« Aujourd’hui, 70 % de nos résultats proviennent de l’étranger, tandis que 70 % de nos investissements sont réalisés dans notre territoire de desserte historique en suisse », précise Cédric Christmann, directeur général de Primeo Energie.
En pleine COP30, où dirigeants, experts et acteurs de la société civile discutent une nouvelle fois des moyens d’accélérer la transition énergétique et de freiner le réchauffement climatique, un concept revient au premier plan : la sobriété. Décryptage
Et si la réponse pour la planète passait par plus de sobriété énergétique ?
En pleine COP30, où dirigeants, experts et acteurs de la société civile discutent une nouvelle fois des moyens d’accélérer la transition énergétique et de freiner le réchauffement climatique, un concept revient au premier plan : la sobriété. Décryptage
Selon la définition du GIEC, la sobriété désigne l’ensemble de mesures et de pratiques du quotidien qui évitent la demande en énergie, en matériaux, en sols et en eau. @Devenorr/Canva
Dans son « Petit traité de la sobriété énergétique », Barbara Nicoloso, directrice de Virage Energie, affirme que nos sociétés modernes vivraient dans un état d’ébriété énergétique permanent. L’hiver 2022 en Suisse en représenterait un bon exemple : la fermeture du robinet du gaz russe avait en effet fait flamber les factures, et la menace de pénurie planait. « Chaque kilowattheure compte ! » répétait alors la Confédération, lançant une campagne d’économies d’énergie exhortant la population à réduire le chauffage, consommer moins d’eau chaude et éteindre les lumières.
C'est dans ce contexte que l’Unité MOSES (Mobilisation, sensibilisation, économie et sobriété énergétique) lié à la Direction de l’énergie du canton de VAUD (DIREN) a mandaté le Centre de compétences en durabilité de l'UNIL pour réaliser un travail de synthèse sur la sobriété énergétique.
« La Revue de littérature sur la sobriété énergétique» publiée en décembre 2024, propose une transition qui dépasse largement le simple fait de couper le wifi la nuit. Ce travail est actuellement étudié au sein de l’État de Vaud, qui a par ailleurs nommé un « responsable de la sobriété » il y a un peu moins de deux ans. Petit à petit, la sobriété énergétique fait son nid. Le terme « sobriété » a d’ailleurs été introduit pour la première fois dans le dernier rapport du GIEC.
Dépasser la question énergétique
« La sobriété, ce n’est ni de l’efficacité, ni des écogestes », tranche Jean-André Davy-Guidicelli, co-auteur de la « Revue de littérature sur la sobriété énergétique ». Il précise que selon la définition du GIEC, la sobriété désigne l’ensemble de mesures et de pratiques du quotidien qui évitent la demande en énergie, en matériaux, en sols et en eau, tout en assurant le bien-être de tous les êtres humains dans le respect des limites planétaires. « L’énergie n’est qu’un paramètre de la sobriété ; elle intègre aussi des notions de ressources, de bien-être et de considération sociale, une véritable notion de mieux-vivre collectivement » explique ce doctorant en économie écologique.
Cette conception se distingue nettement de l’efficacité énergétique. Remplacer des ampoules classiques par des LED, c’est de l’efficacité ; accepter d’éclairer moins, c’est de la sobriété. « Si l’efficacité énergétique permet d’utiliser moins d’énergie pour satisfaire un besoin, la sobriété consiste elle à réduire le besoin à la source » rappelle l’association négaWatt Suisse. Cette nuance est essentielle pour prévenir l'effet rebond, ce piège sournois où les économies sont annulées par une surconsommation : on roule plus avec une voiture mois gourmande, on finance un voyage en avion grâce aux économies de chauffage.
NégaWatt Suisse identifie quatre dimensions de la sobriété : structurelle (réaménager l’espace pour limiter les besoins), dimensionnelle (choisir des équipements adaptés), d’usage (les utiliser avec discernement) et conviviale (les mutualiser). Pour englober ces dimensions, le Centre de compétences en durabilité parle de « sobriété systémique », un terme qui dépasse les simples écogestes. L’exemple de la « ville du quart d’heure » illustre cette approche : il a pour but d'organiser le territoire pour que services et besoins essentiels soient accessibles à 15 minutes de marche.
« Si l’efficacité énergétique permet d’utiliser moins d’énergie pour satisfaire un besoin, la sobriété consiste elle à réduire le besoin à la source », précise l’association négaWatt Suisse.
Réduire l'empreinte carbone en Suisse
D'après l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), la Suisse émet près de 14 tonnes de CO₂ par personne et par an : plus du double de la moyenne mondiale, estimée à environ 6 tonnes. Si toute l’humanité consommait comme nous, il faudrait 2,87 planètes pour répondre à nos besoins, rappelle le WWF.
Or, pour respecter l’objectif — déjà hors d’atteinte — de limiter le réchauffement global à 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle, l’empreinte carbone devrait tomber à 0,6 tonne par personne d’ici 2050. Le chemin est donc immense, surtout pour les plus aisés : les 1 % les plus riches du pays, responsables de 195 tonnes de CO₂ équivalent par personne et par an, devraient réduire leur impact d’un facteur 200, selon la « Revue de littérature sur la sobriété énergétique ».
