« Sans accord, la sécurité et la stabilité du réseau se détérioreraient davantage »

Entretien avec Michael Frank, directeur de l'Association des entreprises électriques suisses (AES).

« Sans accord, la sécurité et la stabilité du réseau se détérioreraient davantage »
Michael Frank, directeur de l'Association des entreprises électriques suisses (AES).

À Berne, le débat devient électrique. Depuis quelques semaines, notamment depuis la présentation des clauses de l’accord sur l’électricité envisagé entre la Suisse et l’Union européenne, les critiques fusent contre un texte manifestement plus controversé que prévu.

Au cœur de la discorde actuelle : la libéralisation du marché. Alors que les partis commencent à s’écharper sur le sujet, l’occasion était idéale pour aller sonder le secteur à travers une série d’entretiens avec des acteurs de référence. On clôt cette série avec les propos de Michael Frank, directeur de l'Association des entreprises électriques suisses (AES).

Premièrement, quelle est votre position sur cet accord ? Le jugez-vous toujours aussi essentiel pour l’avenir énergétique de la Suisse ?

Oui, cet accord reste fondamental pour garantir la sécurité de l’approvisionnement, la stabilité du réseau et la maîtrise des coûts de l’électricité. Sans lui, la Suisse demeure exclue des coopérations en matière de réseau et de l’accès au marché européen, ce qui entraîne plusieurs conséquences : des flux d’électricité non planifiés à travers le pays, l’utilisation de précieuses ressources hydroélectriques pour stabiliser le réseau, des possibilités d’importation limitées et l’absence de droit de regard sur les décisions européennes. Tout cela engendre des coûts importants que nous devons finalement assumer collectivement à travers les tarifs d’électricité.

L’une des sources de discorde concerne la libéralisation du marché, qui représenterait un obstacle majeur à l’approvisionnement de base… Mais cet approvisionnement de base est-il réellement une option financière intéressante pour les GRD ?

L’approvisionnement de base est fortement réglementé et vise uniquement à couvrir les coûts. Toutefois, le renforcement des exigences réglementaires en complique de plus en plus la mise en œuvre efficace. Certaines prescriptions contradictoires contraignent même les gestionnaires de réseau de distribution (GRD) à opérer à perte.

Des ajustements s’avèrent donc indispensables, même dans le cadre du système actuel. En cas d’ouverture du marché, les GRD seront en concurrence. Il est donc d’autant plus crucial qu’ils puissent remplir leur mission de manière efficiente et orientée vers le client.

Il est également essentiel que cette ouverture du marché s’accompagne d’une réduction des réglementations inutiles et coûteuses — un levier qui peut être activé au niveau national. Elle offre par ailleurs la possibilité de développer de nouveaux modèles commerciaux au-delà de l’approvisionnement de base classique. Les fournisseurs pourraient ainsi proposer des produits alternatifs, mieux adaptés aux besoins de leurs clients.

L’accord sur l’électricité ne remet nullement en question la promotion et le développement des énergies renouvelables.

Quelle est votre réaction aux multiples interventions de Pierre-Yves Maillard dénonçant l’accord — interventions dans lesquelles il évoque un risque de sous-investissement dans les futures capacités de production d’électricité en Suisse, mais aussi une spéculation excessive, voire un accord qui freinerait « la lutte contre le changement climatique » ?

Les propos tenus par Pierre-Yves Maillard sont unilatéraux et ne s’appuient sur aucun fait concret. Si les risques évoqués de sous-investissement ou de dérives spéculatives étaient fondés, nous en aurions déjà constaté les effets dans d’autres pays européens. Ce n’est pas le cas.

L’accord sur l’électricité ne remet nullement en question la promotion et le développement des énergies renouvelables. Bien au contraire, il établit un objectif commun — certes non contraignant, mais ambitieux — en matière d’expansion des capacités de production renouvelables.

Le marché demeure encadré : les fournisseurs sont en concurrence et doivent s’approvisionner de manière efficiente et prévoyante pour rester compétitifs. Les clients bénéficieront par ailleurs d’une plus grande liberté de choix, ce qui renforce encore la dynamique concurrentielle. Les entreprises resteront également tenues d’assurer une fourniture de base régulée, comme c’est déjà le cas aujourd’hui.

