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Alors qu'en Europe les esprits changent et que l'idée d'une TVA différenciée selon des critères environnementaux circule dans les hémicycles, Adèle Thorens Goumaz se demande si la Suisse ne devrait pas suivre le mouvement.
Géothermie profonde: Et si c’était possible de se passer de fracturation hydraulique ?
Creuser à de très grandes profondeurs en inquiète plus d’un. Avec sa nouvelle approche, la société SwissDGS compte redorer le blason d’une source d’énergie contestée malgré son fort potentiel.
Il suffit de passer quelques minutes en visioconférence pour comprendre son enthousiasme. Cofondateur de la société EAPOSYS, Patrick Scherrer annonce ce mercredi 13 novembre la création de SwissDGS : une nouvelle entreprise commune à la jeune société suisse ainsi qu’aux groupes Amberg et Basler & Hoffman. « C’est une étape clé pour l’avenir de la géothermie profonde en Suisse certes, mais aussi dans le reste du monde à plus long terme », assure l’entrepreneur.
Avec SwissDGS, l'objectif est clair : accélérer le déploiement de la géothermie profonde en Suisse grâce à une approche présentée comme révolutionnaire et providentielle pour toute la branche. Sous l’acronyme AGS (pour « Advanced Geothermal Systems »), la méthode développée par EAPOSYS se démarque de celle actuellement utilisée : les systèmes EGS (pour « Enhanced Geothermal Systems »).
Le très contesté « fracking »
Mais avant de présenter cette nouvelle technologie plus en détail, il est nécessaire de faire un rapide retour en arrière pour rappeler comment les solutions EGS actuelles fonctionnent et exploitent les chaleurs des grandes profondeurs (entre 4 et 5 km de profondeur). Elles s’inspirent des techniques utilisées par l’industrie pétrolière dans l’exploitation du gaz de schiste. Dans le milieu, l’on parle de « fracking » ou de fracturation hydraulique.
Même si les techniques d'hydro-cisaillement utilisées pour la géothermie profonde sont différentes de celles du fracking pétrolier, le concept reste celui d’injecter de l’eau sous pression sous terre pour la faire voyager à travers les fractures afin d'en absorber la chaleur puis d’être repoussée vers la surface. La chaleur de l'eau est ensuite convertie en électricité à l'aide d'une turbine à vapeur ou d'un système de centrale électrique binaire. Une fois refroidie, l’eau est réinjectée dans le sol pour répéter le processus.
Cette méthode pose toutefois un souci majeur : un danger de sismicité induite. En Suisse, le projet le plus célèbre est celui inachevé de Bâle (entre 2006 et 2009). Construit sur une faille sismique connue, l’infrastructure fut la source de tremblements de terre ressentis par la population locale ainsi que de dégâts évalués à plusieurs millions de francs.
« Notre pays dispose d'un très important potentiel géothermique. Les perspectives offertes par cette source d'énergie propre, inépuisable et permanente sont séduisantes », indique l’Office fédéral de l’Énergie.
Même si les systèmes EGS ont fait énormément de progrès depuis l’expérience bâloise, - la fracturation se fait aujourd'hui par étapes le long de sections de forages déviés et sous un monitoring sismique permanent -, la solution la plus efficace pour rassurer les esprits serait de passer à une méthode plus perfectionnée, une méthode se passant de fracking.
Cette approche est celle défendue par SwissDGS pour ses futurs installations (baptisées EAPOLABs). « Il s’agit de systèmes AGS consistant à collecter la chaleur simplement en faisant circuler de l'eau dans des forages profonds déviés et connectés entre eux en profondeur, à la manière d'un radiateur inversé. Il n'y a donc pas de surpressurisation du milieu, ce qui ôte le risque d'induire des tremblements de terre », explique Naomi Vouillamoz, CEO et cofondatrice d’EAPOSYS.
