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« Il faut replacer la finance durable dans sa réalité : une démarche de long terme, complexe, parfois frustrante, mais indispensable », estime Vincent Kaufmann, directeur de la Fondation Ethos.
Présentée comme un levier majeur de la transition climatique, la finance durable vit une période difficile. Or, dans un contexte toujours marqué par l’urgence climatique et les défis énergétiques, comment redonner un cap clair — un second souffle — à la finance durable ? Et quel rôle la Suisse pourrait-elle jouer dans cette reconstruction ?
On en parle avec Vincent Kaufmann, directeur de la Fondation Ethos.
Votre fondation cherche depuis plusieurs années à s’orienter vers une finance plus durable… avec quel succès, et quels éventuels reculs ?
Depuis sa création en 1997, la Fondation Ethos poursuit un objectif clair : promouvoir un investissement responsable et durable au service des caisses de pension suisses et de leurs assurés, des investisseurs par définition tournés vers le très long terme. En près de trois décennies, nous avons élargi nos activités, développé des méthodologies robustes et mené un dialogue constant avec les entreprises cotées sur les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
Les succès sont nombreux. Il y a vingt ans, par exemple, évoquer ces thématiques avec les conseils d’administration relevait du défi : on nous expliquait souvent que les enjeux ESG n’étaient pas du ressort des actionnaires. Aujourd’hui, ce sont les entreprises elles-mêmes qui viennent à notre rencontre pour en discuter.
Les progrès sont tangibles, mais nous restons lucides : la finance durable évolue dans un contexte mouvant, parfois politisé. Cela nous impose de maintenir notre approche et nos convictions pour préserver à la fois notre ambition et notre intégrité.
Globalement, l’impression est qu’au sein des grandes sociétés cotées, la question climatique n’est clairement pas prioritaire pour les actionnaires. Une fausse ou vraie impression ?
Nous ne partageons pas ce constat. De nombreuses entreprises mettent en place des plans de transition et sont devenues beaucoup plus transparentes sur la question climatique. La lecture des rapports annuels montre à quel point le changement climatique représente à la fois des risques physiques et des risques de transition pour les entreprises.
Pour les investisseurs également, le climat est devenu au cours des dix dernières années une préoccupation centrale, en particulier pour ceux qui, comme les caisses de pension, doivent gérer des risques systémiques sur le long terme. Cela dit, il est vrai que cette priorité n’apparaît pas toujours clairement dans les votes des assemblées générales (AG). En Suisse, par exemple, les rapports de durabilité obtiennent souvent plus de 95 % d’approbation, ce qui donne une impression de consensus — alors même que la transparence et la qualité des données publiées restent souvent insuffisantes.
Mais si l’on observe l’engagement actionnarial, c’est-à-dire le dialogue dans la durée, on constate que le climat est aujourd’hui l’un des sujets les plus débattus, avec de nombreuses exigences formulées par les investisseurs. On peut aussi rappeler que si certains États américains critiquent les grands gestionnaires d’actifs pour avoir « trop » intégré l’ESG, d’autres investisseurs — notamment européens — se retirent désormais de ces mêmes gérants parce qu’ils n’en font pas assez. L’exemple récent du fonds de pension néerlandais PFZW, qui a mis fin à son partenariat avec BlackRock, en est une illustration marquante.
En Suisse, la campagne que nous avons récemment menée avec des caisses de pension membres de l’Ethos Engagement Pool illustre également cette tendance : nous exigeons des gérants d’actifs qu’ils votent aux AG conformément aux volontés et aux valeurs de leurs mandants, notamment sur les enjeux liés à la durabilité. C’est une manière claire d’utiliser les droits de vote pour soutenir des résolutions climatiques ambitieuses.
Le retrait de grandes banques permet aussi de distinguer les acteurs sincères de ceux qui avaient adhéré à ces engagements pour des raisons d’image ou de conformité.
Est-il vraiment possible d’investir de manière durable tout en dégageant une rentabilité suffisante ?
Oui, absolument. De nombreuses études académiques et empiriques ont montré qu’il est possible de concilier performance financière et durabilité. Chez Ethos, nous en faisons l’expérience au quotidien. Notre fonds « Mid & Small Cap Suisse », par exemple, dépasse régulièrement son indice de référence tout en appliquant des critères ESG stricts. Nos indices consacrés à la durabilité et à la gouvernance affichent également de meilleures performances que leurs indices de référence sur le long terme.
