Deux modèles opposés s’affrontent. D’une part, les réacteurs EPR, qui misent sur la centralisation de la production avec des unités à forte puissance ; d’autre part, des réacteurs modernes et de petite taille avec une capacité électrique variant entre 10 MW et 300 MW.
« Investir dans les énergies renouvelables s’avère plus rentable que de maintenir le système actuel de subventions aux énergies fossiles. Selon l'ONU, la réduction mondiale de la pollution permettrait d’économiser jusqu’à 4 200 milliards de dollars par an d’ici à 2030 », explique Jean-Yves Pidoux.
Les Small Modular Reactors ouvrent-ils une nouvelle voie pour l’énergie nucléaire ?
Deux modèles opposés s’affrontent. D’une part, les réacteurs EPR, qui misent sur la centralisation de la production avec des unités à forte puissance ; d’autre part, des réacteurs modernes et de petite taille avec une capacité électrique variant entre 10 MW et 300 MW.
Selon les chiffres de l’Office fédérale de l’énergie (OFEN), la production d’énergie nucléaire est en forte croissance dans le monde avec cinquante-sept nouvelles centrales en cours de construction pour une puissance additionnelle de 59 GWh (total de 373 GWh installés). DR
Depuis quelques années, bien que des divisions persistent, l’opinion publique suisse a considérablement évolué sur la question de l’énergie nucléaire. Un sondage réalisé par Tamedia, publié fin septembre 2024, révélait que 53 % des sondés soutient la construction de nouveau réacteurs dans notre pays. Il faut dire que la demande en électricité augmente chaque année, portée par l’électrification des usages ainsi que par le développement du numérique et de l’intelligence artificielle générative.
Si les énergies renouvelables, comme le solaire et l’éolien, ont le vent en poupe, elles posent néanmoins un problème majeur : elles ne garantissent pas une production linéaire. La question de l’équilibre entre l’offre et la demande de courant n’est donc pas réglée, malgré les avancées en matière de réseaux intelligents, de capacités de stockage par batteries ou encore de pompage-turbinage.
Production nucléaire en croissance
Pour pallier l’intermittence des énergies renouvelables, certains pays, l’Allemagne en tête, se sont tournés vers le gaz ou le charbon après l’arrêt de leur production nucléaire. Un non-sens lorsqu’il s’agit de décarboner nos usages et d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. La production nucléaire semble ainsi faire partie de la solution en matière de transition énergétique, au même titre que l’énergie hydraulique, car elle fournit une énergie ruban et décarbonée, soutenant ainsi le développement du solaire et de l’éolien.
Le nucléaire n'en demeure pas moins exempt de défauts. Les coûts de construction, très élevés, en font une énergie fortement capitalistique, nécessitant des dispositifs de sécurité souvent complexes. De plus, il ne s’agit pas d’une énergie renouvelable, car l’uranium doit être extrait de mines, et la question du traitement ainsi que du stockage des déchets reste électrique.
Selon les chiffres de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), et contrairement à ce que l’on pourrait penser, la production d’énergie nucléaire est en forte croissance dans le monde. En mars 2024, 57 nouvelles centrales étaient en cours de construction, représentant une puissance additionnelle de 59 GW (portant le total à 373 GW installés).
EPR ou SMR : Deux modèles opposés
Deux modèles antinomiques s’affrontent désormais. D’une part, les réacteurs EPR misent sur la centralisation de la production avec des unités à forte puissance, de l’ordre de 1 600 MW. À titre d’exemple, l’EPR de Flamanville (France) a accumulé de nombreux retards, et son coût a récemment été chiffré par la Cour des comptes à 23,7 milliards d’euros, contre une estimation initiale de 3,2 milliards d’euros en 2003.
D’autre part, les Small Modular Reactors (SMR) sont des réacteurs modernes dont la capacité électrique varie entre 10 MW et 300 MW. Outre leur petite taille, ils sont conçus sous forme de modules, pouvant être produits en série en usine et combinés à d’autres unités existantes, ce qui leur confère une plus grande flexibilité.
Selon le Monitoring technologique de l’énergie nucléaire, publié en juillet 2024 par l’OFEN, les coûts de production des SMR sont bien plus faibles que ceux des réacteurs de grande taille, compensant ainsi les économies d’échelle obtenues sur les grandes centrales lors de la phase de production.
Le coût du kWh produit par les SMR devrait donc se situer dans des ordres de grandeur similaires à celui des grandes centrales, bien que de nombreux paramètres influencent son prix de revient, notamment les retards, les coûts de construction et l’évolution des taux d’intérêt.
Les Small Modular Reactors ou SMRs sont des réacteurs modernes dont la capacité électrique se situe entre 10 MW et 300 MW. Outre leur petite taille, ils sont produits sous la forme de modules et peuvent bénéficier d’une production en série en usine et se combiner à d’autres unités existantes, leur conférant une plus grande flexibilité. (Image : A. Vargas/IAEA)
Ce n’est donc pas un hasard si le premier pays à utiliser cette technologie a été la Russie, avec l’Akademik Lomonosov, première barge flottante équipée d’un SMR, amarrée dans un port de l'Extrême-Orient russe. Son exploitation commerciale a débuté en mai 2020, produisant de l'énergie grâce à deux réacteurs de 35 MW chacun.
