« La Suisse se situe au cœur du système électrique européen… sans vraiment en faire partie. Ce paradoxe risque de nous coûter de plus en plus cher », avertit Dominique Rochat, responsable de projets Energie & infrastructures pour la faitière Economiesuisse.
Les infrastructures permettant d'acheminer l'électricité joueront un rôle essentiel dans le processus de décarbonation. Mais il ne suffira pas de les renforcer : elles devront inclure de nouvelles fonctions et diverses synergies devront être exploitées.
Energies renouvelables : quand l'intérêt privé menace l'avenir énergétique de la Suisse
Alors que les défis énergétiques de la Suisse s’accumulent, de nombreux projets se heurtent à des oppositions. « Cette situation doit nous amener à repenser l’équilibre entre développement énergétique et préservation du territoire », estime Michael Frank, directeur de l’AES.
En Suisse, le soutien aux énergies renouvelables est fort, tant dans les sondages que lors des votations et dans les débats publics. En 2024, la modification de la loi sur l’énergie et de la loi sur l’approvisionnement en électricité a été acceptée par près de 70 % des votants et adoptée à l’unanimité dans tous les cantons. Cependant, sur le terrain, la mise en œuvre de ces projets se heurte à de nombreux obstacles.
Aujourd’hui, sur près de 130 projets en développement recensés par l'Association des entreprises électriques suisses (AES), la plupart sont ralentis, voire bloqués. Un manque de financements ? Des problèmes techniques ? Non. La véritable cause de ces lenteurs réside dans les procédures, notamment les recours et oppositions, qui entravent leur avancée. Que ce soit pour les installations de production ou les réseaux électriques, les démarches administratives et juridiques s’étendent désormais sur au moins 15 ans. C’est bien trop long.
Un exemple parmi de trop nombreux autres
Prenons l’exemple de Tramelan : ce projet de parc éolien a été lancé il y a 16 ans avec le soutien de la communauté locale et vise à produire environ 30 GWh d’électricité par an, soit l’équivalent de la consommation de près de 7 500 foyers.
Bien que les autorités et les instances juridiques aient confirmé à maintes reprises que le projet respectait la nature, l’environnement, le paysage ainsi que l’ensemble des lois et ordonnances, celui-ci n’aboutit toujours pas. En effet, de nouvelles oppositions sont venues s’ajouter à des procédures administratives déjà particulièrement longues, entraînant des coûts supplémentaires conséquents.
À l’heure actuelle, trois agriculteurs refusent toujours de céder les droits de passage nécessaires, malgré une autorisation confirmée par le Tribunal fédéral.
Le phénomène « Not In My BackYard »
Ce premier phénomène, souvent résumé par l’acronyme NIMBY (« Not In My BackYard »), traduit une tendance à vouloir protéger son cadre de vie immédiat, souvent au détriment d’une vision plus globale. Tout le monde s’accorde à dire que le développement des énergies renouvelables est important… du moins tant que cela ne se fait pas devant chez soi.
Les recours déposés contre les projets d’énergies renouvelables montrent que ces oppositions, parfois ultra locales, peuvent entraîner des blocages récurrents et ralentir l’ensemble du processus. Ces retards et surcoûts compromettent non seulement la viabilité économique des projets, mais mettent également en péril notre capacité à atteindre les objectifs énergétiques et climatiques approuvés par le peuple et fixés pour 2050.
Les oppositions systématiques et de principe n’apportent rien. La transition énergétique est un projet qui exige rapidité et engagement collectif.
Quand l'écologie sert de prétexte aux blocages
Au-delà des oppositions locales, souvent résolues par l’implication de l’ensemble des parties prenantes à un stade précoce du projet, de plus en plus de projets d’énergies renouvelables sont entravés par des oppositions de principe émanant d’acteurs extérieurs aux régions concernées.
Sous prétexte de protéger l’environnement et le paysage, certaines associations et autres groupes d’intérêts, parfois sans lien direct avec le projet, usent – et abusent - de leur droit de recours de manière systématique. Malgré l’existence de groupes de suivi et de rapports environnementaux prévus pour de tels chantiers, ces opposants refusent les discussions en amont, uniquement pour pouvoir ensuite saisir la justice.
Cette judiciarisation excessive, qui détourne des outils légitimes de protection à des fins de blocage idéologique, retarde la mise en place de solutions concrètes et complique inutilement la réalisation des infrastructures essentielles à notre transition énergétique.
Un besoin d'accélérer les procédures
La transition énergétique est un chantier colossal sur lequel la Suisse accuse un retard important. Pour garantir un avenir durable et atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés, nous devons accélérer la construction d’installations solaires, éoliennes et hydroélectriques, ainsi que le développement des réseaux.
L’enjeu est d’accélérer les procédures tout en les simplifiant et en limitant les oppositions abusives et idéologiques, mais sans pour autant restreindre le débat, empêcher les recours légitimes ou compromettre la participation démocratique des communes et des citoyens.
Les oppositions systématiques et de principe n’apportent rien. La transition énergétique est un projet qui exige rapidité et engagement collectif. En adoptant un cadre juridique adapté et en tirant à la même corde, nous pourrons non seulement concrétiser nos ambitions énergétiques et climatiques, mais aussi renforcer la sécurité de notre approvisionnement et relever les défis qui se dessinent déjà à l’horizon.
« La Suisse se situe au cœur du système électrique européen… sans vraiment en faire partie. Ce paradoxe risque de nous coûter de plus en plus cher », avertit Dominique Rochat, responsable de projets Energie & infrastructures pour la faitière Economiesuisse.
Les infrastructures permettant d'acheminer l'électricité joueront un rôle essentiel dans le processus de décarbonation. Mais il ne suffira pas de les renforcer : elles devront inclure de nouvelles fonctions et diverses synergies devront être exploitées.
Dans un contexte suisse et international marqué par une actualité intense sur les enjeux énergétiques et climatiques, l’occasion est idéale pour un échange approfondi avec Benoît Revaz, directeur de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN). Entretien.