À la fin du mois, les Écotopiales feront leur retour à l’Université de Lausanne pour une deuxième édition. Ce festival de recherche-création ambitionne « d’explorer les multiples relations que nous entretenons avec le vivant à travers les récits et les imaginaires. »
L’événement fait écho à une chronique publiée en début d’année par Adèle Thorens Goumaz : « Nous n’avons pas seulement besoin de solutions technologiques, mais aussi de nouveaux récits, de nouveaux imaginaires qui nous motivent à prendre des décisions responsables », écrivait l’ancienne conseillère nationale et aux États, aujourd’hui professeure HES à la HEIG-VD.
On en parle avec Colin Pahlisch, directeur artistique du festival.
Dans la période actuelle, beaucoup estiment que la société a besoin d’un nouveau narratif – plus optimiste et moins anxiogène sur le climat. Partagez-vous ce point de vue ?
Je ne sais pas s’il est pertinent de parler d’un récit unique. Penser qu’il suffirait de raconter la bonne histoire pour rendre instantanément l’avenir plus désirable et enrayer les effets désastreux du réchauffement climatique me semble – malheureusement – illusoire, voire risqué. Cela dit, je partage le constat selon lequel la majorité des récits qui nous sont proposés aujourd’hui sur le futur climatique sont largement pessimistes.
Face à ce constat, une première piste consisterait à interroger les effets produits par ce métarécit catastrophiste. Nourrir une vision exclusivement sombre de l’avenir a un effet anesthésiant : cela tend à décourager tout désir d’action, qu’elle soit individuelle ou collective. Or, des solutions existent, et il n’est pas trop tard pour faire évoluer les mentalités !
Créer d’autres récits implique de se mettre à l’écoute de voix alternatives et plurielles, de les cultiver et de les diffuser, afin de ne pas céder aux visions du futur anxiogènes qui nous paralysent. C’est de l’ensemble de ces perspectives que pourra naître un récit nouveau et commun.
Beaucoup d’œuvres de fiction contemporaines – romans, séries, films, etc. – présentent elles aussi des réalités sombres et apocalyptiques. Un paradoxe ?
Pas forcément. D’une part, parce que d’un point de vue factuel, la situation climatique actuelle n’a rien d'encourageant : il est désormais presque certain que nous ne parviendrons pas à respecter la limite de 1,5 °C de réchauffement global fixée par les Accords de Paris – que la Suisse a pourtant signés !
D’autre part, du point de vue proprement fictionnel, le danger, l’hostilité ou la peur sont des ressorts narratifs puissants, qui fascinent et favorisent l’immersion. Il est donc compréhensible que les industries culturelles s’en emparent.
Toute la question est de savoir, en tant que spectateurs, ce que nous faisons de ces représentations. Faut-il adhérer à une vision univoque du futur, ou au contraire y puiser l’envie de la remettre en question ?
Bien sûr, tout ne peut pas reposer sur la responsabilité individuelle. Cultiver l’idée d’un autre monde possible relève aussi des institutions éducatives, notamment de l’université. En tant que festival ouvert à tous les publics, nous espérons que les Écotopiales contribuent à cette mission.
Les œuvres de fiction ont souvent rempli cette fonction démocratique : elles permettent d’envisager une société autre, de remettre en question ce qui est, pour imaginer ce qui pourrait être – pour le meilleur comme pour le pire.
La fiction peut-elle vraiment venir au secours de la réalité ?
Oui, notamment lorsque celle-ci nous apparaît sans issue. Depuis toujours, les mythes et les légendes ont eu pour fonction d’interpréter le monde, d’en proposer une lecture qui permette d’opposer à l’angoisse de l’inconnu un modèle intelligible et porteur de sens. C’est, à bien des égards, encore le cas aujourd’hui.
Face à la crise climatique, un roman comme « Le Ministère du futur » de Kim Stanley Robinson remplit pleinement ce rôle : il présente aux lecteurs, sous la forme d’un récit, des pistes d’action – économiques, techniques, sociales – déjà à l’état germinal dans notre présent. C’est par ailleurs un roman qui nous emporte, une prouesse littéraire.
L’un des problèmes actuels est que notre société apparaît profondément divisée, notamment sur les questions climatiques. Comment serait-il possible de renouer le débat ?
Les imaginaires représentent en effet un enjeu essentiel dans la transformation écologique de la société, dans la mesure où ils ouvrent un espace de dialogue entre diverses lectures du monde. Les œuvres de fiction ont souvent rempli cette fonction démocratique : elles permettent d’envisager une société autre, de remettre en question ce qui est, pour imaginer ce qui pourrait être – pour le meilleur comme pour le pire.
À la croisée des disciplines, notre festival réunit aussi bien des artistes que des scientifiques, avec l’idée d’explorer ce que la création peut apporter à la science, et vice versa. Il est important de renouer le débat sur le climat par le biais des imaginaires, car ceux-ci ont précisément la vertu – ou la force – de s’adresser à nos émotions autant qu’à nos intellects.
On dit souvent que les scientifiques ont un esprit très cartésien… Comment connecter ces deux mondes — la science et les imaginaires ?
C’est une question essentielle, vous avez raison. Elle renvoie à ce que l’anthropologue Philippe Descola appelle le « naturalisme » : une ontologie propre aux sociétés occidentales qui, pour le dire vite, accorde à la raison une valeur supérieure aux affects et aux émotions dans notre rapport au monde. Or, il y a des émotions dans toute recherche scientifique — et du rationnel dans toute création artistique !
En ce sens, notre festival se veut un laboratoire. Avec des chercheuses et chercheurs de l’UNIL, nous avons conçu des ateliers de création collaborative, gratuits et ouverts à tout public, dans lesquels les participants peuvent expérimenter différentes approches du récit — par le biais du cinéma, de la dramaturgie ou de l’écriture créative... C’est une manière de faire bouger les lignes, de « sauter la barrière ». Et pour savoir si cela fonctionne, le mieux est encore d’essayer !