Les critères ESG sont-ils condamnés ?

Face aux critiques de plus en plus virulentes aux États-Unis, les normes environnementales sont sous fortes pressions.

Les critères ESG sont-ils condamnés ?

« Les critères ESG sont irrécupérables ! Ils sont les témoins de cette situation où les bonnes intentions ont pris le pas sur le bon sens. Qu’ils reposent en paix. » Professeur de finance à la Stern School of Business de l’Université de New York, Aswath Damodaran ne mâche pas ses mots lorsqu’il s’agit, pour le Financial Times, de dessiner un avenir pour ces fameuses normes en partie environnementales.

C’est un fait, aux États-Unis, l’acronyme qui regroupe les trois mots « Environnement, social et gouvernance » est victime d’une impopularité croissante. Six États américains dont la Floride ont déjà adopté des lois interdisant leur utilisation pour les décisions d'investissement ou de gestion de fonds publics. Et les projets de loi anti-ESG ne cessent de s’y multiplier.

« Cette situation complexe et contrastée reflète les tensions politiques et économiques profondes des États-Unis. Ces normes sont ainsi souvent perçues par leurs détracteurs républicains comme une imposition de valeurs progressistes, en contradiction avec leurs convictions politiques. Et dans certains États, notamment ceux dépendant fortement des industries fossiles, les critères ESG sont vus comme une menace pour l’économie locale », explique Elise Beaufils, responsable adjointe de la recherche en durabilité chez Lombard Odier IM.

« Cette situation complexe et contrastée reflète les tensions politiques et économiques profondes des États-Unis », explique Elise Beaufils, responsable adjointe de la recherche en durabilité chez Lombard Odier IM

Outre-Atlantique, les institutions publiques ne sont pas les seules à vouloir prendre leurs distances avec ces critères. Le revirement magistral de Larry Fink au mois de juin 2023 en est la preuve. Défenseur de longue date des normes ESG, le patron de BlackRock a choisi de ne plus les utiliser, estimant qu’ils étaient devenus les parangons d’une forme d'activisme politique et non plus ceux d’une stratégie purement financière.

Retrait de fonds

Ce désamour des investisseurs se confirme factuellement. Selon une étude de Barclays publiée au mois de juin 2024, les clients avaient retiré 40 milliards de dollars nets des fonds libellés ESG.

Sur le site Allnews, Eric Pedersen, membre du comité des investissements responsables de Nordea Asset Management, relativise : « De nombreux rapports ont évoqué un prétendu exode des investisseurs des stratégies ESG l’année dernière, mais ils ne reflètent souvent pas toute la vérité. (...) Les actifs mondiaux des fonds jugés "durables" par Morningstar sont passés de 2500 milliards de dollars fin 2022 à près de 3000 milliards de dollars à la fin de l’année dernière ».

Certes, vu les 7000 milliards investis en fonction de ces critères, « cet exode » apparaît peu significatif. Sauf qu’il marque une toute première inversion négative des flux d’argent.

Les reproches

Qu’est-ce qui cloche ? Où est-ce que le bât blesse pour une initiative apparue au départ comme une vraie avancée en faveur de la planète et apte à enthousiasmer les foules durant la dernière décennie ? « Le problème est que les mots ESG représentent une sorte de monstre de Frankenstein, un regroupement de critères qui nous en dit moins sur l’impact d’un fonds ou d’une entreprise que sur le sentiment confus de bienfaisance de la société », peut-on lire dans le Financial Times.

« Le problème est que les mots ESG représentent une sorte de monstre de Frankenstein », peut-on lire dans le Financial Times.

L’autre souci est que l’aspect marketing a pris le dessus sur l’enjeu écologique, permettant aux gestionnaires de fonds de « verdir » leurs dossiers pour attirer les investisseurs. « La réalité à laquelle nous devons faire face aujourd'hui est que les entreprises et les marchés n'ont pas apporté de changement à l'échelle requise », indique une récente étude réalisée par un panel de chercheurs de l’Université de Cambridge.

Leur conclusion est sans appel : « Les méthodes ESG en faveur du développement durable des entreprises n'ont aucune chance réaliste d'assurer un avenir sûr à l'humanité, ni même de protéger les entreprises, les marchés et les économies dont elles dépendent ».

Scepticisme mondial

Si les critiques sont moins virulentes en Europe qu’aux États-Unis et que l’adoption des critères ESG y semble plus facile, la réalité n’y est pas pour autant totalement rose. En début d’année, le Parlement européen et le Conseil ont dû intervenir pour tenter de leur redonner un peu de crédibilité. En février, un accord provisoire a ainsi été conclu afin de garantir une plus grande transparence et un contrôle public des agences en charge des notations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG).

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Est-ce que cela suffira ? Pas sûr. Il suffit de se renseigner auprès des acteurs sur le terrain pour percevoir les nombreuses réticences existantes autour des critères ESG.

« En ayant voulu tout regrouper sous un même toit, en cherchant à satisfaire un maximum de monde, nous nous retrouvons aujourd’hui avec un fourre-tout indigeste et finalement peu représentatif de ce que devraient être des critères vraiment efficaces pour la protection de l’environnement. En gros, les critères ESG sont une vaste supercherie où les entreprises ne changent rien ou mettent en place des solutions ridicules comme préserver une forêt déjà existante », réagit Camille Lipani.

« Les critères ESG sont une vaste supercherie où les entreprises ne changent rien ou mettent en place des solutions ridicules comme préserver une forêt déjà existante », réagit Camille Lipani, conseillère privée en investissements durables.

Conseillère privée en investissements durables, cette dernière précise que ces critères ne sont clairement pas ceux dont elle tient compte en priorité pour ses clients. Du moins pas dans leur état actuel. Comme beaucoup, Camille Lipani appelle à une refonte complète de la formule, à commencer par une distinction entre les trois aspects : écologiques, sociaux et de gouvernance.

Avec ou sans ESG

Elise Beaufils estime que « l’utilisation unique de métriques ESG centrée sur les pratiques des entreprises est en train d’être peu à peu dépassée pour être remplacée par des analyses plus complexes et plus fines de la transition vers une économie plus durable ». Chez Lombard Odier, ils sont actuellement une petite quarantaine de personnes à avoir la charge de mieux appréhender ces questions de transition et leur impact sur les portefeuilles de la banque genevoise.

Que ces critères soient finalement révisés ou non, la bonne nouvelle est que l’envie de changements persiste tant chez les particuliers que chez les institutionnels. Sur le plan des entreprises, la neutralité carbone reste en tête de liste des objectifs à atteindre.

Quant aux investisseurs, l’envie de placements plus durables est toujours d’actualité. Ils devraient même continuer à croître étant donné que leur rentabilité ne cesse de s’améliorer. « Au grand désespoir de ses détracteurs, ces premières sorties de capitaux ne marquent pas la mort de l’ESG en tant que concept, mais peuvent marquer son déclin en tant qu’outil marketing », conclut le FT.

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