L’agrivoltaïsme entre promesse et réalité

Couplant la production agricole et l’énergie solaire, l’agrivoltaïsme offre des perspectives prometteuses en Suisse où les surfaces dédiées à l’agriculture, ainsi qu’à la production d’énergie renouvelable, sont limitées.

L’agrivoltaïsme entre promesse et réalité
L’agrivoltaïsme consiste en une association sur une même surface d’une production agricole (principale) et d’une production d’électricité photovoltaïque (secondaire) impliquant le partage du rayonnement solaire entre ces deux activités. DR

La concurrence pour l’usage du sol, la baisse des prix de rachat de l’électricité et les incertitudes réglementaires exercent une forte pression sur le marché du solaire en Suisse. Selon l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), la part du photovoltaïque dans la consommation électrique du pays a, pour la première fois, dépassé 10 % en 2024, atteignant 11 %.

La production suisse, en comparaison internationale, reste toutefois modeste. En 2023, le pays se classait au 10ᵉ rang mondial pour la puissance installée par habitant, avec 711 watts par personne. D’après le Baromètre du marché solaire suisse 2024, publié par Swissolar, « la production d’énergie solaire est appelée à drastiquement augmenter dans un futur proche, passant de 6 GW installés en 2024 à 32 GW en 2035 ». Dans ce contexte, l’agrivoltaïsme, également appelé agri-PV, cherche à se faire une place.

De quoi parle-t-on au juste ?

L’agrivoltaïsme consiste en une association sur une même surface d’une production agricole (principale) et d’une production d’électricité photovoltaïque (secondaire) impliquant le partage du rayonnement solaire entre ces deux activités. L’enjeu est ainsi de garantir un niveau de production électrique minimum sans pour autant impacter le rendement agricole.

Après avoir mené de nombreux projets de recherche, notamment en collaboration avec Romande Energie et Agroscope, la pionnière Insolight propose des solutions d’agri-PV depuis 2021, en Suisse et en Europe. « Nous avons effectué de nombreux tests sur divers types de cultures et dans différentes conditions climatiques notamment en partenariat avec Agroscope. Les besoins spécifiques de chaque culture en matière de rayonnement, ainsi que la variabilité saisonnière, doivent être intégrés au moment de la conception », explique Laurent Coulot, CEO et fondateur.

L’agrivoltaïsme ne signifie donc pas couvrir toutes les cultures de panneaux solaires, mais cibler celles qui peuvent bénéficier d’un microclimat modifié par l’installation de cellules photovoltaïques. Il s’agit notamment de la réduction du rayonnement solaire (ombrage), de la modification de la température ou encore de l’humidité du sol.

insolagrin : un outil agronomique développé pour protéger les cultures et produire de l’énergie solaire en même temps. @Insolight

Quelques cas concrets

La culture des baies ou le maraîchage peuvent, par exemple, tirer parti de l’ombrage pour favoriser leur croissance. Dans des conditions chaudes et sèches, cela permettrait de réduire les besoins en eau des plants. De manière générale, les agronomes étudient le seuil au-delà duquel un excès de lumière n’entraîne plus d’augmentation de la photosynthèse des plantes. Ce seuil, appelé « seuil photosynthétique », permet d’évaluer le potentiel photovoltaïque dans des conditions d’ensoleillement données.

« Il faudra mettre en place un cadre réglementaire permettant d’accompagner les agriculteurs souhaitant développer des pratiques d’agrivoltaïsme », explique Laurent Coulot, CEO et fondateur de Insolight.

Outre l’ombrage, les panneaux apportent également une protection efficace contre les aléas climatiques tels que la grêle ou le gel. Le remplacement des tunnels en plastique chauffés au gaz, fortement émetteurs de CO₂, par des panneaux solaires prend tout son sens, en permettant aux exploitants de bénéficier d’une autoconsommation d’énergie décarbonée.

Pour les grandes cultures, en revanche, le passage d’engins mécaniques volumineux, dont les dimensions varient en fonction de la rotation des cultures, complique l’installation de tels dispositifs. Dans ce contexte, les panneaux solaires pourraient être disposés en alternance avec les cultures, jouant le rôle de haies apportant de l’ombre, bénéfique au développement de la biodiversité. Il est également possible de combiner production solaire et élevage, mais là aussi certaines espèces se prêtent mieux à ce modèle, comme les moutons.

