Dans son rapport publié à la mi-décembre 2024, la Confédération a tenté d’anticiper l’avenir de ce vecteur énergétique. Un exercice difficile, vu le manque flagrant de marché en Suisse.
Après avoir lu le roman d'anticipation de Kim Stanley Robinson, Adèle Thorens Goumaz en est convaincue : « Nous n’avons pas seulement besoin de solutions technologiques, mais aussi de nouveaux récits, de nouveaux imaginaires qui nous motivent à prendre des décisions responsables. »
La Suisse fait face au pari incertain de l’hydrogène vert
Dans son rapport publié à la mi-décembre 2024, la Confédération a tenté d’anticiper l’avenir de ce vecteur énergétique. Un exercice difficile, vu le manque flagrant de marché en Suisse.
Quel est l’avenir de l’hydrogène vert en Suisse, et plus largement en Europe ? C’est la grande inconnue du moment. Cette source d’énergie, autrefois perçue comme un levier majeur de la transition des énergies fossiles vers des alternatives décarbonées, est aujourd’hui en train de perdre de son élan.
Dans un récent rapport, le cabinet Ernst & Young (EY) met en évidence la fragilité de la promesse que représente l’hydrogène vert en Europe. Les nombreuses controverses sur ses méthodes de production ralentissent considérablement les projets et remettent en question les ambitions européennes à l’horizon 2030. « Bien que les projets industriels en Europe totalisent une capacité annoncée de 142 GW, 98 % de ces projets restent au stade de faisabilité. Seuls 2 % ont franchi l’étape cruciale de la décision finale d’investissement », précise le rapport.
Les obstacles politiques ne sont pas les seuls à compromettre l’avenir de l’hydrogène. Le secteur doit également faire face à une électrification croissante de la société et des transports. Cette tendance remet en question, sur le long terme, le rôle de l’hydrogène en tant qu’option viable pour atteindre la neutralité climatique, objectif poursuivi par les principales nations du monde.
En Suisse, l’incertitude est totale. L’Office fédéral de l’énergie (OFEN) estime que la demande d’hydrogène pourrait se situer « entre 0,8 et 1,8 TWh en 2030, et atteindre entre 3,6 et 10 TWh en 2050 ».
Cette projection reste toutefois très incertaine, car les industriels ne savent pas encore sur quels vecteurs énergétiques renouvelables ils miseront à l’avenir. De plus, dans le domaine de la mobilité, - notamment celle dite lourde -, la part des véhicules à pile à combustible reste une inconnue. « Les besoins futurs en hydrogène doivent être réévalués à intervalles réguliers », indique un rapport mandaté par la Confédération et publié à la mi-décembre 2024.
Les principaux enseignements à en tirer :
1️⃣
Neutralité climatique : Malgré les nombreuses inconnues entourant le futur de l’hydrogène, le rapport présente la ressource comme un vecteur énergétique clé pour parvenir à un approvisionnement sans émissions de CO₂ d’ici 2050. Son rôle est particulièrement mis en avant dans les secteurs industriels requérant de la chaleur à haute température, ainsi que dans certains segments des transports et de la production d’électricité.
L’hydrogène pourrait également contribuer à renforcer la sécurité de l’approvisionnement énergétique. « Il peut être utilisé pour produire de l’électricité afin d’alimenter le réseau en courant neutre en CO2 pendant l’hiver, lorsque la situation en matière d’approvisionnement est tendue », indiquent les experts de l’OFEN.
2️⃣
Scénario envisagé : La stratégie hydrogène de la Suisse pourrait s’articuler autour de deux axes. Le premier, compte tenu des prévisions indiquant une demande limitée, repose sur une production nationale jusqu’au milieu des années 2030. Selon le rapport, « l’hydrogène suisse pourra être produit dans des centrales électriques existantes ou chez l’utilisateur qui le consomme directement sur place ou le transporte sur d’autres sites. »
Ensuite, en supposant qu’un marché finisse par émerger, le second axe de la stratégie prendra une dimension plus européenne. Dès 2035, les besoins en hydrogène du pays seraient majoritairement couverts par des importations. « Pour les entreprises suisses, on s’attend à ce qu’à long terme, l’importation par gazoduc d’hydrogène et de dérivés PtX s’avère plus avantageuse que la production propre », estiment les spécialistes de l’OFEN.
