Marie Perrin, cette jeune chimiste qui révolutionne le recyclage des terres rares

Franco-américaine de 28 ans, la chercheuse de l’EPFZ a été récompensée pour sa méthode permettant de récupérer de manière plus propre, simple et durable l’europium, un métal critique utilisé dans les lampes fluorescentes et les écrans. Portrait.

Marie Perrin, cette jeune chimiste qui révolutionne le recyclage des terres rares
Chercheuse franco-américaine de 28 ans, Marie Perrin est née au Texas et a grandi à Toulouse dans une famille de scientifiques.

De nos jours, 99 % des terres rares ne sont pas recyclées. Alors que ces ressources sont au cœur de tensions géopolitiques croissantes et que nous évoluons dans un monde qui se veut plus durable, comment inverser la tendance ? Ce sont précisément ces interrogations qui ont nourri les recherches de la jeune Marie Perrin, grande gagnante du prix « World Builders », prestigieuse récompense décernée par l’Office européen des brevets (OEB) lors de la cérémonie du Young Inventors Prize 2025, qui s’est déroulée en Islande à la mi-juin.

« Lors de mon stage de Master, j’ai beaucoup travaillé sur la synthèse des plastiques à l’aide de métaux. Parallèlement, j’ai toujours été intéressée par les problématiques environnementales, et je me suis très tôt interrogée sur le sens de ma démarche scientifique ainsi que sur l’alignement de mes sujets de recherche avec mes valeurs personnelles. C’est dans ce contexte que j’ai décidé de me réorienter vers d’autres thématiques, et notamment vers l’utilisation des métaux dans une démarche bio-inspirée, grâce aux travaux du Professeur Mougel », raconte-t-elle.

Franco-américaine de 28 ans, Marie Perrin est née au Texas, mais a grandi à Toulouse, au sein d’une famille de scientifiques. Son père, ingénieur et pilote d’essai, et sa mère, chimiste, lui transmettent très tôt le goût des sciences, en particulier de la chimie. C’est donc tout naturellement qu’elle choisit un baccalauréat scientifique, suivi d’une classe préparatoire en physique et chimie, avant d’intégrer la prestigieuse université Paris-Saclay.

Diplômée d’un master de chimie, elle effectue des stages de recherche au MIT et à l’EPFZ, où elle se spécialise dans la chimie inorganique, notamment dans l’étude du comportement des métaux. Elle poursuit ensuite son parcours avec un doctorat au Laboratoire de chimie inorganique de l’EPFZ, sous la direction du Professeur Victor Mougel.

L’enjeu des terres rares

Guidée par ses convictions environnementales, Marie Perrin décide d’orienter sa thèse de doctorat vers une catégorie de métaux stratégiques : les terres rares. « Ma mère chimiste m’avait offert le livre « La guerre des métaux rares » écrit par Guillaume Pitron avant que je n’y consacre ma thèse. J’avais donc déjà une forte conscience des enjeux et du rôle prépondérant de ces ressources si particulières. »

Ces dernières, au nombre de dix-sept, sont aujourd’hui indispensables à de nombreux procédés industriels, en particulier à la transition énergétique. On les retrouve, entre autres, dans les téléphones portables, les écrans d’ordinateur, mais aussi dans les voitures, les vélos électriques, les turbines d’éoliennes, ou encore dans l’industrie de l’armement.

J’ai toujours été intéressée par les problématiques environnementales, et je me suis très tôt interrogée sur le sens de ma démarche scientifique ainsi que sur l’alignement de mes sujets de recherche avec mes valeurs personnelles.

Et contrairement à ce que leur nom suggère, les terres rares ne sont ni de la terre (ce sont des métaux), ni particulièrement rares. Elles possèdent cependant des propriétés physico-chimiques très similaires entre elles, ce qui rend leur extraction et leur séparation extrêmement complexes et très gourmandes, tant en énergie qu’en produits chimiques.

