« En pratique, l’idée de transition a contribué à légitimer une procrastination collective face à la crise climatique », estime Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences, des techniques et de l’environnement.
D’ici quelques semaines, du 30 septembre au 2 octobre, se tiendra la sixième édition de Building Bridges. En amont de ce rendez-vous désormais incontournable autour de la finance durable, nous vous proposons cette toute première série de podcasts.
« L’histoire des énergies montre qu'il n’y a jamais eu de véritable transition dans le passé »
« En pratique, l’idée de transition a contribué à légitimer une procrastination collective face à la crise climatique », estime Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences, des techniques et de l’environnement.
Historien des sciences, des techniques et de l’environnement, Jean-Baptiste Fressoz explore depuis plusieurs années la manière dont les sociétés ont transformé et exploité leur environnement, tout en déconstruisant les récits trop lisses du progrès et de la modernité. C’est notamment le cas avec son dernier ouvrage : « Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie ».
Publié l’an passé, ce livre montre qu’au cours des deux derniers siècles, les énergies ne se sont pas remplacées mais additionnées, entraînant un emballement inédit de la consommation et de ses impacts. Pour ce chercheur au CNRS et enseignant à l’EHESS, l’histoire révèle que l’humanité n’a jamais connu de véritable transition énergétique et qu'il est peu probable qu'elle en vive une dans les décennies à venir. Entretien.
Commençons par une question simple : au regard du titre de votre dernier livre, avons-nous mal choisi notre nom en optant pour SwissPowerShift ?
Ce n’est pas mon rôle de jouer les censeurs. Disons que l’idée de « transition énergétique » relève davantage du slogan que d’une notion scientifique rigoureuse. Installer des énergies renouvelables ou des voitures électriques revient simplement à diminuer l’intensité carbone de l’économie. Cela ne constitue pas, à proprement parler, une « transition énergétique ».
Comment vous est venue cette envie de contester d'une certaine manière l’ordre établi, ce désir de remettre en question un terme aujourd’hui employé par tous ?
Il ne s’agit pas tant d’une contestation de l’ordre établi que d’une réaction au galvaudage permanent du terme « transition ». Il suffit de se pencher un peu sur l’histoire des énergies pour se rendre compte qu’en réalité, il n’y a jamais eu de véritable transition dans le passé, mais que ce mot a été instrumentalisé à des fins politiques ou économiques. En approfondissant le sujet, j’ai découvert que la responsabilité n’incombait pas seulement aux politiques, mais aussi à certains historiens, dont les travaux ont parfois entretenu cette confusion.
En observant ensuite que ces théories étaient reprises par des experts du climat, j’ai jugé que cette situation devenait assez grave : on ne peut pas faire dire n’importe quoi à l’histoire. Prenons l’exemple concret du pétrole et de l’électricité au XXe siècle : ces deux ressources sont souvent présentées comme deux « transitions énergétiques », alors même que l’électricité a d’abord accru la consommation de charbon et que le pétrole ne l’a pas nécessairement réduite.
Si le concept de transition rend si mal compte des transformations passées, c’est parce qu’il n’a jamais été conçu pour cela. Son objectif n’était pas de proposer une vision empirique du passé, mais d’anticiper l’avenir. Depuis le début des années 2000, on s’est mis à chercher dans l’histoire de l’énergie des indices, des bribes de réponses aux questions contemporaines les plus brûlantes : combien de temps une transition peut-elle prendre ? Comment l’accélérer ? Avec quels moyens ? Or l’histoire est incapable de nous aider sur ces questions.
Dans votre livre, vous dénoncez la manière dont les historiens ont découpé l’histoire en âges, une vision que vous qualifiez de « phasiste »…
Cette manière de concevoir l’histoire comme une succession d’époques matérielles distinctes remonte à la seconde moitié du XIXᵉ siècle. Le problème ne vient pas de la périodisation en soi — certaines sont tout à fait légitimes — mais du fait d’avoir isolé et utilisé des sources d’énergie particulières pour définir une époque. Or, l’histoire matérielle est bien différente : ce n’est pas une histoire de phases et d’âges, mais une histoire d’empilements, de stratifications et de symbioses.
