« La décarbonation du secteur touristique n'en est encore qu'à ses balbutiements »
Entretien avec Adrian Müller, chef de projet scientifique, enseignant et directeur d'études à l'Université de Berne.
Pour sa nouvelle exposition, l’Alimentarium de Vevey pose une question cruciale pour l’avenir : comment nourrir sainement et durablement une planète comptant 10 milliards d’humains, sans épuiser ses ressources ni aggraver le dérèglement climatique ? On en parle avec son directeur : Boris Wastiau.
À l’occasion de ses 40 ans, l’Alimentarium de Vevey inaugure une nouvelle exposition qui interroge en profondeur notre rapport à l’alimentation, dans un monde confronté à des défis environnementaux, sanitaires et sociaux de plus en plus pressants.
Prévue pour être permanente, cette exposition met en lumière les tensions qui traversent le système alimentaire mondial : perte de biodiversité, gaspillage, déséquilibres nutritionnels, inégalités… Elle invite à repenser nos modes de production et de consommation à l’échelle planétaire.
S’ajoute à cela l’empreinte énergétique massive de la chaîne alimentaire — de la culture à la distribution — et les émissions de gaz à effet de serre qu’elle génère, rappelant l’urgence de réduire le « poids carbone » de notre assiette.
À Vevey, l’exposition pose une question cruciale pour l’avenir : comment nourrir sainement et durablement une planète comptant 10 milliards d’humains, sans épuiser ses ressources ni aggraver le dérèglement climatique ?
Dans un entretien fleuve, nous abordons l’ensemble de ces enjeux avec Boris Wastiau, anthropologue, directeur de l’Alimentarium et auteur de l’exposition. Entretien.
Une récente étude de l’IPES-Food a mis en lumière l’importante consommation d’énergies fossiles par nos systèmes alimentaires — représentant 40 % des produits pétrochimiques et 15 % des combustibles fossiles à l’échelle mondiale. Comment expliquer et réduire une telle dépendance ?
Dans le cadre de l'exposition, nous n’apportons pas de réponse directe à cette question, mais nous mettons en avant quelques pistes évoquées par la communauté scientifique. L’une des références utilisées est le rapport « Food in the Anthropocene: the EAT–Lancet Commission on healthy diets from sustainable food systems » de 2019, car il présente les principales orientations à adopter pour envisager de pouvoir nourrir 10 milliards de personnes d’ici 2050 tout en respectant les « limites planétaires ».
La première de ces orientations : réserver les deux tiers des terres agricoles à la production alimentaire végétale à destination des humains. Aujourd’hui les deux tiers du maïs (1,2 milliard annuel) et les cinq sixièmes du soja (360 millions de tonnes annuelles) servent à nourrir le bétail ; canne à sucre et colza servent aussi à la production de biocarburants… En conséquence une baisse de la consommation de viande rouge s’imposera.
Ce qu’il est intéressant de souligner, en lien avec votre question, c’est que sur le plan purement technique, nous disposons aujourd’hui des connaissances nécessaires pour réduire l’impact de la chaîne alimentaire sur la planète. Cela suppose l’adoption de pratiques telles que l’agroécologie, l’agroforesterie ou encore la gestion intégrée des cultures, afin de restaurer la santé des sols, renforcer la résilience de l’agriculture et réduire la dépendance aux « intrants ».
L’enjeu principal réside dans les coûts. À ce titre, nous consacrons tout un pan de l’exposition aux travailleurs qui se trouvent au cœur de la chaîne de production : un coût social trop souvent écarté de l’équation. Qui sont ces personnes qui nous nourrissent ? Comment revaloriser leur travail et améliorer des conditions d’emploi qui soulèvent des enjeux à la fois sociétaux, économiques, voire simplement liés aux droits humains ? Chaque aliment que nous consommons nous offre l’opportunité de considérer le travail investi par ces nombreuses personnes tout au long des chaînes de valeurs du système alimentaire.
Ne sommes-nous pas actuellement dans une logique inverse, où le consommateur cherche avant tout à payer sa nourriture le moins cher possible ?
