« La mutualisation des espaces est un idéal porté par une frange assez restreinte de personnes »

Entretien avec Fabien Anex, président de l’USPI Vaud (Union Suisse des Professionnels de l’Immobilier) et directeur de M&B gérance immobilière SA.

« La mutualisation des espaces est un idéal porté par une frange assez restreinte de personnes »
Fabien Anex, président de l’USPI Vaud (Union Suisse des Professionnels de l’Immobilier) et directeur de M&B gérance immobilière SA.

« En transformant les immeubles lors de leur assainissement de manière à réduire les espaces privatifs et augmenter les surfaces mutualisées, il serait possible d'offrir à chaque habitant plus de mètres carrés tout en diminuant la surface globale par habitant », écrivait, dans une précédente opinion, Philippe Thalmann.

Selon le professeur d'économie de l'environnement à l'EPFL, ce modèle peut être économiquement viable. « Si le même bâtiment accueille 40 personnes au lieu de 30, il devient possible d’augmenter les revenus locatifs tout en réduisant le loyer par personne. Le propriétaire rentabilise ainsi l'assainissement et la transformation du bâtiment. Tout le monde est gagnant ! »

Suite aux nombreuses réactions suscitées par cette idée d'une plus grande mutualisation des espaces, nous avons voulu connaître l'opinion des acteurs et experts du secteur immobilier. C'est au tour de Fabien Anex, président de l’USPI Vaud (Union Suisse des Professionnels de l’Immobilier) et directeur de M&B gérance immobilière SA.

La mutualisation accrue des espaces pourrait-elle être une piste sérieuse pour l’avenir du secteur immobilier en Suisse ?

L’approche mathématique présentée dans cette analyse se tient. Toutefois, j’émets de sérieux doutes quant à l’adoption à grande échelle du mode de vie qu’impliquerait une mutualisation de certaines surfaces communes.

Prenons l’exemple du partage d’une cuisine. Le concept de cuisine partagée dans un immeuble résidentiel est intéressant sur le plan théorique, notamment pour encourager le lien social ou optimiser l’usage des espaces. Mais dans la pratique, il soulève de nombreuses contraintes. La cuisine est un espace hautement personnel, souvent ancré dans des habitudes culturelles, religieuses ou simplement domestiques. Partager cet espace suppose non seulement une grande tolérance, mais aussi des règles claires et rigoureuses en matière d’hygiène, de gestion des horaires et de respect mutuel.

Dans un immeuble classique, où les profils des habitants sont très variés, la mutualisation des espaces de vie m’apparait comme une source de tensions. Des exemples existent, mais ils fonctionnent généralement dans des contextes de cohabitation volontaire et encadrée, comme avec les coopératives dites « d’habitants ». Mais dans l’idée d’une application de ce modèle à large échelle, je pense que cette mutualisation présente plus de limites que d’avantages.

On parle souvent de la « nécessité » de réduire les surfaces habitables, mais dans la réalité, cette nécessité entre rarement en ligne de compte dans les choix individuels.

Cette mutualisation des espaces permettrait-elle de consacrer davantage de ressources à la rénovation plutôt qu’à la construction de nouveaux logements – et ainsi combler le retard pris par la Suisse dans la transformation de son parc immobilier ?

D’un point de vue pratique, il me semble qu’une rénovation de bâtiment existant — notamment dans le cadre d’un assainissement énergétique — est plus « simple » à mettre en œuvre et génère moins de nuisances qu’un projet visant à convertir des espaces privés en zones communes.

Concrètement, un assainissement énergétique va principalement se faire sur l’enveloppe d’un bâtiment, avec peu d’interventions dans les logements. À l’inverse, la transformation d’un plan d’étage pour mutualiser des surfaces suppose des travaux lourds : abattage de murs, réorganisation des accès, reprise des réseaux électriques et sanitaires, etc. Bref : des travaux plus onéreux, plus long, plus intrusifs et nuisibles pour les habitants.

Dans cette optique, je ne considère pas la transformation d’espaces privés en zones partagées comme une piste réaliste ou efficace pour combler le retard pris dans la construction.

Depuis des années, on entend cette nécessité de réduire la taille des logements, mais le secteur semble rester sourd à cette demande...