Ce « phasisme » de notre récit historique n’est pas sans conséquences. Il explique la facilité avec laquelle, face au changement climatique, la notion de transition énergétique s’est imposée comme une évidence : une notion apparemment solide et rassurante. Elle permet d’ancrer une certaine futurologie dans l’histoire, alors même que ce futur n’a, en réalité, aucun passé.
En évoquant une sortie étalée sur cinquante ans des énergies fossiles à l’échelle mondiale, certains experts ont laissé croire que l’urgence n’était pas immédiate.
À partir de quand le terme « transition énergétique » est-il devenu une évidence aussi populaire ?
L’idée de « transition énergétique » naît d’abord dans un contexte marqué par la guerre froide et les sciences atomiques. Dans un rapport de 1953, à l’Atomic Energy Commission, Palmer Cosslett Putnam avertissait déjà qu’il faudrait à terme faire une transition vers l’énergie atomique d’une part car on manquerait de ressources fossiles, de l’autre parce que les fossiles pourraient dangereusement modifier le climat. Il faut souligner ce point : l’alerte climatique a été portée très tôt par des promoteurs de l’atome.
Aux États-Unis, les premiers outils pour étudier le climat — satellites, ballons-sondes, supercalculateurs, mais surtout spectrographes de masse hérités du projet Manhattan — furent mobilisés par des savants atomistes. Ces instruments, perfectionnés par General Electric, permirent d’analyser les isotopes du carbone et de l’oxygène, ouvrant la voie aux premières alertes climatiques. Putnam explique par exemple dans son rapport que d’ici un siècle, « l’humanité aura brûlé au moins dix fois plus de carbone qu’au cours du siècle précédent, et la concentration de CO₂ dans l’atmosphère pourrait atteindre des niveaux affolants ». La notion de transition énergétique s’inscrit ainsi autant dans une histoire scientifique que dans un imaginaire hérité de l’« Atomic Age », celui d’un avenir où le nucléaire devait inévitablement prendre le relais, le charbon devenant trop coûteux.
Il faut toutefois attendre les années 1970 et la crise énergétique pour que le terme change de sens, devienne un instrument du discours politique et fasse irruption dans le débat public, notamment aux États-Unis après une intervention télévisée de Jimmy Carter, le 18 avril 1977. Dès lors, les rapports sur la transition énergétique se multiplient, et l’ONU adopte même une résolution encourageant l’abandon progressif des énergies fossiles.
Mais sous Carter, la « transition énergétique » désigne en réalité un retour massif au charbon, présenté comme une solution de souveraineté face à l’OPEP, avant d’englober, de façon confuse, solaire, nucléaire et liquéfaction du charbon. Ce flou conceptuel était bien pratique mais masquait des choix technologiques contestables. Exemple frappant : le plan de l’administration Carter, doté de 88 milliards de dollars, pour transformer le charbon en carburant liquide synthétique. Un scénario aberrant, qui montre comment une notion censée préparer l’avenir a parfois contribué à brouiller l’alerte climatique et à légitimer des trajectoires énergétiques intenables.
Sous Carter, la « transition énergétique » désigne en réalité un retour massif au charbon, présenté comme une solution de souveraineté face à l’OPEP. @canva
Le concept de transition, apparu dans les années 1980, a-t-il poussé les États à ne pas agir, ou du moins à procrastiner ?
Ce qui frappe dans les années 1970, c’est que nombre de climatologues — et pas seulement quelques voix isolées — ont relayé l’idée d’une « transition douce », qui laisserait plusieurs décennies pour sortir des énergies fossiles. La conférence internationale de Genève, en 1979, en fit même une conclusion officielle : le changement climatique sera grave au milieu du XXIᵉ siècle, mais l’humanité aura le temps d’organiser progressivement un basculement.
Pourtant, d’autres experts savaient parfaitement qu’il n’y avait jamais eu de véritable transition et que ces récits relevaient du mythe. En évoquant une sortie étalée sur cinquante ans des énergies fossiles à l’échelle mondiale, ils ont laissé croire que l’urgence n’était pas immédiate. Ce discours a nourri l’illusion que l’action pouvait être différée, en misant sur des progrès technologiques futurs pour résoudre le problème — une perspective soutenue par des économistes comme William Nordhaus.