Naturellement. C’est légitime et compréhensible pour de nombreux ménages qui doivent par nécessité se tourner vers l’alimentation la plus économique. Mais dans le prix d’un aliment, le coût de production est pourtant souvent mineur.
Selon Jean-Marc Jancovici, fondateur du « Shift Project », sur le prix payé en magasin pour un produit alimentaire, seulement 15 % revient au producteur. Le reste est absorbé par les coûts de transport, la grande distribution, les taxes, ou encore les opérations de publicité et de marketing. Il serait donc essentiel de repenser nos priorités en matière de production et de chaîne de valeur.
En Suisse, comme dans de nombreux autres pays, il est aujourd’hui possible de consommer des burgers, des sushis, des kebabs ou des dim sum. Cette internationalisation de l’alimentation ne va-t-elle pas à l’encontre des principes d’une alimentation durable ?
Sur cette question de la mondialisation de notre alimentation, en tant qu’anthropologue, je me suis surtout intéressé à la notion de « besoin » — une notion très fluctuante, qui révèle souvent davantage des désirs de consommation ou des justifications culturelles que de véritables nécessités objectivables.
Avons-nous réellement « besoin » d’une telle diversité de produits venus des quatre coins du monde ? Avons-nous besoin de fruits en toute saison, ou même de fruits exotiques ?
Prenons la banane, par exemple : c’est le fruit le plus consommé au monde (180 millions de tonnes/an), et elle est aujourd’hui perçue comme un aliment de base en Suisse. Pourtant, en termes de transport, d’impact épouvantable sur les sols, de système économique et social précaire, le bilan écologique de ce fruit est désastreux.
Pour répondre à votre question, il faudrait effectivement mieux défendre la consommation de produits locaux. Et cela, non seulement pour des raisons écologiques, mais aussi sociales — afin de soutenir nos producteurs. Récemment, j’ai appris que le salaire moyen dans la filière maraîchère en Suisse s’élève à 17 francs de l’heure. Une rémunération dérisoire. Comment exiger d’eux qu’ils décarbonent leurs activités avec des marges qui leurs procurent des revenus aussi faibles ?
Chaque année, environ neuf millions de personnes meurent encore de faim ou de malnutrition dans le monde.
À cette mondialisation de l’alimentation s’ajoutent les problématiques de surabondance et de gaspillage, en Suisse comme dans de nombreux autres pays…
Il convient de rester prudent avec la notion d’opulence, tant elle varie selon les contextes. Chaque année, environ neuf millions de personnes meurent encore de faim ou de malnutrition dans le monde. On estime que 800 millions d’individus souffrent aujourd’hui de sous-nutrition, tandis que deux milliards sont, à l’inverse, en situation de suralimentation.
Mon parcours professionnel m’a confronté à ces réalités alimentaires très contrastées. Pour mes recherches en anthropologie, j’ai notamment séjourné longuement en Afrique. Je garde un souvenir marquant de mon passage au Congo (anciennement Zaïre), où j’ai découvert une incroyable richesse culinaire, rendue possible par l’abondance de fruits et légumes.
J’ai ensuite choisi un terrain d’étude plus difficile, en Zambie, dans une région aride où j’ai vécu près de deux ans. Là-bas, se nourrir constitue une préoccupation constante. La pénurie est telle qu’on y mange même les arêtes des poissons. « Tu ne connais pas la technique ? Il faut les croquer », m’expliquaient les locaux.
Ces expériences m’ont profondément marqué. Elles m’ont fait prendre conscience à quel point, dans le monde euro-américain, cette opulence nous fait parfois oublier la chance élémentaire que représente le simple fait de pouvoir s’alimenter.
Quelques images de l'exposition « SYSTEMA ALIMENTARIUM. Vers une grande révolution alimentaire ? ». @alimentarium
La décarbonation de l’agriculture apparaît aujourd’hui comme une priorité absolue, d’autant plus qu’elle figure parmi les premières victimes du changement climatique...
