« Dépendre du gaz étranger nous rend vulnérables vis-à-vis de nos partenaires européens »
Entretien avec François Fellay, directeur général d'Oiken.
Entretien avec Michael Beer, responsable Markets & Regulation chez BKW.
Dans une interview accordée début décembre au « Tages-Anzeiger », Christoph Brand, directeur général du groupe Axpo, a mis en garde la Suisse contre le risque sérieux de pénuries d'énergie durant l'hiver.
Pour étayer ses propos, le directeur a évoqué le cas du 6 novembre 2024, une journée qualifiée de « sombre accalmie », c’est-à-dire sans soleil ni vent pour alimenter les panneaux photovoltaïques et les éoliennes. « Alors que toutes les centrales électriques d’Allemagne fonctionnaient à pleine capacité et que les lignes d’importation étaient saturées, la demande a tout juste été satisfaite. Imaginez si cela s’était produit par une froide journée d’hiver : les lumières se seraient éteintes », a-t-il affirmé.
En cette période où le Conseil fédéral semble prêt à rouvrir la porte du nucléaire en Suisse, avec son récent contre-projet visant à modifier la loi sur l’énergie nucléaire, l’avenir énergétique du pays est au centre des préoccupations. Mais bien avant toute relance du nucléaire, c’est le gaz qui semble recueillir la majorité des suffrages.
Au cours de ce mois de janvier, nous nous intéresserons à la réémergence de cette source d'énergie dans les esprits. Le point de vue de Michael Beer, responsable des marchés et de la régulation chez BKW.
Partagez-vous l'analyse de Christoph Brand sur le risque sérieux de pénurie future d’électricité en Suisse ?
L’électrification croissante de la société et la sortie progressive du nucléaire signifient qu’à long terme, la Suisse devra développer des sources d’énergie supplémentaires pour assurer un approvisionnement énergétique fiable. En hiver notamment, une pénurie d’électricité pourrait survenir en raison de faibles niveaux d’eau, de défaillances de centrales électriques ou de restrictions sur les importations d’énergie depuis l’étranger. Il est donc crucial d’être conscient de ce risque et de prendre des mesures préventives appropriées.
Que faudrait-il faire pour réduire ce risque au minimum ?
Il est judicieux de répondre au risque de pénurie d’électricité par un ensemble de mesures complémentaires. Cela passe tout d’abord par le développement de la production nationale, notamment en hiver. L’expansion de l’hydroélectricité, de l’énergie éolienne et solaire – y compris dans les régions alpines – est incontestablement cruciale.
Ensuite, il est essentiel d’assurer une intégration efficace et juridiquement sécurisée de la Suisse dans le marché européen de l’électricité. Notre accord énergétique récemment signé avec l’UE devrait considérablement renforcer cette sécurité d’approvisionnement.
Des investissements dans des réseaux électriques modernes et intelligents, dans les technologies de stockage d’énergie ainsi qu’une augmentation de la flexibilité vont également jouer un rôle fondamental. Enfin, l’efficacité énergétique demeure un levier clé : chaque kilowattheure économisé contribue directement à équilibrer l’offre et la demande.
Une coordination harmonieuse de ces mesures rendra notre approvisionnement en électricité plus résilient.
À l’avenir, il sera techniquement possible d’exploiter ces centrales avec des sources d’énergie non fossiles, telles que des gaz renouvelables ou de l’hydrogène vert.
Votre confrère plaide en faveur de nouvelles centrales à gaz pour éviter tout risque de pénurie, quelle est votre position sur ce dossier ?
Les centrales à gaz offrent une solution efficace pour équilibrer l’offre et la demande en tout temps, tout en assurant une grande flexibilité. Leur mise en service peut être réalisée en quelques années si nécessaire. À l’avenir, il sera techniquement possible d’exploiter ces centrales avec des sources d’énergie non fossiles, telles que des gaz renouvelables ou de l’hydrogène vert. Toutefois, il est prématuré d’affirmer que la Suisse aura besoin de centrales à gaz. Cette nécessité dépendra de l’évolution du développement des énergies renouvelables sur le territoire et de l’intégration sécurisée de la Suisse au marché européen.
Dépendre en partie du gaz, c’est dépendre aussi de la bonne volonté de l’Europe de nous le fournir. Ne faudrait-il pas enfin traiter de la problématique du stockage ?
Le stockage joue un rôle crucial pour chaque source d’énergie. La détermination de la capacité de stockage nécessaire en Suisse relève avant tout d’une gestion des risques politiques et ne peut être résolue uniquement sous l’angle énergétique.
Dans le mix énergétique visé par la Suisse, plutôt que de parier sur le gaz, ne faudrait-il pas investir plus fortement dans l’hydrogène ?
L’hydrogène a le potentiel de jouer un rôle central dans le mix énergétique futur. Cette technologie permet de substituer le gaz par de l’hydrogène. Il ne s’agit pas d’un choix exclusif : les deux sources d’énergie sont complémentaires et peuvent se remplacer mutuellement selon les besoins. Un raccordement de la Suisse au réseau européen de transport d’hydrogène serait une option stratégique et pertinente.