La fin des indulgences climatiques a sonné

Les scandales et de nouvelles règles vont chambouler le marché volontaire des compensations carbone pour les entreprises.

La fin des indulgences climatiques a sonné
Pierre Veya, directeur éditorial du site SwissPowerShift

Il y a quelques jours, l’ONG chargée de superviser le marché de la compensation carbone – qui permet aux entreprises d’acheter des crédits pour neutraliser leurs émissions de gaz à effet de serre – a annoncé vouloir exclure de ce système tous les projets finançant les énergies renouvelables.

L’Integrity Council for the Voluntary Carbon Market (ICVCM) frappe fort. En un seul trait de plume, cette organisation retire du marché un volume équivalent à 32% des projets actuels. Son raisonnement? Sauf dans de rares cas, les investissements dans les énergies renouvelables sont désormais rentables partout dans le monde. Et se financent donc par eux-mêmes. Ils ne devraient donc plus être intégrés dans le marché de la compensation volontaire de carbone. D’autant que la construction d’un parc solaire ne conduit pas forcément à la fermeture d’une centrale à charbon.

Une réponse radicale

La mesure envisagée est une réponse radicale à la crise de confiance qui gangrène le marché de la compensation. Des enquêtes menées par des journalistes et des études académiques ont révélé qu’une très grande majorité des programmes de compensation carbone était en réalité des leurres. Non seulement le financement des projets d’énergie renouvelable n’est plus nécessaire, mais plusieurs enquêtes ont montré que des certificats avaient été vendus pour protéger des forêts qui n’étaient pas menacées de déforestation.

Plus grave, il y a quelques jours, la ministre brésilienne de l’Environnement, Marina Silva, s’alarmait des agissements d’organisations criminelles ayant mis la main sur des fonds provenant de certificats émis sur des terres qui ne leur appartenaient pas.

Peu d’effets réels

Le bilan du marché volontaire de la compensation carbone est non seulement suspect, mais, à vrai dire, catastrophique. Une étude de l’École polytechnique de Zurich (EPFZ) et de l’Université de Cambridge estime en effet que seuls 12% des certificats de compensation achetés entraînent une réduction réelle des émissions.

Pas étonnant que des entreprises comme Air France, Disney, Volkswagen et même Swisscom (qui a acheté une forêt en Allemagne) soient accusées d’écoblanchiment (greenwashing). D’autres sont poursuivies pour publicité mensongère, en particulier celles qui ont apposé une étiquette de neutralité climatique sur leurs produits en se basant sur le principe de la compensation.

La Commission européenne et la SEC américaine (Security Exchange Commission) ont promis d’intervenir pour restaurer la crédibilité d’un marché que le consultant McKinsey voyait atteindre 50 milliards d’ici à 2030. S’il a touché les 2 milliards en 2022, il est aujourd’hui en fort recul, chutant à 723 millions en 2023. Certains experts pensent même qu’il ne se remettra pas des scandales.

Mais de toute évidence, ces nouveaux codes de conduite sont insuffisants pour restaurer la confiance.

De nombreuses entreprises, comme Nestlé, se sont en effet retirées du marché, craignant d’être éclaboussées par les scandales. L’agence zurichoise South Pole, l’une des principales sociétés actives dans la certification des projets de compensation carbone, a été contrainte de lancer un nouveau label l’an dernier, dans le sillage des décisions prises par la Voluntary Carbon Markets Integrity Initiative, l’ONG lancée lors de la COP de Glasgow. Mais de toute évidence, ces nouveaux codes de conduite sont insuffisants pour restaurer la confiance.

Crise très profonde

Que l’on ne s’y trompe pas, la crise n’est pas que normative. C’est le principe même de la compensation carbone qui est en cause. Comme l’explique dans son blog Malte Toetzke, chercheur à l’EPFZ, «la grande majorité des projets visent à éviter des émissions supplémentaires mais ne compensent pas les émissions réelles».

Que l’on ne s’y trompe pas, la crise n’est pas que normative. C’est le principe même de la compensation carbone qui est en cause.

Il serait préférable de se concentrer sur des projets retirant concrètement le CO₂ de l’atmosphère, mais cela coûte beaucoup plus cher. L’entreprise suisse Climeworks facture entre 600 et 1000 dollars pour éliminer une tonne de CO₂ de l’atmosphère. En comparaison, les projets d’évitement moyen, comme ceux basés sur des installations d’énergies renouvelables, ne coûtent que… 2 dollars par tonne. Sur leur site internet, les compagnies aériennes proposent de compenser un vol transatlantique pour quelques dizaines de francs supplémentaires. Or il a été montré qu’un billet d’avion promettant le retrait réel et prouvé du CO₂ émis durant le vol accuserait un surcoût de… 3500 francs, si cela était effectué selon une méthode rigoureuse.

Comme l’ont démontré les professeurs Augustin Fragnière (UNIL) et Philippe Thalmann (EPFL) dans leur publication «Pour une stratégie de décarbonation fondée sur la science», la compensation carbone ne peut pas servir de substitut aux véritables réductions des émissions de CO₂. Au mieux, elle peut compléter les efforts des entreprises. Ou financer des émissions négatives qui seront nécessaires pour compenser des émissions qui ne pourront pas être évitées.

Et maintenant, que va-t-il se passer? Si les acteurs du marché de la compensation volontaire de carbone parviennent à restaurer la confiance, sa taille se réduira dans un premier temps. Et les prix augmenteront fortement, en raison des nouvelles règles. C’est la fin des indulgences climatiques qui ont permis aux pollueurs de s’acheter une bonne conscience pour des cacahuètes.

Cette chronique est également parue dans les colonnes de 24 Heures et Tribune de Genève.

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