« Si le Conseil fédéral envisage désormais de supprimer le programme — ou du moins de retirer la contribution fédérale — c’est principalement en raison des effets d’aubaine qu’il génère », explique Philippe Thalmann, professeur d'économie de l'environnement à l'EPFL.
« Aujourd’hui, 70 % de nos résultats proviennent de l’étranger, tandis que 70 % de nos investissements sont réalisés dans notre territoire de desserte historique en suisse », précise Cédric Christmann, directeur général de Primeo Energie.
« Il va falloir être créatif pour permettre aux GRD d'investir dans de bonnes conditions »
« Aujourd’hui, 70 % de nos résultats proviennent de l’étranger, tandis que 70 % de nos investissements sont réalisés dans notre territoire de desserte historique en suisse », précise Cédric Christmann, directeur général de Primeo Energie.
« Plutôt que de se plaindre face aux difficultés du marché, nous avons choisi d’agir en proposant à nos clients - dès le début de l’année prochaine - des tarifs dynamiques pour la gestion du réseau », explique Cédric Christmann, directeur général de Primeo Energie. @primeo
Le secteur suisse de l’énergie poursuit sa mutation. Si la thématique est moins au cœur des préoccupations depuis que la crise de 2022 est derrière nous, les défis n'en restent pas moins colossaux. Cette année, l’actualité a été particulièrement chargée sur le plan politique, notamment avec le fameux accord sur l’électricité avec l’Europe. Source de division dès les premiers jours, désormais c'est sa mise en œuvre proposée par Berne qui suscite de fortes réticences.
À cela s'ajoute les défis économiques rencontrés par de nombreux GRD. Plusieurs traversent une phase financière délicate. Or les chantiers se multiplient pour tout le secteur et nécessitent d'importants investissements. Déploiement accéléré des énergies renouvelables, modernisation du réseau, adaptation des tarifs, arrivée prochaine des communautés électriques locales (CEL) ou encore débats sur le nucléaire, c'est tout le paysage énergétique du pays qui est en recomposition. On en parle avec Cédric Christmann, directeur général de Primeo Energie.
En parcourant vos résultats 2024, on remarque que vos activités françaises subventionnent vos activités en Suisse? D’autres acteurs du marché, de taille à peu près similaire, ont également enregistré de mauvais résultats en 2024. Que faut-il en conclure ?
En 2016, nous nous sommes posé la question de savoir si nous allions encore pouvoir gagner de l’argent avec le tarif de base. Déjà à cette époque, nous pressentions que la rentabilité sur la partie « énergie » deviendrait difficile. Pour anticiper cette évolution, nous avons décidé d’aller sur le marché libre en Suisse, mais aussi de renforcer nos activités en France, un marché avec lequel nous avons une longue histoire puisque nos rapports remontent à 1906. Suite à la revente de notre participation dans Direct Energie à TotalEnergies, nous avons décidé d’y conserver une structure, devenue aujourd’hui Primeo Energie France.
Notre analyse de l’époque — celle d’une perte progressive de rentabilité sur la fourniture d’énergie dans le tarif de base — s’est malheureusement révélée juste à partir de 2021. Les coûts d’équilibrage ont explosé après un changement réglementaire en 2022, pénalisant fortement les gestionnaires de réseau de distribution. Le constat est que désormais, nous ne gagnons notre vie ni sur la vente d’énergie, ni vraiment sur le timbre ou la gestion du réseau.
Aujourd’hui, 70 % de nos résultats proviennent de l’étranger, tandis que 70 % de nos investissements sont réalisés dans notre territoire de desserte historique en suisse, preuve que notre diversification n’est pas un hasard mais une nécessité. Ce qui était autrefois peut-être un accident historique est devenu un choix délibéré : en diversifiant nos sources de revenus, nous nous donnons les moyens de financer la transformation énergétique. Beaucoup de GRD, restés centrés sur leurs activités locales, n’ont pas forcément la même marge de manœuvre et peinent désormais à suivre le rythme de la transition.
Le patron de l’AES dénonçait récemment un manque de réalité entre les règles imposées sur la tarification et la réalité économique sur le terrain…
Le véritable problème n’est pas tant la rentabilité que le manque de liquidités nécessaires pour financer les investissements indispensables à la modernisation et l’adaptation des infrastructures. J’aime comparer notre situation financière à celle d’une caisse de retraite qui ne compte que des assurés ou des destinataires ayant 65 ans et plus et donc ne fait que payer des rentes chaque mois, sans avoir la chance d’investir l’argent pendant 40 ans, si cette même caisse avait des assurés tous âgés de 25 ans.
Or nos réseaux sont vieillissants et doivent non seulement être renforcés, mais aussi être adaptés pour être bidirectionnels et intelligents afin de répondre à la décentralisation de la production et aux nouveaux usages comme les pompes à chaleur ou les véhicules électriques. Nous faisons face à une transformation profonde du système, bien plus qu’à une simple transition.