Créer un cadre législatif clair et incitatif

Une évaluation détaillée de l’impact sur la production agricole est essentielle pour éviter que l’agrivoltaïsme ne devienne un simple prétexte à l’expansion de la production énergétique au détriment de l’agriculture, en réduisant les rendements ou en favorisant des cultures pour des raisons purement énergétiques.

Outre l’ombrage, les panneaux apportent également une protection efficace contre les aléas climatiques tels que la grêle ou le gel. @Insolight

Laurent Coulot mentionne d’autres dérives potentielles, telles qu’une spéculation inhabituelle sur le prix des terrains dans certains pays, en fonction de leur potentiel de production énergétique. « Il faudra mettre en place un cadre réglementaire permettant d’accompagner les agriculteurs souhaitant développer des pratiques d’agrivoltaïsme. Fondé sur des critères clairs et réalistes, ce cadre favorisera la réalisation de projets répondant aux exigences de l’ensemble des acteurs », explique l’entrepreneur.

L’ensemble des acteurs doit ainsi être impliqué : les exploitants agricoles, les installateurs, les énergéticiens, mais aussi les pouvoirs publics.

À ce titre, le législateur s’est récemment emparé de cette pratique. En France, pays confronté à une véritable ruée vers l’installation de panneaux solaires sur des terres cultivées, un décret relatif à la loi sur l’Accélération de la production d’énergies renouvelables (APER), datant du printemps 2024, précise désormais les conditions de mise en œuvre des projets agrivoltaïques. L'évolution est similaire en Allemagne, où plusieurs amendements ont été récemment publiés afin de prendre en compte les spécificités de cette pratique, notamment dans la Loi sur les énergies renouvelables (EEG).

Bien que certains experts déplorent encore une certaine complexité juridique résultant de la cohabitation de plusieurs secteurs du droit, parfois divergents et non coordonnés (urbanisme, environnement, énergie), ils saluent néanmoins une avancée vers la définition d’indicateurs communs.

« Les installations agrivoltaïques ne causent aucune atteinte au paysage si elles étaient placées, par exemple, au-dessus de cultures protégées à l'heure actuelle par des tunnels en plastique ou des filets », écrit le conseiller national Rocco Cattaneo.

Premières avancée en Suisse

En Suisse, le conseiller national Rocco Cattaneo (PLR) a déposé une motion en décembre 2022. Afin d’éliminer les obstacles bureaucratiques au développement de l’agrivoltaïsme, il y propose d'adapter l'art. 18 de la loi sur l'aménagement du territoire (LAT). « Les installations agrivoltaïques ne causent aucune atteinte au paysage si elles étaient placées, par exemple, au-dessus de cultures protégées à l'heure actuelle par des tunnels en plastique ou des filets. Il convient de noter par ailleurs que les installations agri-photovoltaïques ne sont pas fixes : leur mise en place ne nécessite pas de ciment et n'a aucune incidence sur le terrain », écrivait le politicien suisse.

Acceptée par le Conseil fédéral, la motion a finalement été intégrée à la révision de la Loi sur l’électricité, approuvée par le peuple lors de la votation du 9 juin 2024. Elle autorise notamment le recours aux installations agrivoltaïques, à condition que celles-ci aient des conséquences positives pour la production agricole, sans toutefois préciser de seuils ni d’indicateurs concrets.

Si les spécialistes saluent un pas en avant vers plus de clarté, ils regrettent cependant l’absence d’indicateurs chiffrés et essentiels pour permettre une mise en œuvre efficace par les cantons. « Les précisions apportées dans la loi élargissent le champ d’application et sont à saluer, mais elles ne précisent pas de critères objectifs vérifiables, notamment en termes de hauteur minimale des installations ou de taux de couverture par parcelle. Davantage de précisions permettrait de raccourcir les délais d’autorisation », précise Laurent Coulot.

Face au défi colossal de la transition énergétique et des besoins croissants en électricité, il est indispensable d’intégrer l’ensemble des solutions disponibles. Loin d’être une solution miracle, l’agrivoltaïsme contribue néanmoins à la myriade de réponses à apporter à ce défi majeur de notre époque.

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