« L’opposition aux éoliennes n’est pas massive, mais elle est bien structurée et financée »
Entretien avec Léonore Hälg, responsable du secteur Energies renouvelables et climat à la Fondation Suisse de l'Energie.
Entretien avec Léonore Hälg, responsable du secteur Energies renouvelables et climat à la Fondation Suisse de l'Energie.
Déposées le 25 juillet 2025, validées fin septembre, les deux initiatives populaires fédérales « Contre la destruction de nos forêts par des éoliennes (initiative pour la protection des forêts) » et « Pour la protection de la démocratie directe par rapport aux parcs éoliens (initiative pour la protection des communes) » relancent la question éolienne en Suisse.
On conclut notre série d'interviews sur ce thème avec Léonore Hälg, responsable du secteur Energies renouvelables et climat à la Fondation Suisse de l'Energie.
À la lumière du dépôt réussi des deux dernières initiatives consacrées à l’éolien, une première question s’impose : cette source d’énergie a-t-elle réellement un avenir en Suisse ?
Oui, tout à fait. D’une part, l’énergie éolienne progresse réellement en Suisse. Trois projets totalisant dix turbines sont actuellement en construction et entreront en service à la fin de cette année ou au début de l’année prochaine : les sites de Gütsch, Windpark et Sur Grati. Plusieurs autres projets ont récemment obtenu, ou s’apprêtent à obtenir, leur permis de construire.
D’autre part, l’énergie éolienne est désormais largement reconnue comme une composante essentielle de la sécurité d’approvisionnement en électricité. Le Conseil fédéral doit prochainement se prononcer sur les objectifs intermédiaires concernant le développement de la production d’électricité renouvelable à l’horizon 2030, et nous attendons des objectifs ambitieux pour l’éolien.
Par ailleurs, plusieurs sondages récents confirment le soutien de la population à l’énergie éolienne. Le dernier sondage de l’AES montre que 72 % de la population jugent le développement de l’éolien pertinent pour garantir l’approvisionnement électrique, et 59 % des personnes interrogées se déclarent favorables à l’installation de turbines sur des collines visibles depuis leur balcon. Dans 60 % des cas où la population est appelée à se prononcer sur des projets concrets dans leur commune, le vote est favorable. Sur le long terme, la perception reste positive, comme l’illustre le cas de Roland Aregger mentionné dans un article de la NZZ.
Il apparaît donc clairement que les deux initiatives récemment déposées ne reflètent pas l’opinion de la large majorité de la population suisse.
Comment expliquer un tel élan anti-éolien dans notre pays ?
À notre avis, l’opposition à l’énergie éolienne n’est pas forcément massive, mais elle est très bien structurée et financée. Elle mobilise différents milieux conservateurs, dont le mouvement pro-nucléaire, les défenseurs du paysage et les sympathisants d’Ecopop. L’UDC a d’ailleurs fait de l’énergie éolienne un thème central de sa campagne contre la transition énergétique. Cette mobilisation ciblée suffit à se faire entendre du grand public.
La Suisse vise l’installation d’environ 1 000 éoliennes d’ici 2050 dans le cadre de son mix énergétique. Mais au regard du contexte actuel, ce chiffre ne paraît-il pas hors d’atteinte ?
La réalisation de cet objectif dépendra de plusieurs facteurs, notamment de la mise en œuvre, par les cantons, de la loi récemment adoptée visant à accélérer les procédures en matière énergétique, ainsi que du succès ou de l’échec des initiatives évoquées.
L’Alliance-Environnement, à laquelle notre organisation appartient, a publié sa vision de l’approvisionnement énergétique de la Suisse à l’horizon 2035. Nous tablons sur un développement d’environ 3 TWh, soit près de 300 éoliennes d’ici 2035, un objectif atteignable tout en minimisant les conflits avec la biodiversité.
La Suisse a une responsabilité morale : elle doit couvrir elle-même ses besoins en électricité, au moins sur son bilan annuel.
Ne vaudrait-il pas mieux, pour BKW, d'aller financer des projets éoliens à l’étranger, où les procédures rencontrent moins d’obstacles, quitte à importer ensuite cette énergie en Suisse ?
Il serait effectivement plus simple et plus rapide de construire des éoliennes à l’étranger. Toutefois, il ne serait ni durable ni équitable de transférer à d’autres pays le poids de notre demande énergétique, comme c’est déjà le cas avec les énergies fossiles. La Suisse a une responsabilité morale : elle doit couvrir elle-même ses besoins en électricité, au moins sur son bilan annuel. Les autres pays doivent également décarboner leur propre approvisionnement électrique et ont besoin, eux aussi, d’exploiter pleinement leur potentiel de production.
Par ailleurs, il n’est actuellement pas garanti que nous puissions importer de l’électricité à tout moment. Depuis 2020, l’Union européenne applique la règle des 70 %, qui peut fortement limiter les capacités d’importation et d’exportation suisses en cas de congestion des lignes aux frontières. Cette situation s’explique par le fait que la Suisse ne fait pas partie du marché intérieur européen de l’électricité. L’acceptation de l’accord sur l’électricité avec l’UE permettrait de changer cela.
Courant septembre, les Chambres fédérales ont adopté la loi visant à accélérer les procédures pour les énergies renouvelables. Est-ce que cela pourrait redonner un peu d’élan à l’éolien en Suisse ?
Oui. Cette loi pourrait réellement changer la donne, en particulier pour l’énergie éolienne. Jusqu’à présent, les projets pouvaient faire l’objet de deux recours successifs : d’abord auprès de la juridiction cantonale, puis devant la juridiction fédérale, ce qui allongeait considérablement les procédures d’autorisation.
La nouvelle loi vise à mieux coordonner et simplifier ces processus dans l’intérêt de toutes les parties. Elle pourrait ainsi renforcer considérablement l’attractivité des projets, en particulier des nouveaux sites, et susciter un regain d’intérêt. Axpo en offre un bon exemple : l’entreprise a lancé de nombreux projets éoliens en collaboration avec les communes concernées.
Comment relancer la question éolienne en Suisse ? Comment surmonter les fameux syndromes « NYMBY » (Not In My Backyard) et « BANANA » (Build Absolutely Nothing Anywhere Near Anything) ?
Le sondage mentionné plus haut, ainsi que les résultats des votes au niveau communal, montrent que ces phénomènes d’opposition sont moins marqués qu’on ne le pense généralement. De plus, plusieurs exemples en Suisse et à l’étranger indiquent que lorsque l’utilisation d’une technologie se généralise et gagne en visibilité, son acceptation tend à augmenter. Ainsi, les électeurs de Coire et du canton de Lucerne, où des éoliennes sont déjà implantées, ont récemment approuvé de nouveaux projets à une large majorité.