Cette industrie minière est d’autant plus polluante que les gisements présentant les teneurs en minerai les plus riches ont, pour la plupart, déjà été exploités. Aujourd’hui, extraire une tonne de minerai est bien plus difficile qu’autrefois, en raison de la baisse progressive des concentrations en métaux — un phénomène encore plus marqué pour les terres rares.

Les terres rares, au nombre de dix-sept, sont aujourd’hui indispensables à toute une série de procédés industriels et notamment à la transition énergétique. DR

Des métaux aux enjeux géopolitiques

Si l’on considère les stocks de terres rares et leur concentration dans l’environnement, Marie Perrin précise que les données sont hautement stratégiques et souvent soumises aux enjeux géopolitiques. En effet, les métaux dits critiques sont au cœur de tels enjeux que les données géologiques les concernant sont fréquemment considérées comme sensibles, et ne sont pas aussi fiables qu’on pourrait le croire.

Globalement, le problème n’est pas tant lié aux stocks disponibles qu’à l’accessibilité réelle à la ressource. Certains pays, comme le Brésil, disposent de grandes quantités de terres rares dans leur sous-sol, mais n’ont pas (encore) la volonté politique ou les technologies nécessaires pour exploiter et isoler ces métaux.

La Chine, de son côté, détient surtout un savoir-faire crucial en matière de raffinage et de purification, ce qui renforce considérablement sa position stratégique. Les projets futuristes et parfois extravagants ne manquent d’ailleurs pas pour tenter d’assurer l’accès à ces métaux critiques : du « deep sea mining » (minage en eaux profondes) à l’exploitation potentielle d’astéroïdes.

Face à cette course effrénée, la maîtrise de l’ensemble de la chaîne de valeur ainsi que le développement du recyclage de ces métaux sont devenus des enjeux majeurs. C’est précisément pour cette raison que l’Union européenne a adopté, le 23 mai 2024, le « Critical Raw Materials Act » (CRMA), un texte qui fixe des objectifs à atteindre à l’horizon 2030. Parmi eux : recycler au moins 25 % des matières premières critiques consommées chaque année par l’UE. De quoi stimuler le marché du recyclage et offrir de réelles perspectives de croissance à des solutions innovantes, comme celle développée par l’équipe de Marie Perrin.

Dans notre laboratoire, nous avons développé des systèmes bio-inspirés, c’est-à-dire inspirés de la nature, à base de molécules métallo-soufrées, pour récupérer l’europium.

Une rupture technologique ?

La scientifique de l’EPFZ raconte à ce sujet que l’économie des terres rares reste aujourd’hui linéaire, c’est-à-dire qu’elle suit globalement un cycle allant de l’extraction à la décharge, avec un taux de recyclage inférieur à 1 %.

« Dans notre laboratoire, nous avons développé des systèmes bio-inspirés, c’est-à-dire inspirés de la nature, à base de molécules métallo-soufrées, pour récupérer l’europium, une terre rare que l’on retrouve notamment dans les tubes néons. Ces molécules ont la capacité de séparer les terres rares en groupes distincts, ouvrant ainsi la voie à une gestion circulaire de cette ressource critique », explique-t-elle.

Si des procédés de séparation existent déjà dans le secteur minier, ils ne sont ni adaptés ni réellement efficaces pour le recyclage des déchets. Avec son directeur de thèse, Victor Mougel, la chercheuse a donc mis au point des solutions plus rapides, plus propres et plus durables que les méthodes actuelles. « Les premiers résultats obtenus en laboratoire ont largement dépassé toutes nos espérances », assure-t-elle.

De plus en plus convaincue du potentiel de leur modèle, l’équipe l’a ensuite testé sur des déchets réels et a mené une première preuve de concept sur le recyclage de l’europium, une terre rare présente notamment dans les ampoules basse consommation, comme les tubes néons.

« Cette ressource présente, d’une part, des facteurs de sélectivité très élevés et, d’autre part, il s’agit de l’une des terres rares les moins concentrées dans l’environnement, ce qui en fait une candidate idéale pour le recyclage, à la fois sur les plans économique et environnemental. De plus, la production et l’importation de tubes néons ont récemment été interdites par l’Union européenne afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 50 % d’ici 2030. Il y a donc un stock important à valoriser », confie la chercheuse.

