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Comment gérer l’abondance? La pénurie, on connaît: les prix s’envolent. Mais l’abondance… Dans le domaine énergétique, on parle de «prix négatifs» quand les producteurs doivent payer pour évacuer du réseau les électrons excédentaires. C’est ce qui se passe très régulièrement en Espagne ces jours, mais parfois également en Allemagne quand le soleil est à son zénith et que les éoliennes tournent à pleine puissance. Cette anomalie s’explique par des capacités de stockage insuffisantes ou mal adaptées aux variations extrêmes de la production qui peuvent se produire, en particulier vers midi.
Les réseaux nationaux de transport et de distribution de l’électricité ont été pris de vitesse par le déploiement spectaculaire des énergies renouvelables, en particulier du solaire. Ainsi, en Europe, pour la première fois de l’histoire, l’électricité renouvelable a représenté 50% de la production au premier semestre 2024. En Allemagne, la part des renouvelables a couvert 58% de la consommation d’électricité durant la même période. L’objectif d’une production couvrant 80% de la consommation d’électricité en 2030 devrait être atteint, selon les projections du gouvernement.
Un tournant historique
Pour reprendre la formule de l’hebdomadaire britannique «The Economist», nous sommes définitivement entrés dans l’ère solaire, qui représentera, dans moins de dix ans, la plus grande source d’énergie électrique de la planète. Et dès 2040 déjà, le solaire pourrait même devenir «la plus grande source non seulement d’électricité mais de toute l’énergie».
C’est la loi des grands nombres: la capacité solaire installée dans le monde double environ tous les trois ans.
C’est la loi des grands nombres: la capacité solaire installée dans le monde double environ tous les trois ans. Elle est donc multipliée par dix chaque décennie. Cela signifie que la planète tout entière aura installé dans dix ans «une capacité équivalente à la multiplication par huit du parc mondial de réacteurs nucléaires, en moins de temps qu’il faut habituellement pour en construire un seul», écrit «The Economist».
Cette déferlante solaire n’a pas d’équivalence industrielle dans l’histoire. Étonnamment, le prix de l’énergie a toujours été assez constant au fil du temps. Mais cette fois, tout change avec le solaire; les prix ne font que baisser. C’est une révolution. Nous entrons dans une ère d’abondance qui pourrait changer comme jamais l’avenir du monde et permettre à des régions entières de la planète de sortir de la précarité énergétique.
Les réseaux ne sont pas adaptés
Cette perspective se heurte toutefois à des réalités triviales. Les réseaux ne sont pas prêts. L’Allemagne, qui a été la première à initier une transition énergétique, est aujourd’hui empêtrée dans ses propres contradictions. Ses capacités de stockage, de transport, ses réserves de puissance sont largement insuffisantes. C’est si grave que la Cour des comptes met en garde le pays contre des risques d’approvisionnement! Les autoroutes d’hydrogène vert qui doivent remplacer les réseaux de gaz, sécuriser l’approvisionnement en hiver et décarboner l’industrie prennent du retard.
En clair, les investissements dans l’infrastructure énergétique ne sont pas à la hauteur des ambitions du pays. L’Allemagne a mis de gros moyens pour produire des énergies renouvelables mais investit trop peu dans son réseau. La panne allemande inquiète toute l’Europe car le pays ne sera bientôt plus en mesure d’exporter de l’électricité en hiver.
L’abondance des renouvelables a masqué une pénurie technique, inhérente aux sources intermittentes comme le solaire ou l’éolien. Pour réussir, le stockage et les réserves de puissance doivent suivre au même rythme l’avancée des nouvelles énergies.
L’abondance des renouvelables a masqué une pénurie technique, inhérente aux sources intermittentes comme le solaire ou l’éolien. Pour réussir, le stockage et les réserves de puissance doivent suivre au même rythme l’avancée des nouvelles énergies.
Le gouvernement d’Olaf Scholz déclare en être conscient. Sous peu, il devrait présenter un plan visant à construire de nouvelles centrales à gaz pour sécuriser l’approvisionnement du pays, usines qui devraient être converties à terme à l’hydrogène, le vecteur qui servira de back-up aux énergies renouvelables.
La réaction de Siemens
Les solutions technologiques existent et sont pour la plupart proches de l’industrialisation. Ce qui fait défaut, c’est un cadre qui favorise les investissements tant du secteur public que du privé. Un casse-tête politique dans un pays comme l’Allemagne, qui bute sur un frein à l’endettement trop rigide. Et, c’est le paradoxe, une vraie révolution énergétique est en cours mais on comprend avec retard sa vraie nature, disruptive et massive.
Le géant allemand Siemens semble avoir compris l’enjeu. Dans une interview récente accordée au «Financial Times», Tim Holt déclare: «Nous voyons un énorme boom arriver», citant la forte demande d’électricité, une vague de projets renouvelables en construction nécessitant de meilleures connexions au réseau et une infrastructure vieillissante généralisée mal adaptée aux pics de production. Le groupe déclare vouloir engager 10’000 personnes dans sa division «réseau».
Cette chronique est également parue dans les colonnes de 24 Heures et Tribune de Genève.
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