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Électrification de la mobilité, besoin croissant en batteries, boom des IA, relance du nucléaire... La transition énergétique est au cœur de nos vies. Entretien avec l'une des pointures internationales: le professeur Mario Paolone.
À l'heure où notre société fait face à des enjeux climatiques de plus en plus pressants, comment anticiper une transition énergétique aussi réussie que possible? Dans un monde où les technologies évoluent à grande vitesse, alors que l'intelligence artificielle s'apprête à redistribuer une nouvelle fois les cartes, aurons-nous la capacité de répondre à la demande en énergie sans trop de sacrifices? Et quid de la mobilité, dont l'électrification en cours enthousiasme autant qu'elle inquiète les esprits?
Ce sont ces types de questions que nous avons posées à Mario Paolone. Président du laboratoire Distributed Electrical Systems à l'EPFL, il est considéré comme une sommité mondiale dans ce domaine, à l'origine de plus de 360 publications scientifiques. Entretien.
Nous nous sommes beaucoup préoccupés de renforcer la production d'électricité renouvelable. N'a-t-on pas oublié d'investir dans la modernisation du réseau et dans le stockage d'énergie ?
Commençons par la partie stockage. Il faut garder à l'esprit que sa gestion relève historiquement de la responsabilité des entreprises privées. La décision d'investir des capitaux ne relève donc pas du politique, mais d'une décision purement économique. Évidemment, pour encourager ces acteurs privés à investir les fonds nécessaires, il est important de mettre en place un cadre légal et de marché favorable.
La situation est différente lorsqu'on fait référence aux investissements nécessaires pour améliorer les réseaux. J'utilise le pluriel car il faut distinguer ceux qui s'occupent de la distribution de l'énergie de ceux qui en assurent le transport.
En Suisse, nous avons plus de 700 groupes chargés de la gestion des réseaux de distribution - que l'on appelle GRD -. En revanche, il n'existe qu'un seul acteur en charge du transport : Swissgrid. Le renforcement des réseaux électriques de transport, et surtout de distribution, est financé par nous tous, et la planification optimale relève de la responsabilité des opérateurs de ces réseaux.
Concrètement, quels sont les enjeux principaux ?
Parlons de la distribution d’électricité. Ici, le but principal est de réduire la congestion du système provoquée par la hausse de l’offre associée à la production décentralisée d'électricité, ainsi que de la demande (par exemple, l'électrification de la mobilité privée et le chauffage par pompes à chaleur).
Ces investissements dans le renforcement et l’expansion du réseau sont payés par les consommateurs par le biais du timbre, une taxe sur l'électricité assimilable aux frais de transport associés.
En pratique, le renforcement du réseau est relativement simple à réaliser, car il nécessite de remplacer des lignes déjà existantes ou de construire de nouvelles lignes pour raccorder de nouveaux utilisateurs et producteurs d'électricité.
« La transition énergétique implique un changement de paradigme dans la manière de produire l’électricité. »
Qu’est-ce qui changera fondamentalement ?
La transition énergétique implique un changement de paradigme dans la manière de produire l’électricité. D’un modèle de grandes centrales, avec peu de lieux de production, nous basculons vers un modèle comptant des milliers de petits producteurs. Cette évolution bouscule les réseaux de distribution, nécessitant d’en revoir l’exploitation et la planification. Ce basculement progressif accentue les problèmes de congestion et nécessite de renforcer tant les réseaux de distribution que ceux de transport.
Dans notre laboratoire, nous avons réalisé une étude démontrant qu'à partir de 13 GW en provenance de centrales de production photovoltaïques, le réseau suisse de distribution serait congestionné. Actuellement, alors que nous sommes à 4,5 GW, nous observons déjà quelques problèmes de cette nature. Pour donner un ordre de grandeur, rappelons que l’objectif de la Confédération est d’atteindre les 40 GW à terme.
Précisément, on a l’impression qu’on prend beaucoup de retard. Le fait, par exemple, que la Confédération réfléchisse à une ordonnance pour brider les particuliers, devenus de petits producteurs de photovoltaïque, n’est-ce pas absurde? On leur dit de produire plus afin de gagner plus, mais une fois les investissements réalisés, on leur dit que l’on pourrait ne plus vouloir de leur énergie...
Ce n’est pas une question de retard, mais une question d’adaptation des instruments nécessaires pour absorber les énergies renouvelables.
Mais comment sortir de l’impasse ?
