« Les investissements en faveur du développement durable restent en deçà des attentes »
Entretien avec Isolda Agazzi, responsable média d’Alliance Sud pour la Suisse romande.
Entretien avec Isolda Agazzi, responsable média d’Alliance Sud pour la Suisse romande.
La quatrième Conférence internationale des Nations Unies sur le financement du développement (FfD4), qui se déroule à Séville du 30 juin au 3 juillet 2025, constitue une étape clé dans la refondation de l'architecture financière mondiale, afin de répondre aux besoins croissants des pays en développement et de progresser vers les Objectifs de développement durable (ODD).
Face à la crise de la dette, aux inégalités persistantes et à l'urgence climatique, les priorités incluent la mobilisation de nouvelles sources de financement, la réforme des mécanismes de gestion de la dette, la lutte contre les flux financiers illicites, ainsi que le renforcement de la coopération fiscale internationale.
La conférence vise notamment à faire adopter le « Seville Commitment », une feuille de route politique destinée à orienter les financements publics et privés vers le développement durable, en dépit des tensions géopolitiques et de l'absence de certains acteurs clés, notamment les États-Unis. On en parle avec Isolda Agazzi, responsable média d’Alliance Sud pour la Suisse romande.
Premièrement, êtes-vous satisfait du compromis qui devrait être adopté à Séville ?
Pas vraiment. La déclaration finale, déjà rédigée, ne contient aucune avancée décisive face à la crise actuelle et multiple. L’Engagement de Séville se limite à identifier les problèmes et à proposer des formulations prudentes telles que : « Nous encourageons (...) à envisager des options pour améliorer la situation. »
Le renforcement du rôle des Nations Unies dans le débat sur la coopération internationale au développement, attendu par de nombreux pays en développement et par les organisations de la société civile, ne figure par exemple pas dans le texte final. Les discussions et les décisions concernant l'orientation de la coopération internationale restent cantonnées au cercle restreint des donateurs de l'OCDE.
Cela étant dit, cette déclaration finale contient des intentions pertinentes en matière de politique fiscale et de désendettement, qui devraient également inciter la Suisse à prendre des mesures concrètes.
La conférence de Séville constitue la première occasion concrète d'évaluer la capacité de la communauté internationale à progresser malgré l'absence des États-Unis.
D’après les Nations Unies, les pays en développement souffrent d’un déficit de financement de 4 000 milliards de dollars, soit une augmentation de 1 500 milliards en dix ans… Votre réaction ?
C'est scandaleux , et cela démontre à quel point cette conférence est plus nécessaire que jamais.
Pour mémoire, lors de la conférence d'Addis-Abeba en 2015, de grands espoirs avaient été placés dans le secteur privé et les investisseurs, avec l'idée qu'ils mobiliseraient des financements considérables en faveur de l'Agenda 2030. La Banque mondiale avait alors lancé le slogan « des milliards aux milliards de milliards » (« From billions to trillions »).
Dans les faits, les flux financiers sont restés limités. Seules de faibles sommes ont continué à parvenir aux pays les plus pauvres et aux secteurs essentiels à la réalisation de l'Agenda 2030.
La déclaration finale souligne d'ailleurs qu'en dépit d'une attention croissante accordée aux instruments financiers innovants, tels que les financements mixtes (blended finance), et de l'adoption de lois visant à favoriser une économie et une finance durables, les investissements en faveur du développement durable restent en deçà des attentes. Elle pointe également le manque de priorité politique accordée à cet objectif.
Comment réagir à l’absence des États-Unis à la conférence ? Peut-on vraiment imaginer mettre en place des solutions sans la première puissance mondiale autour de la table ?
Les États-Unis se sont largement désengagés de la coopération internationale, et cette situation devrait se poursuivre tant que Donald Trump occupera la présidence. Il est donc nécessaire d'apprendre à avancer sans leur participation et de rechercher des solutions alternatives avec les autres pays donateurs.
La conférence de Séville constitue la première occasion concrète de le faire et représente un test important pour évaluer la capacité de la communauté internationale à progresser malgré l'absence de la première puissance économique mondiale.
Dans la logique actuelle de repli sur soi, notamment au sein des puissances occidentales, peut-on encore croire en des solutions multilatérales ?
Les défis mondiaux nécessitent des réponses globales, qui ne peuvent être que multilatérales. Cette conférence vise non seulement à mobiliser des financements extérieurs en faveur du développement, mais aussi à renforcer les ressources nationales et à promouvoir l'émergence d'un système économique international plus équitable.
L'enjeu sera de bâtir des alliances capables de mettre en œuvre les mesures concrètes prévues dans le document final de la FfD4, et de contribuer ainsi à relever les défis communs sur la voie du développement durable. Mais à ce stade, il est encore très incertain de savoir si ces engagements se traduiront par des actions concrètes, et dans quelle mesure.
Si les politiques économiques internationales et les relations Nord-Sud étaient plus cohérentes et équitables, les pays développés n’auraient plus à mobiliser autant de ressources.
L’enjeu est principalement financier… Où trouver les fonds alors que les puissances occidentales sont elles-mêmes surendettées ?
Si les politiques économiques internationales et les relations Nord-Sud étaient plus cohérentes et équitables, les pays développés n’auraient plus à mobiliser autant de ressources. Alliance Sud a esquissé des pistes dans « Le Nouveau Deal », une édition spéciale de notre magazine « Global », qui vient tout juste de paraître.
Et la Suisse dans tout cela ? Notre pays est-il suffisamment impliqué dans la lutte contre la pauvreté ?
Non, pas suffisamment. Les mesures de lutte contre l'évasion fiscale et les flux financiers illicites figurent donc à juste titre parmi les priorités de l'ordre du jour. Les questions liées à la dette, au désendettement, au commerce, au développement, ainsi qu'à la réforme de l'architecture financière internationale et au rôle des entreprises et des aides publiques sont également au cœur des débats. Tous ces sujets interpellent particulièrement les pays riches, y compris la Suisse.
Est-ce que la réussite ou l’échec de cette conférence s’annonce décisif pour la prochaine COP à Belém (Brésil) ?
Non, pas directement, car les enjeux ne sont pas identiques. Cependant, cette conférence enverra un signal politique important à l’approche de la COP, et il est donc essentiel que ce signal soit positif.