Alors que l’agriculture représente effectivement l’une des principales sources d’émissions de dioxyde de carbone (CO₂), elle en est la principale victime. Le changement climatique représente un défi énorme pour le monde agricole au vu des phénomènes météorologiques extrêmes qu’il génère. À cela s’ajoute la prolifération de nouveaux insectes ravageurs et de champignons, qui menacent des cultures de plus en plus homogènes, concentrées autour de quelques souches. Il est important de mentionner qu’en l’espace d’un siècle, la diversité des légumes, céréales, tubercules et fruits cultivés et consommés s’est considérablement réduite.
Par ailleurs, si l’augmentation du taux de CO₂ dans l’atmosphère peut stimuler temporairement la croissance végétale, elle finit par en diminuer la valeur nutritive et le rendement à long terme. Sans changement de paradigme, les données scientifiques montrent clairement que le système de production actuel génère les conditions de son propre déclin.
Le futur de notre alimentation n’est-il pas aussi lié aux ressources en eau ?
C’est une évidence : sans eau, il n’y a pas d’agriculture. Sur notre « planète bleue », à peine 3 % de l’eau est douce, et seulement environ 1 % de cette eau douce est facilement accessible pour un usage humain. De cette portion limitée, près de 70 % est utilisée par l’agriculture. Même si nous avons fait beaucoup de progrès afin de moins la gaspiller - à l’aide de technique d'arrosage au goutte à goutte par exemple -, l’eau est plus que jamais source d’enjeux stratégiques et politiques.
La désertification des terres s’accélère : elle affecte déjà 40 % des régions du globe. Il s’agit d’un phénomène déjà ancien, souvent lié à des pratiques agricoles. Dans notre exposition, nous évoquons par exemple le Croissant fertile — cette région historique partagée entre l’Irak, la Jordanie, Israël, l’Iran et même l’embouchure du Nil, naguère encore présentés dans les manuels d’histoire comme « berceau de l’agriculture et berceau des civilisations… ». Elle est aujourd’hui confrontée à des sécheresses chroniques, au stress hydrique, à l’assèchement des nappes phréatiques. L’agriculture y a depuis un siècle largement périclité.
Le changement climatique, la pollution et la surexploitation fragilisent gravement la ressource en eau douce, et compromettent les « services écosystémiques » tels que la purification naturelle de l’eau, la régulation des crues et du climat ou encore la préservation des milieux aquatiques et de leur biodiversité. Sa gestion va donc de plus en plus se complexifier et pousser à faire des arbitrages entre une utilisation triviale, comme remplir sa piscine, ou une utilisation vitale, comme faire pousser des fruits et des légumes.
Entre 1960 et 1990, la Révolution verte a standardisé la production, concentré les cultures sur quelques espèces, en misant sur les engrais pour pallier leur inadaptation aux sols locaux.
Agrivoltaïsme, nouvelles techniques d’irrigation, biotechnologies, robotisation, OGM… La technologie peut-elle venir en aide à notre alimentation ?
Ce qui m’intéresse profondément, c’est la manière dont les connaissances sont mobilisées à travers le temps. J’essaie toujours de faire dialoguer passé, présent et futur. Que mangeons-nous aujourd’hui ? Depuis quand ? Et à quoi ressemblera notre alimentation future ?
Il est intéressant de noter qu’au fond, l’humanité consomme aujourd’hui les mêmes grands types d’aliments qu’il y a cinq siècles, cinq mille ou même dix mille ans. Nous n’avons rien inventé de radicalement nouveau en termes d’aliments. En revanche, ce que nous avons perdu, c’est une immense diversité. Selon des études menées par la FAO, en moins de deux siècles, nous avons drastiquement réduit le nombre d’espèces et de variétés cultivées. Cette érosion du capital génétique de l’alimentation constitue un aspect important de l’insécurité alimentaire actuelle.
Lorsqu’il est question de technologie ou d’innovation, je préfère me tourner vers une science éclairée — une science qui intègre l’histoire — plutôt que de tomber dans le piège du technosolutionnisme. Produire cent variétés OGM par an ne remplacera jamais les dizaines de milliers de variétés développées par les sociétés humaines au fil des millénaires.
Entre 1960 et 1990, la Révolution verte a standardisé la production, concentré les cultures sur quelques espèces, en misant sur les engrais pour pallier leur inadaptation aux sols locaux. Résultat : aujourd’hui, 40 % des calories consommées dans le monde proviennent de seulement trois céréales. À titre de comparaison, on en consommait autrefois huit principales, sans compter les centaines de variétés adaptées aux contextes agricoles régionaux.
