« La pénurie actuelle pourrait favoriser l’acceptation de nouvelles formes d’habitation »

Entretien avec Luca Ippoliti, directeur régional gérance pour la Suisse romande et Christophe Chatelet, responsable du département construction, membre de la direction générale chez Wincasa.

« La pénurie actuelle pourrait favoriser l’acceptation de nouvelles formes d’habitation »
Luca Ippoliti (à gauche), directeur régional gérance pour la Suisse romande et Christophe Chatelet, responsable du département construction, membre de la direction générale chez Wincasa.

« En transformant les immeubles lors de leur assainissement de manière à réduire les espaces privatifs et augmenter les surfaces mutualisées, il serait possible d'offrir à chaque habitant plus de mètres carrés tout en diminuant la surface globale par habitant », écrivait, dans une précédente opinion, Philippe Thalmann.

Selon le professeur d'économie de l'environnement à l'EPFL, ce modèle peut être économiquement viable. « Si le même bâtiment accueille 40 personnes au lieu de 30, il devient possible d’augmenter les revenus locatifs tout en réduisant le loyer par personne. Le propriétaire rentabilise ainsi l'assainissement et la transformation du bâtiment. Tout le monde est gagnant ! »

Suite aux nombreuses réactions suscitées par cette idée d'une plus grande mutualisation des espaces, nous avons voulu connaître l'opinion des acteurs et experts du secteur immobilier. On poursuit notre série avec le point de vue de Luca Ippoliti, directeur régional gérance pour la Suisse romande et Christophe Chatelet, responsable du département construction, membre de la direction générale chez Wincasa.

La mutualisation accrue des espaces pourrait-elle être une piste sérieuse pour l’avenir du secteur immobilier en Suisse ?

Premièrement, nous estimons, sur la base de notre expérience, qu’effectivement, au vu des défis énergétiques (énergie grise) et compte tenu de la nécessité d’une économie de surfaces, l’avenir de la construction réside dans la rénovation et l’optimisation du parc immobilier existant.

La mutualisation des espaces existe déjà aujourd’hui pour certaines formes d’habitation : logements étudiants, communautés au sein d’institutions pour personnes âgées, ou encore micro-appartements meublés, le plus souvent assortis de zones communes.

Nous pensons qu’un développement de ce modèle pourrait partiellement répondre à la demande d’une population envisageant, sur le long terme, une vie à deux ou en solitaire. Ce mode de vie concernerait principalement une période que nous estimons à environ 30 ans dans une existence, et pourrait théoriquement toucher environ 20 % de la population (1/3 de la vie pour 60 % de la population non-propriétaire).

Les appartements avec des espaces mutualisés ont donc un réel potentiel sur le marché. Celui-ci serait d’autant plus important qu’un changement de mindset vis-à-vis de la zone privative de « son appartement » pourrait s’opérer, comme le souligne justement le Professeur Thalmann. Paradoxalement, le manque de logements pourrait favoriser l’acceptation de nouvelles formes d’habitation.

Nous ne voyons a priori pas de corrélation directe entre la mutualisation des espaces et l’attribution de davantage de moyens humains à la rénovation.

Cette mutualisation des espaces permettrait-elle de consacrer davantage de ressources à la rénovation plutôt qu’à la construction de nouveaux logements – et ainsi combler le retard pris par la Suisse dans la transformation de son parc immobilier ?

Nous ne voyons a priori pas de corrélation directe entre la mutualisation des espaces et l’attribution de davantage de moyens humains à la rénovation.
Il s’agit plutôt de rendre la rénovation, la densification et la modernisation économiquement attractives.

Nous estimons qu’un allègement de la législation, une accélération des délais d’obtention des autorisations de construire, ainsi que des mesures favorisant une véritable densification (l’autorité pourrait, en contrepartie, exiger un quota raisonnable d’appartements à loyers modérés), constituent des pistes crédibles et efficaces.