Léger bémol : « L’échange de chaleur ne se faisant plus que par conduction, un processus plus lent que l’advection, les AGS nécessitent de déployer plusieurs dizaines de kilomètres de forages déviés en profondeur pour permettre une production d’électricité et de chaleur équivalente à un EGS classique », concède Naomi Vouillamoz. Cette dernière rappelle toutefois que « la demande en chaleur représente 50% de notre consommation énergétique et que la géothermie profonde de type AGS pourrait facilement en couvrir 30 % avec des installations ne cumulant que quelques kilomètres de forages profonds. »
L’approche AGS détient un autre argument de poids : son potentiel de standardisation. Alors que la géothermie profonde doit composer avec un sous-sol et une géochimie hétérogènes, l’approche en circuit fermé est prédictible et nécessite moins de coûts de maintenance. Alors que le projet de centrale de Geo-Energie Suisse a été budgété à hauteur de 130 millions, SwissDGS évoque une fourchette de prix allant de 25 à 50 millions de francs pour un EAPOLAB.
Une solution d’avenir ?
À une époque jugée critique pour la planète, l’opportunité de profiter de la chaleur disponible dans les entrailles de la Terre apparaît désormais incontournable. Aux États-Unis comme sur le Vieux Continent, les expériences se multiplient. En Suisse, l’Office fédéral de l’Énergie semble tout autant conquis. « Notre pays dispose d'un très important potentiel géothermique. Les perspectives offertes par cette source d'énergie propre, inépuisable et permanente sont séduisantes : exempte de CO2, elle fournit de l'énergie locale 24h/24, 365j/an sans prendre de place. »
L’EPFL explore les profondeurs
Étudier le comportement mécanique des roches situées entre 5 et 8 km sous la surface terrestre, c'est la tâche à laquelle des chercheurs du Laboratoire des sciences de la Terre de l’EPFL ont décidé de s'atteler. Pour y parvenir, en laboratoire, ils ont imaginé une nouvelle machine capable de reproduire les conditions de pression et de température du sous-sol.
Cette dernière permet d'observer le comportement mécanique des roches situées entre 5 et 8 km sous la surface terrestre. À très grande profondeur, il faut savoir que la roche se déforme de manière homogène, de manière similaire à du caramel mou. L’eau n’y est ni liquide ni gazeuse, ce qui pourrait permettre d'en extraire une plus grande quantité d’énergie.
« Il est désormais possible, selon les chercheurs, de détecter la présence de réservoirs d’eau à 400 degrés dans une zone très profonde. De quoi multiplier par dix la quantité d’énergie extraite par rapport à celle des centrales géothermiques qui forent en surface », peut-on lire dans Batimag.
« Le potentiel de la géothermie profonde dite non-conventionnelle (EGS et AGS) est énorme, dans la mesure où l'immensité de la chaleur sous nos pieds se trouve dans la roche (99 % de la chaleur accessible) contre 1 % dans les ressources conventionnelles », explique Naomi Vouillamoz.
Selon Patrick Scherrer, commencer à utiliser cette source d’énergie et de chaleur permettrait de pallier les défauts de la transition énergétique telle qu’on la dessine actuellement. « Que ce soit le passage à une mobilité 100 % électrique ou l’utilisation d’énergies uniquement renouvelables comme le solaire ou l’éolien, ces solutions vont épuiser l’entier des ressources minérales de la planète. Cette voie n’est donc absolument pas durable », assure l’entrepreneur en se basant sur un rapport de Lazard datant de mai 2023.
« Que ce soit le passage à une mobilité 100 % électrique ou l’utilisation d’énergies uniquement renouvelables comme le solaire ou l’éolien, ces solutions vont épuiser l’entier des ressources minérales de la planète », explique Patrick Scherrer, cofondateur d'EAPOSYS
Et dans un contexte géopolitique particulièrement tendu, la géothermie profonde a un autre avantage : une souveraineté énergétique bienvenue pour les États. « Le monde politique réalise enfin que la géothermie sera une partie de la solution, un complément au mix énergétique dont l’humanité aura besoin », explique Jon Mengiardi, l’homme à qui les rênes de SwissDGS ont été confiées.
Dans les mois à venir, ce dernier aura pour tâche de trouver un site pour installer un tout premier EAPOLAB, puis de convaincre les autorités ainsi que l’ensemble du pays du bien-fondé de leur solution à plus grande échelle. « Le timing est idéal », estiment les fondateurs de SwissDGS. L’avenir nous dira si la Suisse parviendra à surmonter les premiers traumatismes bâlois.
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