Heureusement, certaines régions, comme l’Europe, ont su préserver un esprit de conservation, à travers des banques de graines et la transmission de savoirs agronomiques anciens. Il est temps de revenir à ces connaissances, éprouvées par le temps, pour faire face aux enjeux agricoles et climatiques contemporains.
Quelle conséquence cette standardisation des cultures a-t-elle eu sur notre manière de nous nourrir ?
Elle a influencé nos goûts, nos appétences et même notre tolérance sensorielle. Aujourd’hui, notre palais est largement formaté. Même si l’on observe certaines différences culturelles ou individuelles, il est difficile de revenir à des goûts, textures ou saveurs qui ont disparu de notre quotidien depuis des décennies.
Prenons l’exemple du pain : même des personnes bien informées et soucieuses de leur alimentation tendent, lors de tests, à préférer le goût de pains réalisés avec des farines et des levures industrielles standardisées, plutôt que celui de pains élaborés à partir de farines anciennes, fermentés au levain et pourtant bien plus riche sur le plan nutritif et gustatif.
Ce conditionnement du goût devra être déconstruit si l’on veut réintroduire une alimentation plus nutritive, durable… et diversifiée.
Microplastiques, mercure, plomb, PFAS — ces "polluants éternels" — et autres substances chimiques : peut-on encore espérer manger sainement ?
C’est une question sensible et qui mériterait d'être sérieusement approfondie. Ce que l'on peut d'emblée rappeler : c'est le rôle jouer par l'agriculture. Engrais chimiques (phosphates, nitrates), pesticides, fongicides, herbicides : ces intrants que l’on utilise pour garantir un rendement élevé et réduire le risque de perte des récoltes contribuent à une dégradation massive de notre environnement.
Le système alimentaire est également responsable d’une production considérable de déchets plastiques — des emballages aux bâches agricoles (y compris en agriculture biologique), sans oublier les microplastiques ingérés par les animaux d’élevage, ou ceux qui s’infiltrent dans les sols en se fragmentant. C’est catastrophique.
À cela s’ajoutent les déjections animales, les médicaments vétérinaires, les hormones et les antibiotiques, qui contaminent les nappes phréatiques. Et c’est là que le cercle devient vicieux : cette eau, nous la buvons. Nous voyons nos sources se polluer peu à peu, parfois au point qu’elles ne sont plus potables sans traitement. Mais encore une fois, réduire ces pollutions aura un coût qui devra être répercuté sur la chaîne de valeurs pour que les agriculteurs conservent un revenu à la hauteur de leurs efforts.
Le mot « durabilité » est devenu une étiquette servant à créer de nouveaux débouchés, à faire du business, parfois en totale contradiction avec ses principes initiaux.
Dans cette logique de réduction de la consommation de viande, comment percevez-vous la tendance des substituts végétaux type Beyond Meat, ou ce besoin de reproduire le carné en version végétalisée ?
En tant qu’anthropologue, je trouve cela fascinant. En tant que consommateur, je me méfie profondément de ces fausses bonnes idées, souvent présentées comme des solutions durables. Ce que je perçois surtout derrière ces produits, c’est une logique de marché, de marketing — bien plus qu’une véritable volonté de transformation écologique ou sociale.
Le mot « durabilité » est devenu une étiquette servant à créer de nouveaux débouchés, à faire du business, parfois en totale contradiction avec ses principes initiaux. On nous propose des aliments ultra-transformés — steaks de pois chiches, faux poulet, fausses saucisses — vendus presque au prix de la viande ou du poisson, et emballés dans du plastique. Ces produits sont présentés comme les emblèmes d’une « nouvelle alimentation » à la fois saine et durable. Mais quelle est leur réelle plus-value par rapport à la consommation directe des aliments de base dont ils sont composés ?