En pratique, l’idée de transition a donc contribué à légitimer une procrastination collective face à la crise climatique.
Au cours des années 1980, certains experts commencent à estimer que le réchauffement est inéluctable, et surtout qu’il sera plus intéressant économiquement de s’y préparer que de chercher à l’empêcher…
La publication de plusieurs rapports et études au tournant des années 70-80 ont effectivement confirmé le changement climatique à venir, son caractère inéluctable et les sacrifices nécessaires pour en limiter l’ampleur. C’est à partir de là, principalement aux États-Unis, que la notion d’« adaptation » s’impose. « Il est peu probable que nous prenions des mesures évitant le changement climatique, et c’est même plutôt le contraire. Il est donc prudent de s’y préparer », expliquait le climatologue William Kellogg.
Plutôt que de réduire l’impact humain, certains chercheurs préfèrent alors réfléchir à la manière de s’adapter. On le constate dans le rapport « Changing Climate » de 1983, où l’on peut lire que certains endroits de la planète pourraient devenir invivables. Mais pour ne pas entraver la croissance économique, le sacrifice de ces « zones affectées de manière catastrophique » apparaissait comme un compromis acceptable.
Quel que soit le nom qu’on lui donne, le grand changement actuel n’est-il pas lié au fait que l’on gaspille moins les ressources ou qu’on les recycle davantage ?
L’idée selon laquelle nous aurions, aujourd’hui, soudainement pris conscience qu’il fallait économiser l’énergie et réduire le gaspillage est totalement fausse. J’ajouterais même qu’elle dépend toujours d’un seul facteur : le coût du pétrole ou de l’énergie.
Le torchage du gaz en est une bonne illustration. Cette pratique a reculé là où il est devenu plus intéressant économiquement de récupérer la ressource plutôt que de la brûler. Mais dans de nombreuses régions, on continue à torcher faute de rentabilité suffisante.
Dans mon livre, je cite aussi l’exemple des liqueurs noires, résidus de l’industrie papetière riches en lignines. Longtemps déversées dans les rivières — avec de graves conséquences pour l’environnement —, elles ont été réutilisées comme source de chaleur et d’électricité lorsque la hausse des prix du pétrole a poussé le secteur à chercher comment les valoriser. Avec un effet spectaculaire : en 2020, aux États-Unis, les liqueurs noires représentent autant d’énergie que la production nationale d’électricité solaire !
En réalité, les efforts d’efficacité, de récupération des résidus et de recyclage sont très anciens et ont été théorisés par les chimistes dès le début du XIXᵉ siècle. Inspirés par les travaux de Lavoisier — « rien ne se perd » —, les industriels ont toujours cherché à récupérer la matière, parce qu’elle coûte cher, surtout à une époque où les matières premières étaient difficiles à transporter. L’idée était aussi de montrer qu’ils avaient un intérêt à ne pas polluer, puisque la pollution représentait pour eux une perte financière. Évidemment, dans bien des contextes, et pour de multiples raisons économiques et techniques, polluer coûte souvent moins cher que tout recycler.
Il existait même tout un discours sur le recyclage industriel : plus l’usine est grande, plus elle produit de résidus, et plus il devient intéressant de les valoriser. Cette logique a nourri une défense de la concentration manufacturière, face aux petits artisans accusés de gaspiller.
Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que nous sommes les héritiers d’un long passé de progrès techniques, de gains d’efficacité et d’économies de ressources. Nous ne sommes pas à l’aube d’une nouvelle ère du recyclage : elle est ancienne, profondément ancrée dans l’histoire industrielle.
Le progrès technique n’a jamais réduit notre consommation globale de ressources. Au contraire, chaque innovation ouvre de nouveaux usages et accroît les besoins, si bien que la consommation matérielle ne cesse d’augmenter.
Dans votre livre, vous écrivez qu’il faut en finir avec cette dialectique des vainqueurs et des vaincus… Pourtant, sur le plan de la mobilité — dont on parle beaucoup aujourd’hui —, le véhicule électrique n’a-t-il pas été le grand perdant face au moteur thermique il y a un siècle ?
