L'abandon incompréhensible d'une étude primordiale sur les PFAS par la Confédération

« Les PFAS ne constituent pas un risque abstrait, mais une menace tangible qui demande des réponses fondées sur la science, à travers des analyses les plus approfondies possibles », explique Henri Klunge, ingénieur chimiste et fondateur d'Alcane Conseils.

L'abandon incompréhensible d'une étude primordiale sur les PFAS par la Confédération
Henri Klunge, ingénieur chimiste et fondateur d'Alcane Conseils.

On les appelle les « polluants éternels » : les substances per- et polyfluoroalkylées, ou PFAS, sont omniprésentes dans notre quotidien et dans nos environnements. Leur résistance chimique, atout industriel indéniable, s’est transformée en cauchemar sanitaire et écologique. Or, en septembre 2025, la Confédération suisse a décidé d’abandonner une étude d’envergure sur les PFAS, arguant que son coût était trop élevé.

Ce renoncement suscite indignation et incompréhension au sein de la communauté scientifique, alors que les premières données suisses révélaient une contamination préoccupante. Pourquoi les PFAS représentent-ils un enjeu majeur ? Que visait cette étude fédérale ? Et quelle portée cette décision peut-elle avoir pour la santé publique et la protection de la nature ?

Les PFAS : si utiles mais si toxiques

Les PFAS forment une vaste famille de substances chimiques synthétiques, utilisées depuis les années 1950 dans de nombreux produits : revêtements antiadhésifs pour poêles, mousses anti-incendie, textiles imperméables ou encore certains cosmétiques.

Leur particularité ? Une très grande stabilité chimique, due à leur chaîne carbonée liée à des atomes de fluor, qui les rend pratiquement indestructibles. Cette persistance leur a valu le surnom de « polluants éternels ». Leur usage massif a entraîné une contamination mondiale des sols, des eaux, de la faune et même des êtres humains, les PFAS s’accumulant dans les organismes vivants.

La santé dépasse les calculs budgétaires à court terme. La transparence, la rigueur scientifique et la responsabilité publique sont indispensables face à ces « polluants éternels ».

La dangerosité des PFAS réside dans leurs effets toxiques sur la santé et l’environnement. L’exposition à ces substances est associée à une augmentation des risques de cancers — notamment du rein et des testicules —, à des troubles hormonaux et immunitaires, à des dysfonctionnements du foie et de la reproduction, ainsi qu’à des perturbations du développement chez les enfants.

Par ailleurs, les PFAS contaminent durablement les eaux souterraines et superficielles, les sols, et affectent la faune sauvage, provoquant des anomalies de reproduction et une diminution de la fertilité chez diverses espèces. À l’échelle internationale, la menace que représentent les PFAS est prise très au sérieux avec la mise en place de réglementations de plus en plus strictes. Plusieurs pays ont ainsi engagé des programmes de suivi, de restriction d’usage, voire d’interdiction progressive.

Une étude ambitieuse sur les PFAS

Face à ce constat, la Suisse avait lancé, dès 2018, une étude scientifique ambitieuse visant à suivre pendant vingt ans plus de 100 000 volontaires. Le protocole prévoyait des analyses régulières de sang et d’urine visant, d’une part, à mesurer avec précision l’exposition humaine aux PFAS et à comprendre leurs mécanismes d’impact sanitaire, et, d’autre part, à éclairer les politiques publiques en matière de gestion, de surveillance et de réglementation de ces substances.

Cette étude devait également évaluer la présence de PFAS dans les eaux, les sols et les organismes vivants locaux, à travers un réseau national d’échantillonnage. Avant son arrêt en septembre 2025, les premières données recueillies avaient déjà mis en lumière une contamination élevée et révélé des effets négatifs sur la fonction pulmonaire, entre autres. Certes, vingt ans peuvent sembler longs à l’échelle humaine ; mais face à la persistance des PFAS, ce n’est qu’un grain de sable sur une plage.

La décision de stopper ce programme — dont les coûts étaient estimés entre 10 et 12 millions de francs — a été justifiée par les autorités fédérales principalement pour des raisons budgétaires, la complexité du projet et le constat que d’autres études, notamment européennes, pouvaient déjà couvrir une partie des enjeux. Parmi les arguments avancés figuraient également d’importantes contraintes administratives et un certain chevauchement avec d’autres initiatives scientifiques.

La lutte contre la pollution aux PFAS est une course de fond, où le temps perdu se paie en vies humaines et en dégradation durable des écosystèmes.

Un abondant incompréhensible

L’abandon de cette étude m’apparaît comme une erreur majeure. Elle prive le pays d’une source précieuse de données directes, limite la transparence sur l’exposition réelle de la population suisse à ces polluants et affaiblit la capacité à piloter des mesures de prévention efficaces et durables. Car la coordination internationale ne saurait remplacer une connaissance fine et contextualisée des réalités locales.

Les PFAS ne constituent pas un risque abstrait, mais une menace tangible qui demande des réponses fondées sur la science, à travers des analyses les plus approfondies possibles. Le rôle de l’État est précisément de protéger la population et l’environnement. Qui mieux que lui pour soutenir et mettre sur pied une étude scientifique indépendante à grande échelle, capable d’apporter des résultats utiles pour sa politique de santé publique, mais aussi pour la communauté scientifique — qu’il s’agisse de développer des alternatives ou de diminuer les conséquences de l’exposition à ces substances ?

La santé dépasse les calculs budgétaires à court terme. La transparence, la rigueur scientifique et la responsabilité publique sont indispensables face à ces « polluants éternels ». La Suisse doit au contraire redoubler d’efforts pour combler ses lacunes plutôt que de s’en détourner. Si la Confédération renonce définitivement à cette étude, il est possible d'imaginer sa position lorsque l’on découvrira de nouvelles substances nocives — on en découvrira sûrement d’autres dans les années à venir.

Besoin d'un sursaut collectif

Par ailleurs, les normes suisses figurent parmi les plus strictes d’Europe, voire du monde. Cela peut être perçu comme une bonne chose , à condition qu’elles reposent sur des bases scientifiques solides ; sans cela, elles risquent d’apparaître déconnectées de la réalité technique. In fine, en suivant l’adage selon lequel « le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas », une éventuelle interdiction de mise sur le marché des PFAS n’en sera que plus légitime si elle repose sur des données fiables.

Il faudrait donc un sursaut collectif : protéger la santé et la nature contre les PFAS ne peut être ainsi sacrifié sur l’autel d’exigences financières ou bureaucratiques. Comme le rappelait, après l’annonce, Frédéric Mairy (Conseiller d’État, PS) : « La prévention, c’est un investissement pour éviter des coûts sociaux immenses. »

La lutte contre la pollution aux PFAS est une course de fond, où le temps perdu se paie en vies humaines et en dégradation durable des écosystèmes. Ne rien faire reviendrait à abandonner la santé publique et la planète à un ennemi invisible, mais redoutable, dont seules la vigilance, la science et la volonté politique pourront venir à bout.

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