On semble parfois oublier qu’il existe, depuis longtemps et dans presque toutes les traditions culinaires, des plats végétariens complets, équilibrés et savoureux. On en trouve en Inde, en Asie, mais aussi en Europe et en Suisse, où le Dr Bircher-Benner — inventeur du bircher — prônait déjà, il y a un siècle, une cuisine végétarienne et diététique. À mes yeux, il n’y a donc pas de « besoin » spécifique de nouvelles inventions alimentaires, mais plutôt la nécessité de se reconnecter à un patrimoine alimentaire extrêmement riche pour renouer avec une alimentation moins carnée et moins sucrée.
La meilleure réponse à ces tendances alimentaires contre-productives ne se joue-t-elle pas à l’école ?
Je suis convaincu qu’il y a un immense travail à mener en matière d’éducation. Ces derniers jours, je me suis plongé dans le Plan d’études romand — qui encadre l’ensemble des matières scolaires à travers les différents cycles. Avec la responsable de la médiation scientifique et culturelle de l’Alimentarium, nous avons passé ce programme en revue pour identifier, à chaque niveau d’enseignement, ce qui est transmis aux élèves : origine et classification des aliments, lien avec les cinq sens, besoins nutritionnels, puis, plus tard, l’impact environnemental de la production alimentaire.
À chaque nouvelle exposition, nous élaborons un dossier pédagogique destiné aux enseignants. Je ne suis pas spécialiste de l’enseignement, mais j’ai à cœur que le musée puisse fournir de tels outils comme celui-ci pour que les professeurs puissent aborder ces sujets avec leurs élèves. Car au fond, tout ce dont nous parlons ici renvoie à une question fondamentale d’éducation, de conscience, d’ouverture, et, en grandissant, d’éthique — au sens originel : l’art de faire des choix éclairés et responsables, fondés sur des valeurs.
Si l’on considère que la science, la connaissance et le respect du vivant ont une valeur en soi, alors l’école a un rôle central à jouer. C’est là que s’acquièrent les bases scientifiques, biologiques, géographiques qui permettent de comprendre les systèmes alimentaires et leurs conséquences. Et c’est à partir de là que l’on peut commencer à mesurer comment chacun de nos choix — individuels, familiaux, professionnels ou politiques — peut peser sur l’environnement.
Serons-nous en mesure de nourrir une planète peuplée de 10 milliards d’êtres humains ?
Je me souviens qu’en prenant mes fonctions à l'Alimentarium, en 2022, j’ai été marqué par une exposition intitulée « Food 2049 » : une rétrospective futuriste qui explorait la manière dont, par le passé, on imaginait le futur de l’alimentation — à travers l’industrie comme à travers la fiction. C’était à la fois fascinant et révélateur : les visions oscillaient entre utopie et dystopie, mais reposaient presque toujours sur une foi inébranlable dans la technologie. On y voyait des pilules nutritives, des fermes verticales sur la Lune, ou des tomates cultivées sur Mars. Des idées qui oubliaient pourtant une réalité biologique simple : aucun être vivant ne survit sans un microbiome et plus largement sans un écosystème.
Aujourd’hui, le système alimentaire mondial fait face à un défi colossal : nourrir jusqu’à dix milliards de personnes d’ici 2050, tout en préservant au moins la moitié des surfaces terrestres et marines de toute exploitation — une condition que les scientifiques jugent essentielle à la survie des écosystèmes. Cela suppose une transformation en profondeur de la gouvernance alimentaire, à toutes les échelles, pour recentrer la production sur les besoins réels, et non sur des logiques de surconsommation au profit des plus favorisés. Il s’agit de promouvoir une alimentation équilibrée, respectueuse des limites planétaires et de la biodiversité.
Les grandes recommandations internationales, comme celles de la commission EAT-Lancet (2019), vont dans ce sens : réduire la consommation de viande rouge, de sucre, de sel, d’huile de palme ; augmenter celle de légumes, de légumineuses, de noix et de graines. Ce n’est pas une injonction vague à la sobriété, mais une réorientation très précise de notre alimentation. Pour moi, l’enjeu n’est pas de réinventer la cuisine, ni d’abandonner les traditions, mais de valoriser une cuisine équilibrée, enracinée, joyeuse, pleinement vivante. On peut être sobre sur certains ingrédients, tout en cultivant une cuisine riche de goût, de culture, d’invention — et profondément humaine.