« Il faut impliquer les futurs riverains, les inviter à visiter des sites éoliens existants »
Entretien avec Lionel Perret, ingénieur, directeur Energies Renouvelables et Innovation chez Planair et directeur de Suisse Eole.
Entretien avec Lionel Perret, ingénieur, directeur Energies Renouvelables et Innovation chez Planair et directeur de Suisse Eole.
Déposées le 25 juillet 2025, validées fin septembre, les deux initiatives populaires fédérales « Contre la destruction de nos forêts par des éoliennes (initiative pour la protection des forêts) » et « Pour la protection de la démocratie directe par rapport aux parcs éoliens (initiative pour la protection des communes) » relancent la question éolienne en Suisse.
On poursuit notre série spéciale avec un acteur clé du secteur : Suisse Eole. Pour ce troisième volet, la parole est donnée à son directeur, Lionel Perret.
À la lumière du dépôt réussi des deux dernières initiatives consacrées à l’éolien, une première question s’impose : cette source d’énergie a-t-elle réellement un avenir en Suisse ?
Oui, car le profil de production de l’éolien correspond exactement à nos besoins en énergie hivernale. Notre hydraulique, et plus encore notre solaire, produisent majoritairement en été. En hiver, nous devons importer et dépendons donc de l’étranger, alors même que les vents sont les plus forts.
Sur le plan économique, l’éolien est compétitif : il produit précisément aux moments où la valeur de l’électricité est la plus élevée. Sur le plan environnemental, tous les écobilans confirment un excellent résultat, avec un remboursement de l’énergie grise en quelques mois seulement. C’est pour toutes ces raisons que l’éolien a été reconnu d’intérêt national en Suisse et qu’il dispose d’un avenir prometteur dans notre pays.
Comment expliquer un tel élan anti-éolien dans notre pays ?
Ce phénomène n’est pas propre à la Suisse. Partout, tout projet éolien — comme tout projet de construction modifiant un territoire et un paysage — suscite des oppositions. Il est légitime que les populations riveraines réagissent à la transformation de leur environnement : un projet éolien doit donc aussi générer des retombées positives locales.
Ce qui est plus préoccupant, c’est l’amplification et la diffusion de ces réactions négatives par des milieux opposés à la transition énergétique. On retrouve ici les mêmes groupes que ceux ayant combattu la Stratégie énergétique 2050, avec des éoliennes déjà érigées en épouvantail dès 2024. Leur stratégie repose sur la répétition des messages et l’occupation de l’espace médiatique. Leur objectif : grapiller du terrain en multipliant les votations sur les questions énergétiques, tout en amplifiant des informations de nature à nourrir la contestation sociale.
La nouveauté, aujourd’hui, réside dans la coordination d’un mouvement mondial soutenu par les intérêts liés aux énergies fossiles. L’énergie éolienne, en raison de sa visibilité et de son efficacité, est devenue le symbole même de la transition énergétique — et, de ce fait, une cible privilégiée, comme on le constate actuellement aux États-Unis.
Nous en payons aussi les conséquences en Suisse. On observe désormais un financement massif et inédit de l’opposition éolienne, notamment de la part du lobby anti-éolien « Paysage Libre », qui s’est fortement mobilisé lors des dernières initiatives.
La bonne nouvelle, c’est que lorsqu’un premier parc est réalisé à la satisfaction de la population locale, les extensions deviennent beaucoup plus faciles.
La Suisse vise l’installation d’environ 1 000 éoliennes d’ici 2050 dans le cadre de son mix énergétique. Mais au regard du contexte actuel, ce chiffre ne paraît-il pas hors d’atteinte ?
Il faut remettre ce chiffre en perspective : cela représenterait, à l’horizon 2050, une densité d’environ une éolienne pour 40 km². À titre de comparaison, la plupart des régions voisines de la Suisse ont déjà dépassé ce seuil en 2025.
L’Autriche compte aujourd’hui plus de 1 300 éoliennes et prévoit d’en doubler le nombre dans les prochaines années. En Allemagne, où la filière éolienne figure parmi les plus dynamiques d’Europe, plusieurs régions ont déjà franchi le cap d’une éolienne pour 10 km², voire une pour 5 km² dans le Land du Schleswig-Holstein.
Le prochain objectif pour la Suisse est d’atteindre environ 300 éoliennes d’ici 2030. C’est un objectif réaliste, à condition qu’une majorité des projets actuellement en procédure puissent se concrétiser d’ici là. Les projets existent, tout comme l’intérêt énergétique, économique et technique : la véritable question reste celle de la durée des procédures.