L’intérêt des investisseurs (caisses de pension et autres…) représente selon nous le levier le plus puissant pour provoquer un changement rapide, ces acteurs étant des piliers majeurs du parc immobilier.

Depuis des années, on entend cette nécessité de réduire la taille des logements, mais le secteur semble rester sourd à cette demande...

Notre expérience tend à démontrer qu’il s’agit d’une réalité : nous identifions trois facteurs qui jouent fortement en défaveur de la réduction de surface par habitant :

  1. Les locataires recherchent des logements confortables, offrant une liberté d’ameublement, ce qui devient difficile dans des surfaces réduites.
  2. Les propriétaires cherchent avant tout à garantir la « rentabilité » de leurs immeubles et se contentent de répondre à la demande du marché.
  3. Les personnes pour lesquelles une réduction de surface pourrait être pertinente ne changent pas d’appartement (notamment les parents dont les enfants ont quitté le domicile familial). Ces familles vivent souvent depuis longtemps dans leur logement, et l’expérience montre que l’évolution de leur loyer est généralement inférieure à celle du marché : d’où un faible intérêt économique à réduire leur surface, à renoncer à une chambre pour les petits-enfants, tout en payant un loyer plus élevé.
Les immeubles de bureaux obsolètes représentent une réelle opportunité pour le logement alternatif, contribuant ainsi à réduire le manque actuel de logements.

Quelles pistes concrètes existent pour réduire l’impact climatique du secteur immobilier suisse ?

Dans le modèle économique qui prévaut sous nos latitudes, les incitations financières constituent le principal moteur de l’innovation. Elles pourraient se traduire, par exemple, par la libération de grands appartements. Un tel modèle serait suffisamment attractif pour encourager les couples à échanger un 5 pièces contre un 3 pièces lorsque les enfants ont quitté le nid, cette démarche pouvant être accompagnée d’avantages adaptés aux besoins liés à l’âge : proximité des commerces, accessibilité facilitée, présence d’un ascenseur, etc.

Sur le plan de la construction, le secteur doit naturellement s’orienter vers l’utilisation de matériaux à faible empreinte carbone, ainsi que vers la réutilisation ou le recyclage des matériaux existants.

Il serait également nécessaire que la Suisse s’engage résolument à promouvoir la densification urbaine. Cela passerait notamment par la transformation ou la surélévation d’immeubles existants, rendue possible grâce à des mesures incitatives attractives, incluant une garantie rapide sur la faisabilité des projets.

Le secteur immobilier fait actuellement face à une suroffre de bureaux. Ces espaces, une fois réaménagés, ne pourraient-ils pas répondre au besoin croissant de logements intégrant davantage d’espaces mutualisés ?

Nous estimons que les espaces de bureaux, souvent très flexibles, représentent une option particulièrement intéressante pour le développement de formes alternatives de logement, telles que les appart’hôtels ou d’autres concepts similaires.
Les surfaces inoccupées se trouvent souvent en périphérie, ce qui n’est pas nécessairement un inconvénient pour un usage résidentiel.

Cependant, les investissements nécessaires, notamment pour l’aménagement des pièces d’eau, des installations électriques ou du chauffage, sont souvent conséquents. Par ailleurs, une partie des immeubles de bureaux ne se prête tout simplement pas à une reconversion en logements. Pour ces bâtiments, la construction d’un immeuble neuf, par exemple à ossature bois, pourrait être envisagée.

Notre expérience montre, une fois de plus, que des modifications législatives allant dans le sens d’un assouplissement (concernant, par exemple, la modification des zones d’affectation, les exigences en matière de lumière naturelle, de bruit, la possibilité de créer des balcons, ou encore la protection des sites) constituent des conditions essentielles pour permettre un tel développement à court terme.

En résumé, nous pensons qu’avec une volonté politique alignée sur les objectifs de réduction des émissions de CO₂, les immeubles de bureaux obsolètes représentent une réelle opportunité pour le logement alternatif, contribuant ainsi à réduire le manque actuel de logements.

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