Enfin, les activités de marché et les comportements spéculatifs ne dépendent pas de l’accord. Les entreprises peuvent déjà proposer des prestations commerciales sur le marché — et celles qui souhaitent spéculer en ont d’ores et déjà la possibilité. Sur ce point, l’accord ne modifie en rien la situation actuelle.

Cette ouverture du marché ne risque-t-elle pas de déboucher sur une consolidation accélérée du secteur, notamment pour les GRD de petite ou moyenne taille ?

Une certaine consolidation du marché a déjà eu lieu et ne peut être exclue à l’avenir. Il est donc essentiel que les petits gestionnaires de réseau de distribution (GRD) bénéficient de conditions équitables sur un marché ouvert. Cela implique une mise en œuvre cohérente du cadre de marché dans la législation nationale, accompagnée d’une réglementation allégée.

La Confédération devrait créer des conditions-cadres stables et mettre en place des instruments de soutien appropriés pour encourager les investissements dans la production d’électricité et les infrastructures de réseau.

Faudrait-il un engagement de la Confédération à soutenir le secteur pour maintenir les investissements dans le réseau et plus spécifiquement dans les énergies renouvelables ?

La Confédération devrait créer des conditions-cadres stables et mettre en place des instruments de soutien appropriés pour encourager les investissements dans la production d’électricité et les infrastructures de réseau. Ces investissements, qu’ils concernent la transformation ou l’extension, sont particulièrement intensifs en capital et s’inscrivent dans le long terme, alors même que les évolutions du marché restent incertaines sur cette période. Une promotion ciblée est donc nécessaire.

Les instruments mis en place doivent inciter les exploitants à produire en fonction des besoins réels, tout en évitant les effets d’aubaine. Ce soutien est financé par l’ensemble des consommateurs finaux, notamment par le biais d’une surtaxe réseau de 2,3 ct./kWh.

L’extension du réseau doit également être menée de manière efficace. Cela suppose des conditions-cadres adéquates, incluant l’accélération des procédures, des libertés tarifaires, une rémunération équitable du capital investi, etc. Tout cela aussi financé par les consommateurs finaux via le tarif d’utilisation du réseau.

L’argument selon lequel cet accord serait nécessaire en cas de nouvelle crise énergétique en Europe — comme en 2022 — est-il réellement défendable ? Car en cas de pénurie majeure, le risque n’est-il pas que chaque État privilégie avant tout ses propres intérêts, quels que soient les accords en vigueur ?

Oui, un accord crée de la confiance et de l’engagement, en posant des règles claires pour la coopération et la coordination — en particulier en période de crise. La Suisse fait partie intégrante du réseau interconnecté européen. Son système électrique ne fonctionne pas de manière autonome, mais uniquement en interaction étroite avec ceux de ses voisins.

Même si, en cas de crise, les intérêts nationaux peuvent temporairement prévaloir, un accord constitue une base solide pour une coopération efficace et offre la possibilité de stabiliser ensemble le système électrique ou de s’entraider.

Comment envisager l’avenir en cas d’un scénario de no deal pour l’avenir du réseau électrique suisse ?

La sécurité d’approvisionnement et la stabilité du réseau suisse se détérioreraient encore davantage, ce qui nécessiterait la mise en place de capacités de réserve supplémentaires, notamment à base de gaz, à l’intérieur de la Suisse. Dans de telles conditions, les coûts pour maintenir un approvisionnement stable continueraient d’augmenter pour les consommateurs, l'économie, l'industrie et le secteur tertiaire.

Par ailleurs, il convient de rappeler que la Suisse est désormais considérée comme un pays tiers dans le cadre des réglementations européennes en constante évolution. Cette situation comporte des risques : la coopération pourrait être réduite dans d’autres domaines, tels que le système d’échange des droits d’émission de CO₂, voire reléguée au second plan pour des thématiques émergentes comme l’hydrogène.

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