Chaque mois, nous interrogeons différents secteurs et professions sur des thématiques spécifiques. Pour ce mois d'octobre, la parole est donnée aux fournisseurs d'énergie concernant la politique énergétique de la Suisse.
Les réponses de Jacques Mauron, directeur général de Groupe E.
Le Parlement et le Conseil fédéral se concentrent sur l’augmentation de l’énergie renouvelable en Suisse, mais ne faudrait-il pas plutôt encourager la modernisation du réseau ainsi que l'amélioration du stockage de l’énergie ?
L’augmentation de la production d’électricité à partir de ressources renouvelables est nécessaire et constitue un enjeu essentiel. La production doit en effet être augmentée d’environ 2,4 TWh chaque année dès maintenant et jusqu’en 2035. Cela correspond à la consommation annuelle de 500 000 ménages en Suisse.
Cette transition vers le renouvelable permettra de décarboner notre énergie, de réduire notre dépendance à l’égard des importations et de garantir des prix plus stables pour nos clients. Elle permettra également de répondre aux besoins croissants en énergie, liés par exemple à la mobilité électrique et à l’augmentation du nombre de pompes à chaleur. Le Parlement et le Conseil fédéral ont donc raison de mettre en place les conditions-cadres favorisant leur développement, par exemple avec des procédures d’autorisation plus courtes.
L’hiver 2022-2023 a permis de souligner la fragilité de notre approvisionnement énergétique et de prendre conscience des conséquences d’une pénurie : restriction et hausse des tarifs de l’électricité. Dès lors, une production d’électricité indigène suffisante devra être assurée.
Cette transition vers le renouvelable permettra de décarboner notre énergie, de réduire notre dépendance à l’égard des importations et de garantir des prix plus stables pour nos clients.
Concernant le stockage saisonnier, hormis les barrages qui permettent déjà aujourd’hui de faire des réserves pour l’hiver, les technologies alternatives ne sont pas encore matures. L’hydrogène joue actuellement un rôle pour décarboner la mobilité lourde, mais des développements technologiques sont encore nécessaires pour que ce type de stockage d’énergie soit efficace en hiver. Il est donc important d’avoir un bon mix énergétique, notamment grâce à l’énergie éolienne pour combler les manques hivernaux.
Le développement des énergies renouvelables s’accompagne d’une nécessaire refonte du réseau électrique. La production décentralisée, notamment photovoltaïque, le développement des regroupements d’autoconsommation locaux, et la nécessité d’avoir des réseaux communicants, voire pilotables à distance, sont autant de besoins nécessaires à la transition énergétique.
En tant que distributeur d’électricité, Groupe E procède à des investissements annuels importants pour renouveler et adapter son réseau électrique aux nouveaux flux électriques. De plus, Groupe E est en train d’implémenter une stratégie « smart grid » qui permettra au réseau électrique de soutenir la transition énergétique tout en limitant l’augmentation des investissements.
C’est donc par un ensemble de mesures que la transition énergétique peut être accélérée, de la production à la distribution et à la consommation.
N’est-il pas choquant que la Confédération envisage de brider la production solaire parce que le réseau n’est pas suffisamment adapté pour absorber toute cette énergie ?
L’électricité ne peut être stockée - ou que de manière limitée. Le réseau permet de transmettre une très grande quantité d’électricité photovoltaïque, mais il n'est pas adapté aux pointes d’injection survenant durant quelques heures de l’année. Renforcer le réseau pour ces rares moments serait techniquement possible, mais très cher, sans réelle plus-value dans un équilibre coût-bénéfice.
Il est important de pouvoir raccorder un grand nombre d’installations photovoltaïques au réseau électrique tout en limitant les coûts pour l’ensemble de nos clients ; cela est possible en ajustant l’injection de cette énergie solaire durant quelques heures dans l’année. Il s’agit donc de trouver un juste équilibre entre les coûts du réseau et les bénéfices grâce à un dimensionnement du réseau adapté.
Toutes les technologies sont disponibles et nous avons suffisamment d’eau, de soleil et de vent pour y parvenir.
Les nouvelles dispositions prévues dans la Loi sur l’électricité permettront une gestion des pointes de production photovoltaïques, ce qui sera très bénéfique pour l’ensemble des producteurs, pour les distributeurs, mais aussi pour l’ensemble des consommateurs.
En tant que producteur et distributeur, quelles sont vos attentes à l'égard des pouvoirs publics pour sortir de cette impasse ?
Nous avons des attentes sur les points suivants :
- Raccourcissement des délais de traitement par les autorités
- Amélioration des procédures afin de les rendre plus efficientes et plus rapides
- Reconnaissance d’un intérêt national également pour le raccordement d’installations de production d’intérêt national selon le Mantelerlass
Selon votre expérience, les objectifs fixés par les politiques en matière de transition énergétique sont-ils toujours réalistes, atteignables ou, au contraire, encore très hypothétiques ?
Les objectifs fixés par la politique sont ambitieux, mais atteignables. Toutes les technologies sont disponibles et nous avons suffisamment d’eau, de soleil et de vent pour y parvenir. Mais nous devons aujourd’hui clairement accélérer le mouvement, en développant plus rapidement la production des nouvelles énergies et en décarbonant notre consommation. Lors de la votation du 9 juin, le OUI est sorti clairement des urnes, signe que les Suissesses et les Suisses souhaitent la transition énergétique.