Faute de liquidités, nous devons ralentir nos investissements : au lieu des 70 millions de francs investis ces trois/quatre dernières années, nous sommes désormais plus proches des 20 à 35 millions, comme en 2021. Nous savons donc que nous n’irons pas aussi vite que prévu et que les objectifs fixés par la stratégie énergétique 2050 risquent de ne pas être atteints à temps — une question dont, malheureusement, peu de gens semblent se préoccuper.
Cette pression financière va-t-elle déboucher sur une concentration du nombre de GRD ?
Cela me paraît une évidence, vue l’augmentation de la complexité à laquelle le secteur doit faire face. Mais cette concentration prend actuellement une forme particulière sous la forme de contrats de service plutôt que des rachats d’actifs. Ce modèle permet aux GRD de rester indépendants et de conserver la maîtrise de leurs tarifs, par exemple. Nous pensons qu’il est préférable que les communes gardent la propriété de leurs infrastructures pour préserver leur autonomie et la dimension politique de la gestion énergétique.
En parallèle, nous assurons la gestion technique, le déploiement des compteurs intelligents, la maintenance IT ou encore la digitalisation des processus. Ce modèle de coopération entre grands et petits GRD se développe de plus en plus : c’est une manière intelligente et progressive de consolider le marché, sans passer par des fusions, tout en renforçant collectivement la transition énergétique.
Nous savons donc que nous n’irons pas aussi vite que prévu et que les objectifs fixés par la stratégie énergétique 2050 risquent de ne pas être atteints à temps.
Pourquoi les relations entre les GRD et l’ElCom sont-elles si tendues ? Et retrouve-t-on des tensions similaires en France avec leur propre autorité de régulation ?
Il est normal que le régulateur n’ait pas la même posture que nous. La vraie question, selon nous, est de savoir si les décisions doivent privilégier des objectifs à court terme, ce qui peut limiter les marges et les capacités d’investissement des GRD, ou viser le long terme, en permettant de financer la transformation énergétique.
C’est sur ces points que nos avis avec l’ElCom en Suisse - mais aussi la CRE en France – peuvent diverger. Ils restent, à notre avis, encore trop ancrés dans une logique de gestion de crise énergétique, héritée de 2021-2022, alors que cette période est en grande partie derrière nous. Nous devons maintenant passer à une logique stratégique, tournée vers l’avenir, soit la stabilité du système et la sécurité d’approvisionnement. Or les GRD sont également les garants de cette sécurité, aux côtés des producteurs et de Swissgrid. Plutôt que de continuer à restreindre les marges des gestionnaires de réseau, il est important de leur permettre d’investir pour assurer la stabilité et la modernisation du réseau électrique.
Il faut désormais être imaginatif et constructif, trouver des moyens de permettre aux GRD d’investir dans de bonnes conditions. Si nous n’avons pas cette liberté d’action, la transformation énergétique sera ralentie, les clients risquent d’être frustrés, et certaines parties prenantes risquent d’accuser à tort les GRD d’en être les freins. Pourtant, nous faisons tout notre possible pour avancer, malgré des contraintes toujours plus fortes et un cadre qui ne nous facilite pas la tâche.
Le siège de Primeo Energie à Münchenstein, petite localité située tout près de Bâle. @primeo
Les tensions actuelles portent notamment sur les prix de reprise obligatoire de l’énergie solaire en Suisse. Comment cette problématique pourrait-elle être résolue ?
Il se résoudrait en créant une centrale d’achat unique pour toute la Suisse chargée de racheter l’électricité solaire. Il n’est plus possible de fonctionner de manière isolée : les GRD n’ont ni les moyens financiers ni la structure adaptée pour racheter cette énergie de façon indépendante. Ceux des zones rurales avec des réseaux étendus et peut-être aussi vieillissants, souffrent par ailleurs beaucoup plus que ceux des villes, qui disposent d’infrastructures déjà plus adaptées et d’une densité solaire moindre. Cette inégalité territoriale rend la cohérence de l’ensemble du système encore plus ardue.
Nous pensons pertinent qu'un organisme national joue ce rôle. Cette centrale achèterait le solaire à un tarif unique et identique dans toute la Suisse, ce qui rendrait le système beaucoup plus clair, équitable et efficace.
En France, le système donne-t-il également l’impression que vous subventionnez le développement de l’énergie solaire ?
Non, le système est différent de celui de la Suisse. En France, c’est EDF, via son obligation d’achat, qui achète l’électricité solaire, ce qui centralise et simplifie le processus. Ce monopole d’État évite aux acteurs locaux d’avoir le sentiment de subventionner le système, contrairement à la situation suisse, plus fragmentée.
