tel projet est hautement improbable. A l’exception de la Chine, il n’existe à l’heure actuelle aucun projet expérimental prêt à être commercialisé avant longtemps. Quant à la génération IV, on voit mal la Suisse se lancer dans le développement commercial d’un type de réacteur dont le plus célèbre exemplaire Superphénix, construit à Creys-Malville, se trouve dans une phase de démantèlement depuis 1997 après une longue série d’incidents et de retards!
Un réacteur suisse au thorium? A moyen terme, l’aboutissement d’un tel projet est hautement improbable. A l’exception de la Chine, il n’existe à l’heure actuelle aucun projet expérimental prêt à être commercialisé avant longtemps.
La fusion? L’option est envisageable sur le très long terme. Selon un rapport allemand récent, le développement de cette nouvelle filière prendra encore plusieurs décennies et n’arrivera à maturité, au mieux, que vers la fin du siècle, “trop tard pour jouer un rôle décisif dans la lutte contre le réchauffement climatique” qui exige une énergie propre en quantité massive dès maintenant et non dans un futur lointain, écrivent les scientifiques allemands.
Reste donc l’option de la 3e génération, l’EPR et ses équivalents chinois, russes, coréens ou américains. Selon la banque Lazard qui met à jour de manière régulière le prix des filières énergétiques, le coût de revient du nucléaire EPR se situe entre 14 et 22 cts le kWh. Pour assurer la rentabilité d’un tel investissement (aux conditions du marché en 2024), la Confédération devrait garantir à tout nouvel exploitant une subvention de l’ordre de 10 à 18 cts par kWh, soit entre 1,3 et 1,8 milliard de francs par an pour une centrale d’une puissance de 1 600 MW et une production annuelle de 13 TWh. Des réacteurs EPR de plus petite dimension, connus sous l’acronyme de SMR, changeront-ils les ordres de grandeur? On peut en douter. Certes, le redéploiement du nucléaire se compare aux montants des subventions moyennes versées pour le développement des énergies renouvelables, environ 10 à 14 cts par kWh. A la différence près, que les coûts du solaire et de l’éolien baissent régulièrement, ce qui n’est pas le cas pour l’atome.
De fait, les centimes additionnels prélevés sur la facture d’électricité seraient largement insuffisants pour financer l’atome et les autres énergies propres. Sans doute faudrait-il doubler les prélèvements et accepter un renchérissement substantiel de la facture d’électricité des ménages et de l’industrie. Le PLR et l’UDC sont-ils disposés à le défendre devant le peuple? Ou sont-ils prêts à siphonner les fonds versés pour le solaire et l’éolien, signant dans ce cas l’arrêt de ses deux filières? Pas simple de répondre à ce dilemme.
En clair, le nucléaire reste une énergie chère, potentiellement dangereuse (du moins pour les réacteurs de IIIe génération de type EPR) et qui ne résout pas le problème des déchets à long terme. Une certitude: les premières centrales au thorium ou de IVe génération auront un coût d’exploitation très élevé au début, sans doute bien plus élevé que les EPR qui ont bénéficié d'investissements massifs depuis 30 ans.
La Suisse, trop petite pour se lancer dans des développements technologiques incertains et très risqués, pourrait donc devoir choisir entre les renouvelables et le nucléaire classique, gourmand en subventions. A moins d’imaginer commander à bas prix des réacteurs de IIIe génération ou futuristes à…la Chine ou à la Russie.
Sauf rupture technologique majeure, l’atome restera une énergie d’appoint et non dominante. L’interdire n’est pas une solution, l’envisager comme une solution économique relève de l’illusion.
Le retour à la croissance de l’énergie nucléaire (en déclin aujourd’hui) reste néanmoins probable et sans doute nécessaire d’ici la fin du 21e siècle, notamment pour produire la masse d’énergie qui sera requise pour remplacer totalement les énergies fossiles et stabiliser le climat en retirant les excédents de CO2 de l’atmosphère. Mais ce nucléaire-là n’arrivera à maturité commerciale que vers le milieu du siècle et nécessitera encore beaucoup de recherche avant de pouvoir s’imposer tant scientifiquement que économiquement. Au mieux, la puissance nucléaire installée ne devrait pas augmenter de plus de 30 % d’ici 2050 selon différents scénarios alors que les énergies renouvelables, elles, auront doublé d’ici la fin de cette …décennie. Sauf rupture technologique majeure, l’atome restera une énergie d’appoint et non dominante. L’interdire n’est pas une solution, l’envisager comme une solution économique relève de l’illusion.
Cette chronique est également parue dans les colonnes de 24 Heures et Tribune de Genève.