La bonne nouvelle, c’est que lorsqu’un premier parc est réalisé à la satisfaction de la population locale, les extensions deviennent beaucoup plus faciles. Les exemples d’Andermatt ou du Mont Crosin en témoignent : leurs projets d’agrandissement ont été plébiscités, sans une seule voix négative, lors des assemblées communales locales.
Ne vaudrait-il pas mieux aller financer des projets éoliens à l’étranger, où les procédures rencontrent moins d’obstacles, quitte à importer ensuite cette énergie en Suisse ?
Nous avons déjà vécu les conséquences de notre dépendance à l’étranger, avec une explosion des prix de l’énergie — multipliés par 20 — pendant de longs mois en 2022. Investir dans notre propre approvisionnement en Suisse constitue une assurance contre les risques énergétiques, qui nous permet de traverser les crises avec davantage de stabilité.
La filière éolienne suisse a d’ailleurs continué à produire à prix fixe garanti durant cette période de turbulences en 2022, tout en versant à la Confédération le surplus de revenus généré par les prix du marché. La crise aurait été bien moins sévère si nous avions disposé d’un approvisionnement local plus important en hiver.
Par ailleurs, il serait naïf de croire que nos voisins acceptent volontiers de transformer leurs paysages — tout aussi précieux pour eux que les nôtres — afin d’approvisionner la Suisse. Les projets éoliens à l’étranger répondent avant tout à des priorités d’investissement et de valorisation locales.
Courant septembre, les Chambres fédérales ont adopté la loi visant à accélérer les procédures pour les énergies renouvelables. Est-ce que cela pourrait redonner un peu d’élan à l’éolien en Suisse ?
La dynamique est déjà bien engagée dans la filière, avec trois parcs actuellement en construction et une dizaine d’autres proches du démarrage des travaux. Nous arrivons aujourd’hui au terme des vingt années de procédures habituelles pour les projets historiques, développés depuis 2005 et souvent confrontés à des oppositions.
La Stratégie énergétique votée en juin 2024, avec une large majorité, constitue la principale source de cet élan. Elle a permis de faire avancer de nombreux projets, notamment en Suisse alémanique. À l’inverse, les initiatives anti-éoliennes et anti-transition portées par Paysage Libre ont été déposées précisément à ce moment-là, en opposition directe à cette stratégie.
Depuis, le Parlement a soutenu plusieurs mesures : la loi « Windexpress », qui supprime une possibilité de recours sur onze pour les projets historiques, ainsi que la nouvelle loi d’accélération, davantage axée sur les grands projets hydrauliques. Pour l’éolien, cette loi se limite à confirmer la possibilité d’utiliser des gabarits lors des procédures et de recourir à des démarches cantonales lorsque les communes concernées en font la demande.
L’enjeu essentiel est désormais de réaliser concrètement les projets et de passer d’un discours fondé sur les peurs à un débat fondé sur les faits.
Comment relancer la question éolienne en Suisse ? Comment surmonter les fameux syndromes « NYMBY » (Not In My Backyard) et « BANANA » (Build Absolutely Nothing Anywhere Near Anything) ?
Elle est déjà relancée ! Les projets avancent bien : plusieurs votations récentes ont été remportées, y compris à l’échelle cantonale, comme dans le canton de Lucerne. L’enjeu essentiel est désormais de réaliser concrètement les projets et de passer d’un discours fondé sur les peurs à un débat fondé sur les faits. Nous observons d’ailleurs que l’extension des parcs existants est beaucoup plus facile que la construction des premières éoliennes — un constat valable aussi bien en Suisse qu’à l’international.
Si nous parvenons à lancer une vague de réalisations exemplaires, en partenariat avec les distributeurs locaux, les communes et la population, notamment à travers des communautés électriques locales, nous pourrons progressivement briser ces réflexes de rejet. Nous pourrons alors vraiment éviter de dépenser ces milliards chaque année pour répondre à notre addiction aux énergies fossiles — qui représentent encore près de 90 % de nos importations énergétiques, majoritairement hors d’Europe.
L’objectif est de construire un système à forte valeur ajoutée locale, bénéfique pour tous. L’être humain n’est pas opposé au changement, sauf lorsqu’il lui est imposé. C’est pourquoi il faut impliquer les futurs riverains, les inviter à visiter des sites existants, et leur permettre de comprendre la réalité complexe de notre approvisionnement énergétique. Célébrons collectivement ces communes exemplaires qui montrent la voie de la transition et contribuent à assurer l’ensemble de la population contre les risques énergétiques futurs.