L’autre grand défi concerne vos coûts liés à l’énergie d’équilibrage…
Effectivement, avec le développement massif des énergies renouvelables, nous faisons face à un autre défi de taille : l’équilibrage du réseau. Cette énergie dite « fatale » doit être absorbée au moment où elle est produite, même si la demande n’est pas là, et nous n’avons pas toujours la possibilité de la stocker. Cela engendre des coûts d’équilibrage très élevés, car nous devons constamment compenser les variations imprévues de production, notamment quand la météo change brusquement.
Depuis le 1er juillet 2022, la situation s’est aggravée avec la mise en place de nouvelles règles permettant à la Suisse d’être euro-compatible. Les systèmes européens Picasso et MARI ont entraîné une explosion des prix en Suisse, un marché trop petit pour absorber de telles fluctuations, tant qu’il n’est pas intégré dans le système européen. Là où la France ou l’Allemagne bénéficient de « grandes bassines » énergétiques, la Suisse subit des hausses démesurées du prix du MWh, atteignant des niveaux prohibitifs.
Nous avons dénoncé cette situation dans un « livre blanc » et proposé aux autorités d’instaurer par exemple un plafond. L’Elcom a fini par le fixer à 1 000 € par MWh pour une partie de l’énergie d’équilibrage pour cette année, ce qui nous a permis de stabiliser notre situation en 2025.
Installer des panneaux solaires a du sens, mais la clé, c’est de consommer directement et localement ce qu’on produit, seul ou à plusieurs. En autoconsommant, on s’affranchit totalement des fluctuations des prix de l’énergie.
Ce besoin de souplesse tarifaire, vous cherchez à l’atteindre avec votre solution « Primeo NetzDynamisch » ?
Plutôt que de se plaindre face aux difficultés du marché, nous avons choisi d’agir en proposant à nos clients - dès le début de l’année prochaine - des tarifs dynamiques pour la gestion du réseau. Avec notre système, le prix changera en fonction de la charge prévue sur le réseau électrique.
Les prix pour le lendemain seront fixés et annoncés chaque jour avant 18 heures. Le système de management de l’énergie de chaque client, calculera alors en temps réel les meilleures décisions : injecter sur le réseau, stocker l’énergie, ou consommer localement selon les prix. C’est une approche intelligente, incitative et flexible, qui vise à rendre les clients acteurs de la transition énergétique (plutôt que de la subir) tout en améliorant la stabilité du réseau.
Si nous en sommes encore aux prémices de ce modèle, nous savons qu’il fonctionne très bien dans les pays nordiques, où les utilisateurs réagissent efficacement aux signaux de prix. L’objectif est de connecter ces tarifs à des systèmes de gestion d’énergie domestiques — capables de piloter automatiquement la consommation et la production entre les panneaux photovoltaïques, les voitures électriques, les pompes à chaleur, les batteries et le réseau.
Pensez-vous que la récente recommandation de l’AES concernant l’énergie solaire — prévoyant notamment un réglage des onduleurs limitant l’injection à 70 % de la puissance nominale des panneaux — risque de ralentir le déploiement de cette source d’énergie en Suisse ?
Nous n’y sommes pas vraiment favorables et plébiscitons plutôt un modèle flexible permettant de récompenser, par un système de compensation, les producteurs solaires prêts à déconnecter temporairement leurs panneaux. Plutôt que d’interdire la production, nous incitons les clients à mettre leur capacité à disposition et à participer activement à la stabilité du système. C’est une approche basée sur des incitations économiques ou les signaux de prix, plutôt que sur des règles rigides, avec pour objectif d’éviter de freiner le développement du photovoltaïque en Suisse.
L’autoconsommation au sein des RCPv ou des futurs CEL constitue-t-elle le modèle le plus adapté pour l'essor de l’énergie solaire ?
Nous avons toujours défendu le principe de l’autoconsommation comme la meilleure façon de développer le photovoltaïque. Installer des panneaux solaires a du sens, mais la clé, c’est de consommer directement et localement ce qu’on produit, seul ou à plusieurs. En autoconsommant, on s’affranchit totalement des fluctuations des prix de l’énergie.
À partir de 2026, la nouvelle loi va permettre de créer ces communautés locales d’énergie (CEL), où des voisins, des quartiers ou même des communes pourront partager et consommer ensemble leur production solaire. C’est une avancée majeure, notamment pour les locataires, qui représentent près de 60 % de la population et n’ont pas de toit pour installer leurs propres panneaux. Ils pourront enfin accéder à une énergie solaire locale et abordable. Pour nous, l’avenir du solaire en Suisse, c’est clairement l’autoconsommation simple, collective, à l’échelle du quartier ou de la commune.