À cette urgence climatique s’ajoute une vulnérabilité énergétique : la Suisse importe 70 % de son énergie, dont plus de la moitié est d’origine fossile. Le document du Centre de compétences en durabilité rappelle d’ailleurs que « les modes de fonctionnement de nos sociétés sont à l’origine de la crise écologique et énergétique, et dépendent de nos structures politiques et sociales ».
« la réduction de la consommation énergétiques des pays occidentaux est une condition indispensable à une meilleure répartition des richesses et une réduction des inégalités mondiales dans les accès aux ressources », indiquent les auteurs de la « Revue de littérature sur la sobriété énergétique ». @Pexels/Canva
Un certain nombre de bénéfices
Au vu de ces contraintes, la sobriété recèle donc un potentiel considérable. En Suisse, elle pourrait réduire la consommation d’énergie de 10 % d’ici à 2030 et de 30 % d’ici à 2050, en complément aux simples mesures d’efficacité prévues par la Stratégie énergétique 2050.
Ses bénéfices dépasseraient surtout largement la seule question de l’énergie. « Et ils sont nombreux ! », assure Jean-André Davy-Guidicelli : bénéfices environnementaux, sanitaires — via la réduction de la pollution —, économiques grâce à la baisse des factures, politiques avec un renforcement de la sécurité énergétique, sociaux en créant du lien… sans oublier certains gains de temps.
« À l’échelle mondiale, l’enjeu devient un impératif de justice sociale planétaire », rappelle les auteurs de la « Revue de littérature sur la sobriété énergétique ». Selon eux, « la réduction de la consommation énergétiques des pays occidentaux est une condition indispensable à une meilleure répartition des richesses et une réduction des inégalités mondiales dans les accès aux ressources. »
Sources de blocage
Entre l’idée et sa mise en pratique, un fossé subsiste. Changer nos habitudes est loin d’être évident lorsque nos infrastructures, nos modes de vie et nos représentations collectives vont à rebours de ce concept de sobriété. Les recherches menées au Centre de compétences en durabilité de l’UNIL ont mis en évidence plusieurs sources de résistance.
Cette idée de sobriété se heurte notamment à un obstacle de poids : les représentations collectives. « Aujourd’hui, elle est perçue de façon très négative. Elle évoque le manque, les économies de bouts de chandelle, voire l’ascèse », observe Jean-André Davy-Guidicelli.
Pour y remédier, il faut mobiliser les imaginaires et construire de nouveaux récits capables de rendre la sobriété désirable. « L’art et la culture — cinéma, théâtre, littérature — peuvent contribuer à façonner un récit collectif qui transforme notre perception », poursuit-il. La science-fiction joue un rôle particulier : en décrivant « des mondes imaginaires qui nous permettent de prendre du recul et de questionner notre fonctionnement grâce à un effet miroir ».
Sa mise en pratique suppose également d’accepter certains renoncements. « Il faut passer d’une logique additive à une logique substitutive : abandonner certaines pratiques trop énergivores, tout en prenant en compte les attachements matériels et émotionnels qui y sont liés », souligne le chercheur. Car chaque infrastructure, chaque bien, porte en lui des usages et des habitudes qu’il convient d’accompagner, plutôt que de rompre brutalement.
Le choix des mots, enfin, est décisif : parler de « sécurité énergétique » ou de « résilience territoriale » plutôt que de « sobriété » peut réduire les peurs, dépasser les clivages et favoriser l’adhésion.
« Inscrire dans la Constitution des valeurs telles que la sobriété ou l’harmonie avec les ressources contribuerait à structurer l’imaginaire collectif et à orienter l’action concrète », estime Jean-André Davy-Guidicelli, co-auteur de la « Revue de littérature sur la sobriété énergétique »
Vers une sobriété plus démocratique
Pour Jean-André Davy-Guidicelli, « inscrire dans la Constitution des valeurs telles que la sobriété ou l’harmonie avec les ressources contribuerait à structurer l’imaginaire collectif et à orienter l’action concrète ».
À noter que certaines lignes commencent à bouger : Zurich a déjà inscrit l’économie circulaire dans sa Constitution ; lors des votations du 28 septembre 2025, si les Vaudois ont enterré l'initiative « Sauvons le Mormont », ils ont voté pour le contre-projet des autorités cantonales intitulé «Economie circulaire» avec 67.8% de oui.
La multiplication d'initiatives — dans le Jura, en Argovie, à Bâle —, montre une évolution des mentalités. Elle se ressent d'ailleurs jusqu’à l’échelon fédéral, avec l’initiative parlementaire « 20.433 – Développer l’économie circulaire en Suisse ». Aujourd'hui actée, elle intègre de véritables obligations pour mieux boucler les cycles de matériaux et encourager les pratiques durables.
Selon la « Revue de littérature sur la sobriété énergétique », cette transition exigera une « planification écologique démocratique » incluant une participation de l’ensemble des acteurs, des débats publics, une implication citoyenne, un partage équitable des efforts ainsi que plus de justice sociale. Pour les années à venir, le concept de sobriété ne s’imposera pas par décret : il se construira collectivement.
« Aujourd’hui, 70 % de nos résultats proviennent de l’étranger, tandis que 70 % de nos investissements sont réalisés dans notre territoire de desserte historique en suisse », précise Cédric Christmann, directeur général de Primeo Energie.
« Si le Conseil fédéral envisage désormais de supprimer le programme — ou du moins de retirer la contribution fédérale — c’est principalement en raison des effets d’aubaine qu’il génère », explique Philippe Thalmann, professeur d'économie de l'environnement à l'EPFL.