Le renforcement du réseau est indiscutable; l’adaptation se fera naturellement sur le long terme pour atteindre les 40 GW visés. Dans les années à venir, tant les GRD que Swissgrid vont devoir investir pour cette transformation et transférer ces coûts sur les consommateurs. Mais c’est vrai, le modèle économique et légal doit encore être adapté au nouveau paradigme de production des énergies renouvelables.
Après des études réussies en génie électrique à l'Université de Bologne, Mario Paolone y fait ses premières armes en tant que professeur assistant en systèmes électriques. Il contribue au développement du laboratoire Power Systems de l'université italienne jusqu'en 2011.
Mario Paolone a lié son destin à l'École polytechnique fédérale de Lausanne à partir de 2011. En plus d'y enseigner son savoir, le professeur d'origine italienne a été directeur du Swiss Competence Center for Energy Research (SCCER) ainsi qu'en charge de FURIES (Future Swiss Electrical Infrastructure) et du Centre de l'énergie de l'EPFL. Actuellement, notre homme est président du laboratoire Distributed Electrical Systems.
Depuis toujours, la passion de Mario Paolone s'est portée sur les systèmes électriques, en particulier sur la surveillance en temps réel et les aspects opérationnels, les protections, la dynamique et les transitoires des systèmes électriques, passion qu'il partage lors de ses nombreuses participations à des conférences internationales dans le domaine des systèmes électriques et énergétiques.
Fondateur et rédacteur en chef de la revue « Elsevier Sustainable Energy, Grids and Networks », Mario Paolone est également l'auteur ou co-auteur de plus de 360 publications scientifiques. O.W.
Quel serait le modèle d’affaires idéal pour réduire la facture au maximum pour la société ?
Nos observations menées à l’EPFL et par d’autres collègues ont montré que la formule la moins onéreuse serait celle de marchés locaux gérés par un GRD, et non celle d’un marché unifié comme c’est le cas actuellement. Pour le dire simplement, il s’agit d’équilibrer la demande et l’offre d’électricité au niveau local. L’avantage? Le gestionnaire de réseau (GRD) est à la fois propriétaire et exploitant; il connaît parfaitement bien le réseau et les décisions à prendre pour renforcer les lignes ou les capacités de stockage nécessaires.
Si l'on parvient à établir un tel équilibre local, le GRD pourrait aussi se positionner vis-à-vis du marché centralisé, ce qui lui permettrait d’acheter ou de vendre l’énergie selon ses besoins. D’après nos recherches, un tel modèle réduirait aussi la réserve générale nationale, diminuant ainsi les coûts globaux de la transition énergétique.
Mais soyons clairs, un tel modèle, que nous pensons le mieux adapté pour la Suisse, n’existe pas encore. Et il nécessiterait une adaptation importante de la loi actuelle sur l’énergie.
« Pour la Suisse, la formule la moins onéreuse serait celle de marchés locaux gérés par un GRD, et non celle d’un marché unifié comme c’est le cas actuellement. »
A-t-on déjà un ordre de grandeur du gain d’économies selon le modèle décentralisé ou unique ?
C’est difficile de répondre à cette question car la quantification dépend largement du modèle de marché adopté.
Pourquoi ne se dirige-t-on pas vers un tel modèle ?
C’est un changement très important. Dans le cadre d’un projet en cours appelé UrbanTwin et financé par les EPF, en collaboration avec les services industriels de Lausanne (SIL), on simule un tel modèle de gestion de l’énergie au niveau local. Nous sommes parvenus à démontrer que l’adoption d’un marché local, couplée avec une stratégie de renforcement optimale du réseau de distribution (basée sur l’adoption mixte de systèmes de stockage d'énergie distribués et le remplacement de lignes), génère les coûts les plus bas tout en optimisant mieux la gestion du réseau au niveau global.
Pour prendre cette direction, il faut être conscient que cela nécessitera d’entamer des discussions politiques et économiques. Pour être transparent avec vous, la voie politique tracée aujourd’hui postule plutôt de poursuivre sur une solution centralisée où le marché absorbe toute la production locale et augmente en conséquence la réserve nécessaire.
Qui a donc un intérêt à un système centralisé ?
Vu les investissements massifs consentis par les grands producteurs d’énergie (Alpiq, Axpo, FMB, etc.), ces derniers n’ont à ce stade pas intérêt à plaider pour un système décentralisé mais bien à défendre la situation actuelle qui fait grimper les prix de la réserve, soit la valeur de leurs actifs.
Trouve-t-on un endroit dans le monde où un tel équilibre local s’est mis en place ?
Le concept de communautés énergétiques gérées localement existe dans de nombreux pays européens et il est aussi bien encadré dans le Mantelerlass (loi fédérale relative à un approvisionnement en électricité sûr reposant sur des énergies renouvelables). Les besoins y sont gérés afin d’atteindre un certain équilibre et d’éviter d’injecter sur le réseau de trop grandes quantités d’énergie renouvelable.