Chez Primeo, nous avons trois critères essentiels lorsque nous investissons : il faut que le projet s’inscrive dans notre stratégie, qu’il soit rentable, et qu’il soit accepté par la population locale. L’éolien répond au moins à deux des trois conditions sur le papier : il fait partie de notre stratégie énergétique, il reste économiquement viable — surtout parce qu’il produit majoritairement en hiver, période où l’énergie est plus chère —. Maintenant il pose très souvent la question de l’acceptation locale. Et en tant que coopérative, nous refusons d’imposer des infrastructures contre la volonté des habitants.
Notre approche consiste donc à expliquer, à dialoguer, à montrer que les éoliennes peuvent s’intégrer dans le paysage, que les coûts de raccordement sont raisonnables et qu’elles apportent une précieuse production hivernale. Ce n’est pas de l’obstination, mais un travail de pédagogie et de transparence. Nous respectons les décisions locales, mais nous estimons qu’il est de notre devoir de mener ce dialogue pour faire avancer la transition.
Si nous venons de relancer notre projet de parc éolien entre les communes de Roggenburg et de Liesberg (abandonné en 2018), c’est parce que nous voulons investir en Suisse, par cohérence et par conviction : ce pays est notre base, nos racines. Est-ce que nous arriverons à convaincre les Suisses de la pertinence de l’éolien en Suisse, je l'ignore, mais au moins on ne pourra pas nous faire le procès d’avoir tout tenté.
Aujourd’hui, le pays dispose déjà de 41 interconnexions, et nous engageons pour en construire une 42ᵉ entre la Suisse et la France.
Quel regard portez-vous sur les débats liés au nucléaire en Suisse ?
Premièrement, en France, nous sommes actifs dans le nucléaire puisque nous disposons d’un droit de tirage sur certaines centrales. Concernant la Suisse, nous pensons que le débat sur le nucléaire tel qu’il est mené aujourd’hui est souvent mal posé : rester dans un clivage « pour ou contre » n’a pas de sens. Ce qu’il faut, c’est analyser les conditions techniques et environnementales qui permettraient, un jour, une éventuelle réimplantation du nucléaire dans des conditions acceptables pour le plus grand nombre.
Pour nous, la 3ᵉ génération (comme les EPR), au-delà des centrales existantes, a peu de chance de remporter le consentement de la majorité des Suisses. En revanche, la 4ᵉ génération ouvre des perspectives crédibles, car elle supprime le risque d’emballement du cœur nucléaire, ferme le cycle du combustible en recyclant les déchets — ce qui réduit leur durée de stockage de 250 000 à environ 300 ans — et utilise un refroidissement à air, beaucoup plus adapté à des sites décentralisés et sans gaspillage en eau.
En résumé, nous ne sommes pas opposés au nucléaire, mais favorables à en laisser la porte ouverte, sous condition qu'il s’agisse de technologies de 4ᵉ génération, capables de résoudre les limites du nucléaire actuel.
Terminons par l'accord sur l'énergie avec l’UE. À quel point cet accord est-il déterminant pour la Suisse, et plus particulièrement pour un groupe aussi interconnecté que le vôtre ?
Nous sommes effectivement interconnectés au réseau électrique européen depuis plus d’un siècle, en particulier avec la France depuis 1906. À cette époque, certaines communes françaises étaient alimentées par notre réseau avant d’être officiellement rattachées au réseau français à partir de 2012. Cela montre que nous vivons cette réalité de l’interconnexion depuis plus de cent ans et que nous n’en avons pas peur.
Contrairement au gaz ou au pétrole, l’électricité ne se transporte pas par bateau. C’est pourquoi nos voisins jouent un rôle essentiel pour la sécurité énergétique de la Suisse. Nous avons donc tout intérêt à renforcer nos liens avec le réseau européen. Aujourd’hui, le pays dispose déjà de 41 interconnexions, et nous engageons pour en construire une 42ᵉ entre la Suisse et la France, que nous serions même prêts à financer afin d’accroître la résilience du système électrique.
Cet accord est essentiel car il permettra à la Suisse de pouvoir enfin participer pleinement aux discussions européennes sur la régulation du réseau. Actuellement, Swissgrid est exclu des instances décisionnelles, ce qui l’empêche d’influencer les choix en fonction des besoins du pays. Il est urgent de ne plus subir ces décisions, mais y prendre part, proposer des solutions et contribuer activement à la transition énergétique.
« Si le Conseil fédéral envisage désormais de supprimer le programme — ou du moins de retirer la contribution fédérale — c’est principalement en raison des effets d’aubaine qu’il génère », explique Philippe Thalmann, professeur d'économie de l'environnement à l'EPFL.
À ce stade, les investigations dévoilent un problème de surtension ayant conduit à la panne, mais ne permettent pas encore d’en identifier la cause première.