Deux modèles opposés s’affrontent. D’une part, les réacteurs EPR, qui misent sur la centralisation de la production avec des unités à forte puissance ; d’autre part, des réacteurs modernes et de petite taille avec une capacité électrique variant entre 10 MW et 300 MW.
« Investir dans les énergies renouvelables s’avère plus rentable que de maintenir le système actuel de subventions aux énergies fossiles. Selon l'ONU, la réduction mondiale de la pollution permettrait d’économiser jusqu’à 4 200 milliards de dollars par an d’ici à 2030 », explique Jean-Yves Pidoux.
Approvisionnement électrique : davantage d’œcuménisme ferait du bien
« Pour atteindre une neutralité carbone d’ici 2050, il faudrait ajouter chaque année l’équivalent de la production de la Grande-Dixence, soit 2,3 milliards de kilowattheures », calcule Dominique Rochat, responsable de projets Energie & infrastructures pour la faitière Economiesuisse.
C’est reparti de plus belle ! Le chemin semblait pourtant tout tracé après l’approbation, par le peuple suisse, de la nouvelle loi sur l’électricité et de l’objectif « zéro émission nette » d’ici 2050. Les centrales nucléaires devaient être mises au rebut, les énergies renouvelables prendre le relais et une meilleure efficacité énergétique faciliter cette transition. Mais la crise énergétique de 2022 a rebattu les cartes, révélant les fragilités de notre système.
S’y ajoute l’arrivée de l’initiative « Blackout », visant à lever l’interdiction des centrales nucléaires. Il n’en fallait pas plus pour enflammer à nouveau les débats, où les différentes chapelles de l’énergie rivalisent pour démontrer à quel point « leur » solution est la meilleure. Mais avant de consacrer l’une, l’autre ou toutes, il s’agirait de prendre la mesure du chantier majeur qui nous attend et de fixer des priorités. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que nous en sommes encore loin.
Une Grande-Dixence par an
Soyons plus concrets. La loi fixe un objectif de production renouvelable pour 2035. Pour l’atteindre, il faudrait ajouter chaque année l’équivalent de la production de la Grande-Dixence, soit 2,3 milliards de kilowattheures. Or, nous en sommes loin ! Entre 2022 et 2023, d’après les données du dernier monitoring de la Confédération, l’augmentation n’a été que de 0,78 milliard de kilowattheures, et la moyenne des années précédentes était encore bien inférieure.
Si le développement de la production hydraulique se rapproche davantage de la cible, les prochaines étapes impliquent la construction de nouvelles installations, déjà contestées, malgré les engagements pris par certaines organisations de protection de l’environnement.
Conclusion : il s’agit de donner un sacré coup d’accélérateur si l’on veut tenir le rythme souhaité. Cela passe notamment par une simplification efficace des procédures d’autorisation, car on ne peut plus attendre 20 ans pour commencer le moindre chantier.
L’électricité suit des rythmes, à l’image d’une musique. En Suisse, ces rythmes se traduisent par un surplus de production en été et des déficits fréquents en hiver, compensés par des importations.
Doubler la production actuelle sans le nucléaire
Mais au fait, pourquoi produire plus ? La raison la plus évidente est de compenser la production qui disparaîtra avec l’arrêt progressif des centrales nucléaires suisses. Qu’on les apprécie ou non, elles fournissent encore environ un tiers de notre électricité. Elles jouent un rôle particulièrement crucial en hiver, une période où la Suisse manque chroniquement d’électricité.
L’autre raison, c’est la hausse prévisible de la consommation. L’étoile polaire de la politique énergétique suisse est en effet la décarbonation, dictée par l’objectif « zéro émission nette » d’ici 2050. Décarboner signifie abandonner les énergies fossiles au profit de l’électricité, que ce soit pour le chauffage, l’industrie ou la mobilité.
Il s’agit aussi de prendre de nouvelles réalités, comme la floraison des centres de données, devenus indispensables pour calmer nos appétits numériques. Pour donner un ordre de grandeur, la consommation devrait augmenter d’un tiers, passant de 60 à 80-90 milliards de kilowattheures. En somme, la production actuelle hors nucléaire devra grosso modo doubler d’ici 2050.
Diversifier pour plus de sécurité
Produire plus, c’est bien, mais produire au bon moment, c’est mieux. L’électricité suit des rythmes, à l’image d’une musique. En Suisse, ces rythmes se traduisent par un surplus de production en été et des déficits fréquents en hiver, compensés par des importations.
Miser uniquement sur le photovoltaïque créerait un déséquilibre. Le surplus estival helvétique gonflerait encore plus et le déficit hivernal se creuserait. Ce scénario est déjà une réalité en été, où la surproduction entraîne des prix négatifs de l’électricité. L’idéal serait de pouvoir stocker l’énergie produite en été pour l’utiliser en hiver. Toutefois, aucun système ne permet actuellement de le faire à grande échelle et à un coût compétitif.
On peut tirer au moins deux enseignements de la situation particulière de la Suisse. Le premier est qu’il faut privilégier le développement de la production hivernale, notamment en réorientant davantage les soutiens existants vers cette saison. Le second est la nécessité de diversifier autant que possible les sources de production afin de mieux les adapter aux besoins.
Le couple photovoltaïque/éolien, par exemple, se complète idéalement. Pour qu’il fonctionne, encore faut-il pouvoir construire des centaines d’éoliennes. Si l’Autriche a réussi à en placer 1400 sur son territoire, pourquoi la Suisse n’y parviendrait-elle pas ?
Dans ces circonstances, la Suisse a tout intérêt à conserver des jokers, notamment en relançant le débat sur l’utilisation du nucléaire.
Conserver des jokers
La diversification présente également l’avantage d’être un remède à l’incertitude, renforçant ainsi la sécurité d’approvisionnement. Comme l’a démontré la guerre entre la Russie et l’Ukraine, l’approvisionnement énergétique de l’Europe est loin d’être un long fleuve tranquille. De plus, nous avons pu observer que la concrétisation de la nouvelle politique énergétique suisse est tout sauf assurée.
Dans ces circonstances, la Suisse a tout intérêt à conserver des jokers, notamment en relançant le débat sur l’utilisation du nucléaire. Quel risque y a-t-il à le faire, sachant qu’en fin de compte, ce sera toujours au peuple de trancher ? La guerre des chapelles ne nous mènerait pas bien loin ; une bonne dose d’œcuménisme énergétique serait donc la bienvenue dans les années à venir.
Deux modèles opposés s’affrontent. D’une part, les réacteurs EPR, qui misent sur la centralisation de la production avec des unités à forte puissance ; d’autre part, des réacteurs modernes et de petite taille avec une capacité électrique variant entre 10 MW et 300 MW.
« Investir dans les énergies renouvelables s’avère plus rentable que de maintenir le système actuel de subventions aux énergies fossiles. Selon l'ONU, la réduction mondiale de la pollution permettrait d’économiser jusqu’à 4 200 milliards de dollars par an d’ici à 2030 », explique Jean-Yves Pidoux.