Ce modèle existe donc, mais il n’a pas encore atteint tout son potentiel. Souvent, le système pousse à utiliser de manière peu intelligente les solutions disponibles, comme les batteries, sans prendre en compte les nécessités du réseau dans son ensemble, notamment la réserve dans les services systémiques.
Existe-t-il aujourd’hui des solutions de stockage suffisamment matures et technologiquement abouties pour réduire la facture ?
Cela dépend de l’échelle de temps concernée. En ce qui concerne, par exemple, le stockage journalier, les batteries sont technologiquement et financièrement abouties.
L’enjeu actuel se situe sur une échelle de temps plus large. Dans une dynamique mensuelle ou saisonnière, le choix se limite à une solution : transformer l’électricité excédentaire en carburants.
« La compression de l’hydrogène nécessite beaucoup d’énergie et son transport est inefficace. L’idéal serait donc de miser sur le gaz synthétique. »
Une transformation en hydrogène ou en gaz synthétique ?
Plutôt du gaz, étant donné que l’hydrogène est facile à produire mais très cher à gérer. La compression de l’hydrogène nécessite beaucoup d’énergie et son transport est inefficace. En utilisant les réseaux gaziers actuels, il n’est possible d’en transporter qu’un tout petit pourcentage (moins de 10 %).
L’idéal est donc de miser sur le gaz synthétique, étant donné que les infrastructures existent déjà. Cette stratégie permettra en plus de valoriser les centrales à gaz à cycle combiné, qui ont un très bon rendement thermodynamique (50-60 %).
L’autre avantage du gaz synthétique par rapport à l’hydrogène se joue au niveau du CO2. Certes, sa fabrication nécessite de l’hydrogène vert, mais aussi du gaz carbonique que l’on peut ainsi utiliser et valoriser, alors que c’est aujourd’hui un déchet que l’on tente d’éliminer. Pour boucler la boucle, la meilleure solution sera de marier la production de gaz synthétique avec des systèmes de capture du CO2 dans les centrales thermiques ou dans les lieux de production où l’on brûle aujourd’hui du méthane.
Qui s’intéresse à ces carburants ?
L’industrie gazière, en particulier en Suisse, mise sur cette solution de stockage pour l’avenir. Mais elle est tributaire d’une collaboration entre les GRD et les gaziers. En résumé, leur alliance permettrait de transformer les surplus d’énergie renouvelable en carburants, de capter le CO2 pour qu’il ne retourne pas dans l’atmosphère et de constituer une réserve d’énergie saisonnière techniquement et économiquement intéressante. Malheureusement, ces deux mondes ne se parlent pas ou trop peu.
Dans un scénario idéal, la Suisse peut-elle envisager une forme d’autarcie énergétique ?
L’autarcie énergétique est un fantasme qui hante le monde politique. Sur le plan technique et économique, elle n’est pas du tout optimale. Si l’Europe a interconnecté tout son réseau électrique, c’est qu’il y a une raison: mutualiser ses actifs afin de s’adapter aux besoins et capacités de production de ses membres, tout en abaissant les coûts globaux.
Pour les pays, il est financièrement intéressant de pouvoir revendre leurs surplus d’énergie au-delà de leurs frontières.
Pourquoi a-t-on cette impression que les pouvoirs politiques ont perdu confiance, qu’ils ne croient plus aux vertus du marché ?
Je vous l’accorde: la confiance n’est pas totale. Mais, en réalité, le système, avec tous ses défauts, fonctionne. Les échanges quotidiens à travers les bourses sont très importants. Honnêtement, malgré quelques signes de tension, le système résiste et fonctionne 24 heures sur 24. Cependant, il est clair qu’il s’agit d’une infrastructure extrêmement complexe et hautement stratégique. Il faut donc s’assurer que les marchés répondent bien aux besoins de la transition énergétique et fournissent les bonnes informations et impulsions pour investir et adapter les réseaux.
Dans un monde idéal, le monopole pourrait être la meilleure solution; un seul acteur aurait toutes les cartes en main pour optimiser les coûts et les bénéfices pour la société. Les économistes en discutent ouvertement, ce n’est plus un tabou. Mais, comme vous le savez, les monopoles ont également des inconvénients. Néanmoins, la question mérite d’être étudiée.
« Dans un monde idéal, le monopole pourrait être la meilleure solution; un seul acteur aurait toutes les cartes en main pour optimiser les coûts et les bénéfices pour la société. »
A-t-on une idée du coût des investissements nécessaires pour moderniser le réseau suisse ?
