« Miser contre les énergies renouvelables reflète un manque de vision à long terme »

Ce mois de décembre se profile comme celui de la finance « verte ». Ce thème était au cœur de Building Bridges à Genève, un événement majeur qui a rassemblé la semaine passée des conférenciers venus des quatre coins du globe. L'édition 2024 s'est tenue dans un contexte particulièrement complexe, car la finance verte n'a pas trop le vent en poupe de nos jours. Derrière les beaux discours, les actes apparaissent parfois moins glorieux.

Après un déclin des investissements durables observé aux États-Unis en début d'année, la Suisse fait face à un ralentissement similaire. Un institut de recherche en finance basé à Zoug a constaté que la croissance des flux financiers en faveur des fonds de placement respectant des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) n'était actuellement plus suffisante pour rattraper celle des fonds traditionnels. Durant l'automne, la plateforme spécialisée Hazeltree révélait également que les plus grands hedge funds mondiaux préféraient parier contre les technologies « vertes » et le développement durable, tout en investissant à long terme dans les énergies fossiles.

Compte tenu du contexte, nous avons jugé opportun d'interroger les acteurs - petits et grands - de la finance sur leur relation à l'investissement durable. Les réponses de Sara Razmpa, spécialiste en investissement durable pour Piguet Galland & Cie SA.

Quelle est votre approche par rapport à la finance dite verte ?

Notre approche de la finance verte s’appuie sur la réduction des expositions indésirables à certaines activités tout en intégrant de manière harmonieuse les critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) dans notre stratégie d’investissement. Cette intégration nous permet de gérer efficacement les risques non financiers et de promouvoir une création de valeur durable à long terme. Notre méthodologie, rigoureusement fondée sur les données, est à la fois structurée et systématique, garantissant un cadre objectif et solide.

Malheureusement, en l’absence d’objectifs environnementaux ou sociaux explicites, la rentabilité à court terme l’emporte souvent sur les ambitions à plus long terme pour beaucoup de personnes.

Quelle est votre réaction quand vous entendez qu'une grande majorité des hedge funds préfère shorter leurs positions sur les énergies renouvelables au profit des énergies fossiles ?

Ces positions reflètent un manque de vision à long terme et une divergence au sein des marchés financiers. Malheureusement, en l’absence d’objectifs environnementaux ou sociaux explicites, la rentabilité à court terme l’emporte souvent sur les ambitions à plus long terme pour beaucoup de personnes. Par conséquent, les hedge funds qui privilégient les combustibles fossiles cherchent à tirer parti des mouvements immédiats du marché et de l’augmentation soudaine de la demande due à certains événements macroéconomiques.

Comment adapter ses investissements dans une réalité aussi ambiguë ?

Une étape essentielle pour parvenir à une vision claire consiste à cerner les objectifs fondamentaux des investisseurs ainsi que les préférences en matière de durabilité qu’ils souhaitent concrétiser. Il est donc crucial de déterminer si l'objectif d'un investissement est purement financier ou si l'investisseur souhaite éviter certaines entreprises présentant des risques de réputation et des risques ESG, ou aligner ses investissements sur certaines valeurs sociales et environnementales.

Une fois cet objectif clairement défini, il devient plus aisé d'élaborer un plan d'action stratégique adapté. Par exemple, si l'investisseur a des objectifs de durabilité à long terme en plus de ses objectifs financiers, acheter des combustibles fossiles et vendre des énergies renouvelables irait à l'encontre de l'un de ses objectifs !

Cette actualité soulève une question fondamentale : le secteur financier est-il réellement prêt à sacrifier une partie de sa rentabilité pour le bien de la planète ?

Cela dépend de l'horizon d'investissement et du résultat attendu. Investir avec un objectif de durabilité, qu'il soit environnemental ou sociétal, c'est parier sur des tendances à long terme soutenues par des évolutions réglementaires et des changements sociétaux progressifs. Si l'objectif financier de l'investissement est à court terme, la prise en compte des objectifs de durabilité peut sembler compromettre la rentabilité.

Bien que des domaines tels que l'investissement à impact et les obligations vertes illustrent des progrès significatifs, l'adoption généralisée sur l'ensemble du marché reste insuffisante.

Avec l’accélération de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, des preuves convaincantes soutiennent des perspectives de performance solides dans des secteurs tels que les énergies renouvelables et les technologies vertes.

La volonté du secteur financier de privilégier la durabilité au détriment de la rentabilité à court terme demeure inconstante et fragmentée. Bien que des domaines tels que l'investissement à impact et les obligations vertes illustrent des progrès significatifs, l'adoption généralisée sur l'ensemble du marché reste insuffisante. Pour combler cet écart, des cadres réglementaires robustes et une transparence accrue sur les risques financiers à long terme liés à l'inaction climatique sont essentiels afin d'aligner les flux de capitaux sur des objectifs durables.

Les critères ESG peinent de plus en plus à convaincre, faut-il en urgence établir de nouveaux standards ?

La perte de confiance dans les critères ESG s'explique en partie par l'incohérence des mesures et les préoccupations liées à l'écoblanchiment. L'établissement de normes harmonisées au niveau mondial et l'intégration de critères de référence sectoriels appropriés peuvent renforcer la crédibilité, à l'instar de ce qui est en train d'être mis en place en Europe.