Atteindre le net zéro dans la construction : objectifs, défis et leviers d’action
La stratégie énergétique de la Suisse vise une importante baisse de la consommation du parc immobilier, soit de 90 TWh actuellement à 65 TWh d’ici 2050.
La stratégie énergétique de la Suisse vise une importante baisse de la consommation du parc immobilier, soit de 90 TWh actuellement à 65 TWh d’ici 2050.
La neutralité carbone – ou zéro émission nette – s’est imposée comme l’un des objectifs majeurs de la politique climatique mondiale. Les Nations Unies rappellent que, « dans le cadre de l’Accord de Paris, les pays (la Suisse y compris, ndlr) ont accepté de réduire considérablement les émissions mondiales de gaz à effet de serre pour permettre de maintenir l’augmentation de la température moyenne à la surface du globe à long terme bien en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre les efforts pour la limiter à 1,5 °C ».
En Suisse, cette vision est désormais inscrite dans la Loi sur le climat et l’innovation, adoptée par le peuple en 2023. Pour tenir nos promesses, il va non seulement falloir réduire nos émissions de gaz à effet de serre, mais également retirer une partie du CO₂ présent dans l’atmosphère.
Toutefois, des analyses récentes viennent bousculer les perspectives. Selon une étude publiée dans « Earth System Science Data » par un collectif international de plus de soixante scientifiques, l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5 °C semble désormais hors de portée. Si les émissions mondiales se maintiennent à leur rythme actuel, ce seuil pourrait être franchi de manière irréversible d’ici trois à quatre ans.
Un constat lucide, qui ne doit pas pour autant nous « plonger dans le fatalisme », insistent les auteurs. Si l’on ne peut plus éviter les 1,5 °C, il faut désormais viser 1,6 °C. Chaque dixième de degré compte : pour atténuer les vagues de chaleur, préserver les écosystèmes et limiter les événements climatiques extrêmes.
Le principe du net zéro est, en apparence, simple : il s’agit de stabiliser la concentration de CO₂ dans l’atmosphère, en veillant à ne pas émettre plus de gaz à effet de serre que ce que l’on est capable d’en retirer.
Cet équilibre repose sur deux grands piliers. Le premier consiste à réduire les émissions à la source, en diminuant la consommation d’énergie, en améliorant l’efficacité des systèmes et en repensant nos modes de production et de construction. Le second vise à neutraliser les émissions résiduelles, c’est-à-dire celles qui ne peuvent être évitées, grâce à ce que l’on appelle des solutions à émissions négatives.
Ces solutions reposent soit sur des mécanismes naturels — comme la reforestation ou la régénération des sols —, soit sur des technologies plus complexes, telles que la pyrolyse (transformation de la biomasse en carbone stockable), la capture directe du CO₂ dans l’air (Direct Air Capture, ou DAC) et son stockage géologique (Carbon Capture and Storage, ou CCS) dans des couches profondes.
Mais en l’état actuel, ces techniques de captation du carbone restent énergivores, coûteuses et difficiles à mettre en œuvre à grande échelle. Elles ne sauraient donc se substituer aux efforts de réduction : elles les compléteront peut-être à l’avenir, mais ne pourront en aucun cas les remplacer.
En Suisse, environ 45 % de la consommation énergétique totale est imputable aux quelque 2,3 millions de bâtiments que compte le pays, dont une grande partie reste encore à rénover sur le plan énergétique. Le secteur du bâtiment est ainsi responsable de 33 % des émissions nationales de CO₂. Il constitue donc un levier majeur pour atteindre la neutralité climatique.
Et la Suisse ne s’y trompe pas, puisque notre Stratégie énergétique vise une importante baisse de la consommation du parc immobilier, soit de 90 TWh actuellement à 65 TWh d’ici 2050. Il convient toutefois de préciser que le problème ne se limite pas aux émissions liées à l’exploitation des bâtiments (chauffage, électricité, etc.), mais concerne aussi les émissions dites « grises », c’est-à-dire le « carbone caché » généré par la fabrication des matériaux, le transport, la construction et la démolition.
« Pour les constructions neuves alimentées en énergies renouvelables, il est même possible que l’énergie grise soit supérieure à l’énergie d’exploitation sur l’ensemble de la durée de vie du bâtiment » précise l’association ecobau, qui réunit maîtres d'ouvrage publics et institutions de formation.
Pour mieux cerner ce que signifie concrètement le concept de « net zéro » appliqué au secteur du bâtiment, l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) a lancé fin 2022 un projet de recherche intitulé « Zéro émission nette de gaz à effet de serre dans le domaine du bâtiment ». Son objectif : établir une définition claire, partagée par les acteurs, et utilisable comme référence pour les futures normes et réglementations.
Les résultats montrent que les émissions d’un bâtiment résidentiel peuvent varier fortement en fonction des choix de conception. Le projet met ainsi en lumière des marges de manœuvre importantes, à condition de les considérer comme une priorité dès les premières phases de planification.
Plusieurs leviers concrets, activables dès aujourd’hui, ont par ailleurs été identifiés : réduire la surface habitable par personne, optimiser la compacité des volumes, privilégier les matériaux biosourcés ou issus du réemploi, éviter les sous-sols profonds (notamment pour les parkings) et favoriser la rénovation plutôt que la démolition.
En parallèle, le rapport formule treize recommandations structurantes. La plus urgente consiste à introduire des valeurs limites contraignantes pour les émissions grises. D’autres mesures prévoient d’intégrer l’analyse du cycle de vie dans les appels d’offres, de renforcer les bases de données carbone, d’adapter les normes SIA, de former les professionnels du secteur et de soutenir les projets exemplaires au moyen d’incitations ciblées.
Malgré les engagements climatiques inscrits dans la loi suisse, la transition vers un parc immobilier zéro net carbone tarde à s’amorcer. En cause notamment : l’absence d’un cadre légal véritablement contraignant. La Constitution confie aux cantons la compétence en matière de construction, ce qui entraîne une grande disparité d’approches et freine l’harmonisation.
À ce jour, aucune valeur limite nationale obligatoire ne s’applique aux émissions grises. La majorité des recommandations en vigueur, qu’il s’agisse de normes, de labels ou de bonnes pratiques, reste de nature volontaire. Quant à la Loi sur le CO₂, bien qu’elle fixe des objectifs globaux de réduction, elle ne cible pas spécifiquement les émissions liées aux matériaux ou à la construction.
En l’absence de règles claires, les pratiques les plus émissives continuent de prédominer. Or, pour espérer atteindre les objectifs fixés à l’horizon 2050, il est indispensable de définir des plafonds concrets, d’accompagner les acteurs du secteur et de développer des outils de suivi performants.
Les trajectoires vers le net zéro ne sont pas figées. L’Office fédéral de l’énergie (OFEN), à travers son étude « Perspectives énergétiques 2050+ », explore plusieurs scénarios compatibles avec l’objectif de zéro émission nette à l’horizon 2050. Ces variantes modélisent différentes combinaisons de technologies (énergies renouvelables, stockage, efficacité énergétique), de comportements (sobriété, électrification, rénovation) et de cadres politiques.
Bien que ces scénarios concernent l’ensemble du système énergétique suisse, ils soulignent l’ampleur des adaptations nécessaires dans le secteur du bâtiment face à un environnement en mutation rapide. En filigrane, ils rappellent également que la transition ne repose pas sur une trajectoire unique, mais sur un choix collectif de priorités et d’ambitions.