C’est la question à un million de dollars. En observant ce qui s’est passé dans d’autres régions du monde, on peut essayer de l’estimer. Prenez la région gérée par le CAISO (California Independent System Operator), l’équivalent de notre Swissgrid en Californie. Pour cette région où la quantité d’énergies renouvelables couvre 40 % de la demande d’électricité, les coûts d’exploitation ont doublé. Même si le système est différent du nôtre, il est possible de conclure que les coûts nécessaires pour adapter les infrastructures vont aussi fortement augmenter en Suisse. On l’a déjà vécu avec la hausse du prix de la réserve primaire et secondaire chez Swissgrid.
Maintenant, donner un montant précis est très difficile. Tout dépendra de notre capacité à synchroniser la production d’énergies renouvelables avec les besoins de la population, ainsi qu’à atteindre un équilibre parfait entre offre et demande afin de réduire nos besoins en réserve. Par ailleurs, n’oubliez pas que l’électrification permet d’être plus efficace et de réduire les coûts économiques et environnementaux liés aux énergies fossiles.
In fine, cela signifie-t-il qu’une énergie décarbonée sera beaucoup plus coûteuse pour le consommateur ?
La transition énergétique a pour objectif de réduire notre impact sur le climat. L’aspect économique est secondaire et sera déterminé par notre capacité à équilibrer la production et la consommation.
Peut-on contrôler cette demande par la consommation ?
Oui, on parle alors de "Demand Response". Il s’agit d’un ensemble de technologies permettant d’atteindre une forme de flexibilité en temps réel dans notre consommation d’électricité. Elles comprennent des systèmes permettant de mieux gérer la recharge des véhicules électriques, l’agrégation de la consommation des pompes à chaleur ou encore la consommation des systèmes de conditionnement.
« L'électrification de la mobilité est une excellente nouvelle car les véhicules 100 % électriques répondent à la logique de "Demand Response", à cette flexibilité dont nous aurons besoin à l’avenir. »
La voiture électrique est-elle une chance pour atteindre cette stabilité sur le réseau électrique ?
L'électrification de la mobilité est une excellente nouvelle car les véhicules 100 % électriques possèdent leur propre technologie permettant un contrôle direct de leur recharge. Comme tout est paramétrable, ils répondent à la logique de "Demand Response", à cette flexibilité dont nous aurons besoin à l’avenir.
La recharge bidirectionnelle des voitures représente également un pas dans ce sens, à condition que les constructeurs autorisent cette possibilité. Ce n’est pas une question de bornes, mais de véhicules capables ou non de réinjecter de l’électricité dans le réseau. Pour le moment, il manque un modèle économique permettant d’évaluer les retombées économiques de cette technologie.
Qu'advient-il du vieillissement des batteries induit par une recharge bidirectionnelle ?
C’est clairement un paramètre dont il faudra tenir compte pour élaborer un modèle économique satisfaisant. À l’EPFL, nous travaillons avec de grands constructeurs de voitures électriques pour quantifier ce vieillissement et le rémunérer correctement.
Les tests récents montrent que cette bidirectionnalité des batteries sera atteinte dans un avenir proche. Les prochaines générations pourront en effet enchaîner 4 000 à 5 000 cycles, soit permettre au véhicule de rouler sur un demi-million de kilomètres et de servir ensuite de batterie pour le stockage domestique, pour une seconde durée de vie équivalente.
Ne pourrait-on pas imaginer que les constructeurs louent les batteries puis les recyclent pour les utiliser dans le stockage des réseaux ?
Oui, c’est de l’ordre du possible; ce modèle aurait l'avantage d'offrir une seconde vie aux batteries et de réduire le coût des voitures électriques
Reste que les voitures électriques n’ont pas bonne presse, et beaucoup pensent que les batteries sont polluantes et non recyclables...
Ce sont des mythes et des idées reçues malheureuses. Nous venons de terminer une campagne expérimentale au cours de laquelle nous avons fait vieillir plusieurs batteries. Après la fin de leur première vie, correspondant à quelque 300 000 km de route, nous les avons réutilisées dans le cadre d’un cyclage réseau, donc pour créer de la réserve. La conclusion ? La batterie a été tout aussi efficace pour ce deuxième usage. Le potentiel de recyclage des batteries est donc énorme. Il l’est d’autant plus que, d’ici dix ans, nous aurons besoin d’une quantité énorme de batteries pour alimenter la réserve pour le contrôle de fréquence et pour les besoins des communautés énergétiques.