Il ne faut pas l’oublier : intégrer des critères de durabilité et de gouvernance dans la sélection de titres permet aussi d’éviter les entreprises exposées à des controverses. Ainsi, aucun titre Credit Suisse ne figurait depuis des années dans nos fonds, bien avant la chute de la banque.
Investir durablement ne signifie donc pas faire des concessions, mais au contraire gérer les risques de manière plus fine et identifier des opportunités liées à la transition en cours. Les marchés reconnaissent de plus en plus la valeur des entreprises capables d’anticiper les défis sociaux et environnementaux.
Les déboires croissants rencontrés par la NZBA apparaissent comme un recul flagrant du secteur bancaire dans la quête d’une finance véritablement durable. Dix ans après l’Accord de Paris, comment l’expliquer ?
Nous regrettons évidemment le retrait de grandes banques ces derniers mois. C’est un signal négatif qui affaiblit les efforts collectifs en faveur de la neutralité carbone. Les banques jouent en effet un rôle clé dans la transition, non seulement par leur propre empreinte, mais surtout à travers leurs décisions de financement et d’investissement.
Cela dit, si certaines se retirent aussi facilement des alliances climatiques aujourd’hui, c’est sans doute qu’elles n’étaient pas pleinement engagées dès le départ. Cela permet aussi de distinguer les acteurs sincères de ceux qui avaient adhéré à ces engagements pour des raisons d’image ou de conformité.
Il existe également un phénomène de « greenhushing », lorsque certaines institutions deviennent plus discrètes sur leurs engagements pour éviter les critiques, notamment de l’administration américaine. Dans tous les cas, il faut juger les progrès effectifs et pas seulement les ambitions.
Le principal problème n’est-il pas aujourd’hui lié à l’impression que la finance durable – et même le mot « durabilité » – sont devenus des fourre-tout sans réelle consistance ?
C’est une remarque légitime. Le terme « finance durable » a été largement utilisé — parfois abusivement — ces dernières années, ce qui crée de la confusion. C’est précisément pourquoi nous soutenons les efforts réglementaires, notamment européens, qui visent à encadrer clairement ce qu’est un investissement durable. Il serait souhaitable d’adopter la même démarche en Suisse. Sans définition rigoureuse, on prend le risque de voir la finance durable perdre en crédibilité — au détriment des acteurs véritablement engagés et de la transition dans son ensemble.
La Suisse doit faire des choix clairs. Cela suppose de soutenir une finance durable ambitieuse, encadrée et fondée sur des standards exigeants.
De manière similaire aux critères ESG, ne faudrait-il pas une refonte complète du terme finance durable, afin de tracer une nouvelle voie et retrouver la dynamique survenue à Paris 2015 ?
Plus qu’une refonte totale, nous pensons qu’il faut clarifier, structurer et renforcer les outils existants. Les critères ESG ne sont pas parfaits, mais ils constituent un socle utile. Ils doivent être complétés par des analyses d’impact, des objectifs fondés sur la science et davantage de transparence.
Nous avons, par exemple, développé une méthodologie permettant d’évaluer l’alignement climatique des entreprises. C’est précisément ce type d’outils concrets, robustes et évolutifs qui peut faire progresser la finance durable dans la bonne direction.
Quelles actions pourraient être menées pour changer le narratif actuel autour de la finance durable, narratif désormais entaché par le déclin de la NZBA ?
Il faut replacer la finance durable dans sa réalité : une démarche de long terme, complexe, parfois frustrante, mais indispensable. Le repli de certains acteurs ne doit pas masquer les avancées structurelles ni l’engagement croissant d’un grand nombre d’investisseurs responsables, ainsi que des entreprises qu’ils financent.
Changer le narratif, c’est aussi mieux communiquer sur les impacts concrets, les réussites, mais aussi les défis. La finance durable ne peut pas se réduire à une simple promesse marketing. Elle doit redevenir une ambition exigeante, fondée sur des preuves et sur la redevabilité.
Avec des événements comme « Building Bridges », la Suisse ne devrait-elle pas tout faire pour s’assurer un rôle de leader dans le domaine de la finance durable ?
Oui, absolument. La Suisse a tous les atouts pour jouer un rôle moteur : des acteurs financiers solides, un tissu académique de qualité, une position diplomatique privilégiée et une tradition de stabilité. Mais elle doit faire des choix clairs. Cela suppose de soutenir une finance durable ambitieuse, encadrée et fondée sur des standards exigeants. Des événements comme Building Bridges peuvent favoriser les synergies, mais ils doivent aussi servir de tremplin vers des engagements concrets.