« Avec des instruments publics tels que le Fonds suisse pour le climat, la Confédération souhaite positionner la Suisse comme une plaque tournante mondiale de la finance durable », explique Charles-Henry Monchau, directeur des investissements et membre du comité exécutif du groupe Syz.
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Financer la transition écologique par de la dette publique : une stratégie viable ?
« Avec des instruments publics tels que le Fonds suisse pour le climat, la Confédération souhaite positionner la Suisse comme une plaque tournante mondiale de la finance durable », explique Charles-Henry Monchau, directeur des investissements et membre du comité exécutif du groupe Syz.
La lutte contre le changement climatique fait désormais l’objet d’un constat partagé : la transition écologique est à la fois urgente et extrêmement coûteuse. Selon McKinsey, il faudrait investir chaque année plusieurs milliers de milliards de dollars pour atteindre la neutralité carbone d’ici le milieu du siècle, un niveau bien supérieur aux engagements actuels. Face à l’insuffisance des financements privés, de nombreux gouvernements envisagent de recourir à la dette publique pour accélérer la transition verte, et ce alors même que la dette souveraine mondiale avoisine des niveaux historiques.
Depuis sa création, le financement climatique a largement privilégié l’atténuation, en mettant l’accent sur la décarbonisation des systèmes énergétiques et sur la dissociation entre croissance économique et émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, les travaux récents du Network for Greening the Financial System (NGFS) soulignent l’impératif d’intégrer les risques physiques liés au climat dans l’évaluation de la résilience des portefeuilles.
Il convient de noter que les scénarios de la Phase V prévoient que les pertes de PIB liées aux risques physiques chroniques pourraient être de deux à quatre fois plus élevées d’ici 2050 que ce qui avait été estimé dans les modèles précédents.
Les dégâts liés au climat pourraient déclencher une crise financière comparable à celle de 2008.
Recourir à la dette publique
Le « Financial Times » rapporte que les banques centrales exercent désormais des pressions sur les institutions financières afin qu’elles élargissent leur planification climatique au-delà de la seule atténuation. Elles exigent l’élaboration de stratégies formelles d’adaptation — telles que des investissements dans les défenses côtières ou dans une agriculture plus résiliente — à intégrer dans les plans de transition. Ce changement s’aligne sur les dernières recommandations du NGFS, qui incitent les institutions à passer d’un reporting centré sur l’atténuation à une planification globale de l’adaptation au changement climatique.
Étant donné que les investissements dans l’adaptation correspondent rarement aux profils de rendement immédiats recherchés par le capital privé, le recours à la dette publique apparaît comme un moyen pragmatique de renforcer la résilience à long terme.
Les emprunts destinés à financer des infrastructures vertes — qu’il s’agisse de digues, de transports adaptés au climat ou de réseaux énergétiques résilients — peuvent constituer une option budgétairement responsable, notamment lorsque le coût de l’inaction climatique menace de réduire le PIB mondial de près de 15 % d’ici 2050 (d'après certains scénarios politiques). Les banques centrales avertissent en effet que, par le biais de mécanismes tels que les défauts de paiement hypothécaires ou l’effondrement des marchés immobiliers, les dégâts liés au climat pourraient déclencher une crise financière comparable à celle de 2008.
Le risque climatique est-il systémique ?
De plus, dans de nombreuses économies avancées, les taux d’intérêt réels demeurent bas. Lorsque les rendements des investissements verts — qu’il s’agisse de la réduction des pertes économiques, de gains de productivité ou de la création de valeur publique — dépassent les coûts d’emprunt, le recours à la dette pour financer la transition climatique n’est pas seulement abordable : il contribue également à renforcer la viabilité budgétaire.
La Confédération suisse s’est engagée dans cette voie en mobilisant des instruments publics tels que le Fonds suisse pour le climat, ainsi que des initiatives portées par le Secrétariat d’État aux questions financières internationales (SFI), qui vise à positionner la Suisse comme une plaque tournante mondiale de la finance durable.
Les banques centrales considèrent de plus en plus le risque climatique comme un risque systémique. Ainsi, la BCE prévoit d’introduire en 2026 un « facteur climat », qui pénalisera les garanties fortement exposées aux risques climatiques. De leur côté, les régulateurs de la Banque d’Angleterre incitent désormais les établissements financiers à intégrer le risque lié aux conditions météorologiques dans leur planification du capital et leur gouvernance, plutôt que de le traiter comme une simple exigence de transparence.
Ces signaux suggèrent que des emprunts publics verts ambitieux pourraient renforcer la confiance des marchés, à condition d’être assortis d’une stratégie crédible, plutôt que de susciter une réaction négative des investisseurs.
Une réforme financière internationale apparaît indispensable, qu’il s’agisse d’élargir le financement climatique, de réallouer les droits de tirage spéciaux (DTS) ou de mettre en place des mécanismes d’échanges dette-climat.
Gouvernance et équité au cœur de la transition
Au-delà de l’ambition, une stratégie climatique financée par la dette exige une gouvernance solide. La transparence en constitue un pilier essentiel : les gouvernements doivent définir clairement les projets financés par des obligations vertes, établir des critères d’évaluation indépendants et assurer un suivi rigoureux des résultats dans le temps, afin d’éviter toute mauvaise allocation du capital.
L’équité est également primordiale. Le financement des investissements d’adaptation — tels que les logements résistants à la chaleur ou les digues — doit intégrer une approche de transition juste, qui protège à la fois les travailleurs et les populations vulnérables des chocs climatiques comme des perturbations sociales.
À l’échelle mondiale, de nombreux pays à faible et moyen revenu sont confrontés aux dangers réels les plus graves, tout en ayant un accès limité à des marchés de dette abordables. Comme le soulignent les scénarios du NGFS, les marchés émergents pourraient subir des pertes encore plus lourdes à mesure que les impacts climatiques s’intensifient. Une réforme financière internationale apparaît donc indispensable, qu’il s’agisse d’élargir le financement climatique, de réallouer les droits de tirage spéciaux (DTS) ou de mettre en place des mécanismes d’échanges dette-climat.
Au niveau macro-budgétaire, les règles fiscales modernes pourraient distinguer la dette « verte » de la dette « brune » : les emprunts destinés à subventionner les énergies fossiles devraient être traités différemment de ceux visant à renforcer la résilience climatique. Certains économistes plaident ainsi pour des cadres budgétaires adaptés au climat, permettant de financer des investissements publics sans compromettre la viabilité de la dette.
En définitive, les investissements verts financés par la dette publique ne constituent pas une panacée, et les risques budgétaires, politiques et opérationnels demeurent réels. Toutefois, comme le soulignent les modèles du NGFS et les orientations des banques centrales, une planification insuffisante de l’adaptation et de l’atténuation risquerait d’entraîner des dommages économiques bien plus importants qu’un recours raisonné à l’emprunt dès aujourd’hui.
À la fin du mois se tiendra la sixième édition de Building Bridges. En amont de ce rendez-vous désormais incontournable autour de la finance durable, nous vous proposons cette toute première série de podcasts.
« À la suite du dépôt de deux initiatives fédérales, le souverain sera une nouvelle fois appelé à se prononcer sur les modalités de déploiement des éoliennes en Suisse », regrette Christian Petit, membre du bureau directeur de SwissCleanTech.
« En pratique, l’idée de transition a contribué à légitimer une procrastination collective face à la crise climatique », estime Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences, des techniques et de l’environnement.