Il est important de rappeler une donnée fondamentale : le secteur immobilier répond à la demande des utilisateurs. On parle souvent de la « nécessité » de réduire les surfaces habitables, mais dans la réalité, cette nécessité entre rarement en ligne de compte dans les choix individuels. La grande majorité des locataires et des acquéreurs restent guidés par leurs intérêts propres : à prix équivalent, ils privilégieront systématiquement les logements offrant plus d’espace. Soyons clairs : je ne connais personne prêt à opter volontairement pour une surface plus petite, simplement « pour le bien de la société ».

Autre constat sociétal : l’évolution des modèles familiaux. En 1980, un mariage sur trois se terminait par un divorce. Trente ans plus tard, c’est un sur deux. Ce phénomène a un impact direct sur les besoins en surface. Là où une famille de quatre personnes occupait 100 m², il faut désormais deux logements d’environ 75 m² chacun. On passe ainsi de 25 m² par personne à 37 m² par personne.

Les milieux de l’immobilier n’ont pas attendu les alertes pour agir : les émissions de CO₂ liées aux bâtiments résidentiels et non résidentiels ont diminué de 44 % en 2022 par rapport à leur niveau de 1990.

Quelles pistes concrètes existent pour réduire l’impact climatique du secteur immobilier suisse ?

Premièrement — et comme le rappelle le Professeur Thalmann — les milieux de l’immobilier n’ont pas attendu les alertes pour agir : les émissions de CO₂ liées aux bâtiments résidentiels et non résidentiels ont diminué de 44 % en 2022 par rapport à leur niveau de 1990. Cette baisse s’explique en grande partie par l’accélération des assainissements énergétiques, rendue possible grâce au renforcement des mesures d’accompagnement.

Parmi celles-ci, on peut citer les programmes de subventions, ainsi qu’une certaine simplification des démarches administratives. Sur ce point, des efforts peuvent encore être faits en matière d’autorisation de rénover. Un obstacle persistant réside dans la complexité des arbitrages entre exigences énergétiques et préservation du patrimoine bâti. Cet équilibre délicat constitue un frein important aux projets d’assainissement, qu’il y a lieu d’améliorer.  

Par ailleurs, je relève qu’il est particulièrement difficile de « valoriser » un projet d’assainissement énergétique. Pourtant, il serait parfois possible, en rénovant un immeuble résidentiel, de créer simultanément de nouveaux logements tout en améliorant l’isolation du bâtiment.

Je l’ai expérimenté concrètement dans des projets menés à Lausanne et à Écublens faisant face à deux obstacles notables. D’une part, les contraintes patrimoniales — par exemple, l’interdiction de percer de nouvelles fenêtres en toiture pour des raisons d’esthétique. D’autre part, l’opposition du voisinage, qui refusait toute surélévation du bâtiment, même de quelques centimètres.

Si nous avions obtenu l’autorisation de créer simplement quatre fenêtres en toiture, ou si les oppositions des voisins avaient été levées, nous aurions pu créer six logements supplémentaires tout en réduisant le coût des travaux d’assainissement et donc en évitant une hausse des loyers après travaux.  

Le secteur immobilier fait actuellement face à une suroffre de bureaux. Ces espaces, une fois réaménagés, ne pourraient-ils pas répondre au besoin croissant de logements intégrant davantage d’espaces mutualisés ?

La situation du marché de locatif non résidentiel n’est pas claire à mes yeux. D’un côté, une étude menée par Lausanne Région prévoit un déficit de près de 400 000 m² de surfaces non résidentielles d’ici à 2040. De l’autre, la suroffre actuelle semble contredire cette tendance — du moins pour l’instant. Mais si l’étude se confirme, on ne fait que reporter le problème.

En outre, les zones où se développent ces surfaces administratives ne sont pas nécessairement situées dans des quartiers destinés à accueillir des logements. Et la volumétrie des espaces sont adaptés à des affectations administratives. Excentrées, froides et distancées des lieux sociaux (écoles, crèches, restaurants, etc.), ces constructions doivent souvent faire l’objet de grosses transformations pour être rendues habitables. Ces adaptations, coûteuses, finissent inévitablement par se répercuter sur les prix de vente ou les loyers. Autrement dit, la piste de la réaffectation mérite d’être examinée, mais elle ne peut en aucun cas être généralisée comme solution au manque de logements.

Quant à la mutualisation des espaces, je persiste à penser qu’il s’agit d’un idéal porté par une frange relativement restreinte de personnes. Et il est fort probable que certains d'entre eux finiraient par reconsidérer leurs convictions le jour où ils devraient, concrètement, partager leur cuisine ou leur chambre d’amis au quotidien…

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