Si l’on souhaite séparer les métaux et terres rares provenant de nos objets du quotidien, il est essentiel que le taux de collecte soit élevé. En Suisse, ce taux est déjà important pour les déchets électroniques, et il l’est encore davantage pour les ampoules et les tubes néons. De plus, il est important que le démantèlement physique des objets soit optimisé et bien maîtrisé, ce qui est également le cas pour ces ampoules.

C’est le développement de sa méthode de récupération de l’europium qui a valu à Marie Perrin la reconnaissance de ses pairs lors de la cérémonie du « Young Inventors Prize 2025 ».

Sitôt le verre et l’aluminium des ampoules récupérés, il reste au recycleur une poudre composée de phosphore et de mercure, qui est actuellement enfouie en décharge en tant que déchet hautement toxique. C’est précisément cette substance qui contient de fortes concentrations de terres rares et qui sert de matière première à Marie Perrin pour récupérer l’europium.

« Pour les téléphones portables, en revanche, la situation est plus complexe, car ils contiennent une cinquantaine d’éléments et de métaux précieux, et leur démantèlement mécanique n’est malheureusement pas optimisé. De plus — et c’est assez surprenant — leur taux de collecte reste relativement faible, car de nombreuses personnes conservent leurs anciens téléphones chez elles. Une quantité astronomique de ces appareils dort donc dans nos tiroirs », déplore la scientifique.

Cette reconnaissance a une réelle signification pour moi, car elle met en lumière nos travaux auprès du grand public et démontre que l’on peut avoir un impact concret et positif grâce à la recherche scientifique.

Une startup et un premier prix

Marie Perrin et Victor Mougel ont décidé de faire breveter leur méthode avec l’aide du service de transfert de technologie de l’EPFZ, « ETH transfer », et de créer la structure REEcover, dans le but d’industrialiser cette technologie à l’avenir. REEcover collabore actuellement avec des partenaires industriels pour déployer sa solution à grande échelle et élargir ses applications, notamment dans le recyclage des aimants aux terres rares utilisés dans les véhicules électriques et les éoliennes.

C’est le développement de cette technologie qui a valu à Marie Perrin la reconnaissance de ses pairs lors de la cérémonie du « Young Inventors Prize 2025 ». Décerné par l’Office européen des brevets et doté de 20 000 euros, ce prix distingue les jeunes de moins de 30 ans qui développent des innovations concrètes, au service des Objectifs de développement durable (ODD) définis par les Nations unies. Il met en avant le potentiel de transformation porté par les nouvelles générations et souligne l’importance de leur contribution à la construction d’un avenir plus durable.

« Cette reconnaissance a une réelle signification pour moi, car elle met en lumière nos travaux auprès du grand public et démontre que l’on peut avoir un impact concret et positif grâce à la recherche scientifique. Elle met aussi en avant la place des femmes dans les métiers techniques. La gent féminine, bien qu’en progression dans les sciences, reste encore bien trop minoritaire. Si je peux montrer la voie à de jeunes femmes passionnées qui hésitent à se lancer, alors c’est une victoire pour moi ! J’ai toujours eu à cœur de partager et de communiquer mes travaux, et ce prix est une formidable opportunité, à la fois pour la cause et pour les perspectives de croissance de notre solution. »

La jeune scientifique incarne parfaitement cette nouvelle génération enthousiaste et déterminée à trouver des solutions face au défi colossal que représente la transition écologique et l’accès aux ressources critiques. Sa technologie pourrait bien marquer un tournant vers une économie circulaire des terres rares et contribuer à bâtir le monde de demain.

Génial ! Vous vous êtes inscrit avec succès.

Bienvenue de retour ! Vous vous êtes connecté avec succès.

Vous êtes abonné avec succès à SwissPowerShift.

Succès ! Vérifiez votre e-mail pour obtenir le lien magique de connexion.

Succès ! Vos informations de facturation ont été mises à jour.

Votre facturation n'a pas été mise à jour.