C’est vrai. Mais le moteur électrique a triomphé partout ailleurs dans l’industrie… Mon livre porte sur l’histoire énergétique et matérielle et non sur l’histoire des techniques. On confond trop souvent les deux : l’histoire des matières avec celle des inventions. C’est aussi une remarque que j’adresse à certains collègues qui racontent l’histoire des énergies renouvelables au XIXᵉ siècle comme celle de techniques faibles, rapidement vaincues par le charbon, l’industrialisation et le capitalisme.
En réalité, le renouvelable se porte très bien à cette époque. Les turbines hydrauliques progressent énormément dans la seconde moitié du XIXᵉ siècle : fabriquées en fonte, installées à l’horizontale, elles sont bien plus efficaces que les anciens moulins en bois. Les petites éoliennes américaines du XIXᵉ siècle, quant à elles, bénéficient déjà de l’acier galvanisé, de roulements à billes et de systèmes de lubrification inspirés de l’automobile.
Pour faire simple : qu’elles soient fossiles ou renouvelables, toutes les sources d’énergie sont interconnectées. Pourtant, on continue à les opposer comme si elles s’affrontaient dans un duel idéologique, avec d’un côté les « gagnants » — les fossiles —, et de l’autre les « perdants » — les renouvelables. Cette vision manichéenne ne correspond ni à la réalité des systèmes énergétiques, ni aux défis contemporains. Il est temps de sortir de cette logique d’affrontement.
Papier, chemins de fer, mines et emballages propulsent alors les besoins en bois à des sommets inédits. Il n’y a jamais eu de transition qui se soit faite « hors du bois » : ni au XIXᵉ ni au XXᵉ siècle, ni dans les pays riches ni dans les pays pauvres. @canva
Vous expliquez que chaque ressource s’est appuyée sur la précédente — le charbon après le bois, l’électricité après le charbon, le solaire après le charbon de bois. Mais sans ces nouvelles ressources plus efficaces, n’aurions-nous pas épuisé toutes les forêts de la planète ?
Oui, il est difficile d’imaginer une économie continuant de croître, à la fin du XIXᵉ siècle, sans le charbon et reposant uniquement sur le bois. En outre, les techniques qui se succèdent gagnent en efficacité — pensons au passage de la machine à vapeur au moteur électrique. Il n’empêche : le progrès technique n’a jamais réduit notre consommation globale de ressources. Au contraire, chaque innovation ouvre de nouveaux usages et accroît les besoins, si bien que la consommation matérielle ne cesse d’augmenter. Les techniques deviennent plus performantes, mais notre dépendance aux ressources reste massive et incontournable.
Le boom de la demande en briques au XIXᵉ siècle — alimentée par le charbon — n’a par exemple pas empêché une explosion parallèle de la consommation de bois. Papier, chemins de fer, mines et emballages propulsent alors les besoins en bois à des sommets inédits. Il n’y a jamais eu de transition qui se soit faite « hors du bois » : ni au XIXᵉ ni au XXᵉ siècle, ni dans les pays riches ni dans les pays pauvres.
Des chercheurs comme Cesare Marchetti ont souvent étudié les transitions énergétiques en termes relatifs, en observant la part de chaque ressource dans le mix mondial. C’est une approche pertinente pour comprendre les dynamiques économiques. Mais pour le changement climatique, ce ne sont pas les proportions qui comptent : ce sont les volumes absolus d’émissions et de consommation. Une forte croissance des renouvelables n’empêche pas les énergies fossiles de demeurer un problème majeur tant que leur consommation absolue reste élevée.
À vous lire, on a l’impression que le concept de transition est lié à une quête désespérée de solutions et d’innovations ?
Je tiens à préciser que mon propos n’est en rien technophobe : les progrès techniques ont été réels et spectaculaires au cours des deux ou trois derniers siècles. De la machine à vapeur au moteur électrique, du charbon au solaire, l’histoire regorge d’innovations qui ont radicalement amélioré l’efficacité énergétique. Mais ces avancées, si impressionnantes soient-elles, ont toujours été rattrapées par un effet rebond : plus d’efficacité entraîne aussi plus de consommation, et donc une utilisation accrue des ressources, anciennes comme nouvelles. À l’effet rebond s’ajoute l’effet symbiotique : les énergies sont profondément et inextricablement liées entre elles.