« Le développement de certains réacteurs, notamment ceux au graphite, permet d’atteindre des températures de l’ordre de 900 degrés, ouvrant ainsi la voie à la production d’hydrogène décarboné grâce à la technologie nucléaire », explique Mathieu Hursin, maître d'enseignement et de recherche au Laboratoire de physique des réacteurs et du comportement des systèmes de l’EPFL
Des SMR sont actuellement en construction en Chine, en Argentine, au Canada, en Corée du Sud et aux États-Unis, représentant plus de 80 unités destinées à un usage commercial. Ces réacteurs répondent à diverses applications, telles que la production d’électricité ou de chaleur, l’intégration dans des systèmes énergétiques hybrides ou encore la désalinisation de l’eau de mer.
Selon le chercheur, « la large gamme d’usages possibles dépasse la seule production d’électricité, rendant cette technologie particulièrement intéressante pour les grandes industries. » Il ajoute que « le développement de certains réacteurs, notamment ceux au graphite, permet d’atteindre des températures de l’ordre de 900 degrés, ouvrant ainsi la voie à la production d’hydrogène décarboné grâce à la technologie nucléaire. »
L’attractivité économique des SMR
D’autres avantages concernent l’adaptation des procédures de sécurité, qui reposent sur des systèmes passifs exploitant des phénomènes physiques tels que la circulation naturelle, la gravité ou encore l’auto-pressurisation. Ces dispositifs, moins coûteux, augmentent la marge de sécurité en réduisant le risque de fuite radioactive dans l’environnement.
De plus, pour certains pays n’ayant pas la taille critique en termes de besoins pour accueillir une centrale nucléaire de grande taille, il est difficile de lever les investissements privés nécessaires. Réduire les coûts pourrait ainsi lever cet obstacle.
Concernant l’attractivité des SMR, Mathieu Hursin précise : « Les premiers réacteurs en production présentent toujours un risque financier plus élevé, bien que la technologie en elle-même soit bien maîtrisée. L’enjeu réside davantage dans le design et la production, car les SMR actuels sont basés sur des technologies de troisième génération, pour lesquelles nous avons acquis une certaine expérience, bien que le niveau de maîtrise soit moindre que sur la technologie actuelle ».
Le groupe Alpiq estime également que les premiers SMR utiliseront des technologies à eau légère de troisième génération. Bien qu’il existe désormais des prototypes de quatrième génération, ceux-ci n’ont cependant pas encore été développés jusqu’à maturité pour une production commerciale.
La Suisse, un centre de compétence à protéger
À en croire le chercheur de l’EPFL, les SMR présentent toutefois un intérêt limité pour un pays comme la Suisse, où le réseau électrique est dense. Certains concepts pourraient néanmoins être utiles pour réduire la durée de stockage des déchets ou pour des applications industrielles spécifiques nécessitant de très hautes températures.
En revanche, ce modèle pourrait se développer dans des pays vastes et moins bien équipés en infrastructures électriques, ou encore pour alimenter des industries comme les mines et les aciéries. Les géants du numérique, dont les besoins en électricité explosent sous l’effet du développement de l’IA, s’y intéressent également.
« Les premiers réacteurs en production présentent toujours un risque financier plus élevé, bien que la technologie en elle-même soit bien maîtrisée », estime Mathieu Hursin.
Du côté d’Alpiq, la question de la construction d’une nouvelle centrale en Suisse ne se pose pas actuellement. Toutefois, si cela devait être envisagé à l’avenir, les SMR offriraient un avantage en termes de flexibilité dans un marché de plus en plus décentralisé et volatil.
Bien que certains envisagent de relancer l’énergie nucléaire, c’est toute une filière qu’il faudrait reconstruire depuis la base, en commençant par la formation des talents. En Suisse, un master conjoint en génie nucléaire, proposé par l’EPFL, l’EPFZ et le Paul Scherrer Institute (PSI), a vu son nombre d’étudiants augmenter depuis 2017, passant de 10 étudiants après Fukushima à 30 cette année. Ce centre de compétences est ainsi très valorisé, et certains acteurs, notamment en France, y recrutent des talents, faute de main-d’œuvre qualifiée dans leur propre pays.
Si, pour certains, la relance du nucléaire traduit notre incapacité à nous détourner de l’abondance énergétique et à faire mieux avec moins, elle représente pour d’autres une voie nécessaire vers la transition énergétique. Bien qu’il soit encore trop tôt pour évaluer le succès commercial des SMR, les enjeux climatiques et l’électrification des usages appellent à évaluation de toutes les solutions à disposition et une gestion accrue des risques. Dans ce contexte, le développement des SMR pourrait aller dans la bonne direction, mais ne doit pas éluder les impératifs d’efficacité énergétique et de sobriété, à mettre en œuvre dès aujourd’hui.
« Investir dans les énergies renouvelables s’avère plus rentable que de maintenir le système actuel de subventions aux énergies fossiles. Selon l'ONU, la réduction mondiale de la pollution permettrait d’économiser jusqu’à 4 200 milliards de dollars par an d’ici à 2030 », explique Jean-Yves Pidoux.