À quel horizon selon vous, disposerons-nous en Europe et dans le monde d’une électricité 100 % renouvelable ?
Il faut se souvenir qu’on dispose actuellement d’infrastructures construites durant les sept dernières décennies, d’un réseau ayant nécessité cinq générations d’ingénieurs et d’investisseurs! Donc, même si nous disposons aujourd’hui des capacités techniques nécessaires pour cette transition, il faudra du temps et investir des moyens colossaux pour une transition complète.
Certains observateurs ou experts disent que nous entrons dans l’ère de l’abondance énergétique grâce aux énergies renouvelables, tandis que d’autres estiment qu’il faudra faire des sacrifices ou re-développer massivement le nucléaire. Quelle est votre opinion ?
Le potentiel des énergies renouvelables est gigantesque. Il l’est d’autant plus que nous avons la capacité d’extraire cette énergie de manière efficace et à un coût raisonnable.
La barrière restante se situe dans l’intégration de cette énergie dans un réseau qui n’est pas encore suffisamment adapté. Oui, nous entrons dans l’ère de l’abondance pour autant que nous sachions saisir avec intelligence toutes les opportunités offertes par les énergies renouvelables.
Le nucléaire? C’est une forme d'énergie intéressante qu’il ne faudra pas laisser de côté. Mais aujourd’hui, la société n’est pas prête à accepter une nouvelle centrale. L’obstacle est à la fois politique et économique. Alors que les prix des énergies renouvelables baissent, un investisseur privé ne démarrera pas un projet de centrale en raison des années nécessaires pour la construire et surtout pour l’amortir.
« Le potentiel des énergies renouvelables est gigantesque et nous entrons dans l’ère de l’abondance pour autant que nous sachions en saisir avec intelligence toutes les opportunités. »
Parlons du boom actuel de l’intelligence artificielle (IA) et de notre besoin effréné en serveurs et centres de calcul. On sait que cela va nécessiter une part croissante d’énergie. Est-ce que cette évolution vous inquiète ?
Oui, énormément. Actuellement, les centres de données consomment 2 % de l’énergie produite mondialement. D’ici 2030, ce chiffre devrait passer à 10 %, ce qui équivaut à une croissance colossale. En Suisse, avec 77 data centers sur le territoire, nous sommes même l’un des pays comptant le plus de centres de données en fonction de sa population.
Pour tenter de réduire l’impact de la consommation effrénée d’énergie, nous avons développé un projet baptisé “Heating Bits”. Le but de ces recherches est de récupérer et réutiliser la chaleur dégagée sur les sites pour aider à chauffer des infrastructures urbaines locales en hiver ou - durant les périodes estivales - de transformer une partie résiduelle de la chaleur en électricité.
On cherche aussi à synchroniser les tâches exécutées par les centres de données avec les sources d’énergie renouvelable, d'orchestrer un équilibre optimal entre la demande et l’offre afin de réduire au maximum l’empreinte carbone de ces centres de données et du réseau électrique.
Le dernier avantage est que nous utilisons des vieux serveurs pour ce projet dans le but de créer plus de chaleur. Il y a donc des retombées intéressantes sur le recyclage des systèmes jugés aujourd’hui dépassés.
Dans le domaine de la recherche, les efforts sont-ils suffisants ?
Sur le plan théorique, de nombreux efforts ont été menés, et cela à l’échelle mondiale. Maintenant, nous sommes au stade où il faut passer à l’action et appliquer les techniques existantes à l’aide d’industriels audacieux.
Existe-t-il des industriels audacieux ?
Depuis quelques années, j’observe un changement générationnel dans les grandes entreprises énergétiques. Les jeunes ingénieurs sortant de l’EPFL sont en train d’être absorbés par le secteur industriel. L’aspect positif est qu’ils sont conscients des nouvelles technologies et qu’ils commencent à influer sur la philosophie des acteurs privés en faveur des énergies renouvelables.
En somme, est-ce que votre message est que les solutions existent et qu’il ne reste plus qu’à les appliquer même si beaucoup de politiciens en doutent encore ?
Exactement. On l’a montré concrètement à Aigle avec un projet réalisé en collaboration avec Romande Energie. Nous avons prouvé qu’il était possible de contrôler entièrement un réseau avec une capacité de production deux fois supérieure à la demande. À l’aide d’un système de stockage efficace, nous avons pu atteindre un bon équilibre local.
En conclusion, nous connaissons bien les problèmes de la transition énergétique. La bonne nouvelle, c’est que nous avons une panoplie de solutions qui sont aujourd’hui à maturité. Nous pouvons passer à l’action sans crainte.