Le rapport souligne ainsi l’importance du raccordement de la Suisse au futur réseau européen. Les gestionnaires des réseaux de transport de gaz en Europe se sont regroupés dans le cadre du projet « European Hydrogen Backbone » (Dorsale hydrogène européenne), visant à déployer d’ici 2040 un réseau de transport d’hydrogène couvrant l’ensemble du continent.
3️⃣
Soutien et incitations fédérales : Compte tenu des ambitions actuelles de la Suisse en matière d’hydrogène, le Conseil fédéral envisage d’éventuelles mesures de soutien. « Les demandes d’encouragement peuvent être déposées par des entreprises individuelles ou par des consortiums comprenant des producteurs d’hydrogène. Le regroupement géographique ou clusters de producteurs d’hydrogène ou de dérivés PtX sous la forme de consortium sont donc, eux aussi, éligibles pour ces aides », indique le rapport.
Sur le plan européen, compte tenu de la stratégie d’importation de molécules décarbonées que la Suisse envisage à long terme, le Conseil fédéral étudie déjà la nécessité d’un éventuel soutien. « Le raccordement au réseau européen d’hydrogène est dans l’intérêt commun de la Suisse et des pays voisins. C’est pourquoi les gestionnaires de réseau sont invités à demander, si possible sur la base d’un projet déjà bien abouti, un soutien financier pour des conduites transfrontalières par le biais des mesures déjà en place dans l’UE. »
4️⃣
Mesures à l’étude : Tout en dressant un bilan des mesures en cours, le rapport du Conseil fédéral évoque plusieurs pistes à explorer pour soutenir l’industrie suisse de l’hydrogène.
Elles impliquent notamment : - Un Monitoring régulier auprès des associations économiques et des fournisseurs d’énergie afin d’évaluer l’évolution de la demande. « L’objectif est de recenser régulièrement les besoins futurs en hydrogène et en dérivés PtX pour les années 2030, 2040 et 2050 auprès de l’industrie, du commerce, du secteur de la mobilité, des fournisseurs d’énergie et des exploitants d’installations de production d’énergie », écrivent les experts de la Confédération.
- De sortir de la bulle suisse en s’associant au plus vite aux initiatives initiées dans le programme « Horizon Europe ».
- Une implication renforcée des cantons. Les recommandations fédérales incluent notamment l’élaboration d’une stratégie hydrogène, une réévaluation de leurs plans directeurs et de leurs pratiques en matière d’autorisation, une harmonisation du cadre légal, ainsi qu’un soutien à la formation et au perfectionnement du secteur.
- De revoir la réglementation tant technique (sur la sécurité du réseau) que de marché (les dispositions concernant l’accès au marché et le financement du réseau).
- De réfléchir à la question du stockage. « Les exploitants d’infrastructures destinées à la constitution des réserves obligatoires doivent examiner si l’infrastructure existante pour les combustibles et carburants fossiles, ou celle qui se libère, peut être utilisée dans une mesure appropriée pour le stockage d’agents énergétiques de synthèse liquides », indique le rapport.
Bien que relativement détaillé, le travail de recherches menés par la Confédération demeure problématique sur un point essentiel : il apporte peu de réponses concrètes quant à l’avenir de l’hydrogène. S’il a le mérite de poser les bonnes questions, il met en évidence l’ampleur du travail restant pour déterminer si l’hydrogène a un réel avenir en Suisse.
Naturellement, tout dépendra de l’évolution de la demande et des opportunités de marché à venir. Un dossier à suivre de près.
Après avoir lu le roman d'anticipation de Kim Stanley Robinson, Adèle Thorens Goumaz en est convaincue : « Nous n’avons pas seulement besoin de solutions technologiques, mais aussi de nouveaux récits, de nouveaux imaginaires qui nous motivent à prendre des décisions responsables. »