Le défi climatique actuel est d’une tout autre nature. Il ne s’agit plus seulement de substituer une technique à une autre, mais de sortir massivement et rapidement des énergies fossiles, en l’espace de 25 à 50 ans — ce qui n’a aucun précédent historique. Invoquer le récit du progrès technologique comme garantie de succès est trompeur : l’ampleur et la radicalité du défi climatique dépassent de loin tout ce que l’humanité a connu jusqu’ici.
L'idée de transition est devenue l’idéologie du capital au XXIᵉ siècle : elle lui offre le moyen de se placer, au moins symboliquement, du bon côté de la lutte climatique.
Dans votre livre et vos interventions publiques, vous êtes très critique envers le GIEC. Que lui reprochez-vous ?
Ma critique vise le groupe III, dont l’expertise, dès ses origines, s’est alignée sur les positions américaines. Elle repose sur une confiance absolue dans les solutions technologiques et, surtout, sur la recherche de réponses qui n’impliquent pas de remettre en cause la taille de l’économie, y compris dans les pays les plus riches. Un mémo de la Maison-Blanche daté d’août 1989 illustre parfaitement cette orientation : « L’objectif n’est pas de protéger le climat, mais de protéger le bien-être économique des effets négatifs du réchauffement climatique. »
C’est ce qui explique, à partir des années 2000, la défense de solutions pour le moins hasardeuses, comme la capture et le stockage du CO₂, une technique qui pose deux problèmes majeurs. D’abord, elle repose sur l’utilisation d’amines — dérivés de l’ammoniac — dont la production et la dégradation sont fortement polluantes, ce qui devient ingérable à l’échelle de centaines de millions de tonnes. Ensuite, sa consommation énergétique est colossale : dans le cas des centrales thermiques, pour deux centrales en activité, il en faudrait une troisième uniquement consacrée au système de capture.
Beaucoup de scientifiques estiment que miser sur la capture et le stockage massif du carbone relève de l’illusion. Des rapports officiels, comme celui de l’Union européenne des académies des sciences en 2022, dénoncent l’idée qu’on puisse compter sur des technologies qui n’existent pas encore à l’échelle requise, jugeant ces scénarios irréalistes, voire absurdes. Pourtant, malgré ces critiques, ces solutions restent largement intégrées dans les trajectoires « net zéro ». Pour nombre d’experts, il s’agit d’une fuite en avant : des modélisateurs qui manipulent des hypothèses sur ordinateur sans base concrète solide. D’ailleurs, plusieurs institutions majeures — FMI, Banque mondiale, AIE, gouvernements — partagent ce scepticisme, y voyant une manière de repousser le problème plutôt que de l’affronter.
On vous sent très pessimiste sur l’avenir…
Difficile de ne pas l’être. Même si tous les pays faisaient preuve de bonne volonté, la neutralité carbone resterait extraordinairement difficile à atteindre. Alors, quand certains des plus puissants s’y opposent farouchement… Du côté de l’expertise, le chemin est également long. Par exemple, dans le rapport de 2022, parmi les 3 000 scénarios examinés par le groupe III du GIEC, pas un seul n’évoque, même à titre d’hypothèse, la possibilité d’une décroissance.
Mon livre ne remet nullement en cause le développement des énergies renouvelables. Décarboner l’électricité constitue une étape nécessaire, mais insuffisante : elle ne couvre que 40 % des émissions mondiales. Ce que je souligne, c’est que l’histoire matérielle de l’énergie montre combien l’idée de transition est trop simplificatrice, voire trompeuse. L'idée de transition est devenue l’idéologie du capital au XXIᵉ siècle : elle lui offre le moyen de se placer, au moins symboliquement, du bon côté de la lutte climatique.
D’ici quelques semaines, du 30 septembre au 2 octobre, se tiendra la sixième édition de Building Bridges. En amont de ce rendez-vous désormais incontournable autour de la finance durable, nous vous proposons cette toute première série de podcasts.
Fondée en 2020, la jeune entreprise lausannoise veut bousculer les codes du chauffage et du refroidissement des bâtiments à l’aide d’un concept : l’anergie.