« Dépendre du gaz étranger nous rend vulnérables vis-à-vis de nos partenaires européens »
Entretien avec François Fellay, directeur général d'Oiken.
Entretien avec François Fellay, directeur général d'Oiken.
Dans une interview accordée début décembre au « Tages-Anzeiger », Christoph Brand, directeur général du groupe Axpo, a mis en garde la Suisse contre le risque sérieux de pénuries d'énergie durant l'hiver.
Pour étayer ses propos, le directeur a évoqué le cas du 6 novembre 2024, une journée qualifiée de « sombre accalmie », c’est-à-dire sans soleil ni vent pour alimenter les panneaux photovoltaïques et les éoliennes. « Alors que toutes les centrales électriques d’Allemagne fonctionnaient à pleine capacité et que les lignes d’importation étaient saturées, la demande a tout juste été satisfaite. Imaginez si cela s’était produit par une froide journée d’hiver : les lumières se seraient éteintes », a-t-il affirmé.
En cette période où le Conseil fédéral semble prêt à rouvrir la porte du nucléaire en Suisse, avec son récent contre-projet visant à modifier la loi sur l’énergie nucléaire, l’avenir énergétique du pays est au centre des préoccupations. Mais bien avant toute relance du nucléaire, c’est le gaz qui semble recueillir la majorité des suffrages.
Au cours de ce mois de janvier, nous nous intéresserons à la réémergence de cette source d'énergie dans les esprits. Le point de vue de François Fellay, directeur général d'Oiken.
Partagez-vous l'analyse de Christoph Brand sur le risque sérieux de pénurie future d’électricité en Suisse ?
Nous ne pouvons pas ignorer le risque de pénurie d’électricité lié à la déconnexion d’une installation de production. Une planification rigoureuse est essentielle pour éviter des déséquilibres qui pourraient perturber l’approvisionnement. Si les mesures nécessaires sont prises à temps, notamment pour compenser la fermeture d’une grande centrale, le risque reste faible et maîtrisable. La stabilité du réseau dépend aussi d’une bonne gestion de la flexibilité des capacités de production, qui peuvent varier fortement entre les jours et les saisons.
Dans le contexte des objectifs de décarbonation fixés par la Confédération, l’électrification joue un rôle clé. Cela exige la mise en place rapide d’un mix énergétique diversifié. À ce titre, les récents efforts politiques, comme la nouvelle loi sur l’énergie et le soutien au Mantelerlass, apportent un cadre favorable pour réussir cette transition.
Il est donc crucial de coordonner cette transition avec rigueur afin de garantir une sécurité d’approvisionnement durable.
La stabilité du réseau dépend aussi d’une bonne gestion de la flexibilité des capacités de production, qui peuvent varier fortement entre les jours et les saisons.
Que faudrait-il faire pour réduire ce risque au minimum ?
La fermeture d’une centrale entraîne inévitablement un déficit énergétique. Pour réduire ce risque, deux axes d’action sont nécessaires : diminuer la consommation et développer de nouvelles sources de production.
Premièrement, les entreprises et les citoyens disposent d’un fort potentiel d’économies d’énergie. Selon un rapport de la Confédération, plus de 4,3 TWh sont gaspillés chaque année par une utilisation inefficace, soit l’équivalent de la production annuelle d’une petite centrale nucléaire.
Des mesures simples peuvent limiter ce gaspillage : remplacer les appareils énergivores par des modèles plus efficients, optimiser les systèmes de chauffage électrique (direct ou PAC) et améliorer l’isolation thermique des bâtiments. Ces actions offrent des gains immédiats et significatifs.
Deuxièmement, pour répondre aux besoins, il est indispensable d’accélérer le développement des énergies renouvelables. Bien que leur production soit intermittente et plus élevée en été qu’en hiver, les nouvelles technologies permettent d’optimiser le système énergétique : autoconsommation, batteries, pilotage intelligent et solutions Power-to-X. Ces innovations synchronisent production et demande, garantissant un système plus efficace et durable.
Votre confrère plaide en faveur de nouvelles centrales à gaz pour éviter tout risque de pénurie, quelle est votre position sur ce dossier ?
Cette solution offre une aide précieuse à court terme, car il s'agit d'une technologie bien maîtrisée et facile à déployer rapidement, comme l’a montré l’exemple de la centrale de Birr.
Cependant, dépendre du gaz étranger nous rend vulnérables vis-à-vis de partenaires européens et internationaux. Les tensions géopolitiques passées ont déjà impacté notre approvisionnement et fait grimper les prix de l’électricité.
À long terme, il est donc essentiel de privilégier des solutions durables, idéalement sans recours aux énergies fossiles.
La surproduction des nouvelles énergies renouvelables (NER) en été pourrait être valorisée grâce aux technologies Power-to-X, qui convertissent l’énergie en molécules liquides ou gazeuses.
Dépendre en partie du gaz, c’est dépendre aussi de la bonne volonté de l’Europe de nous le fournir. Ne faudrait-il pas enfin traiter de la problématique du stockage ?
Il est crucial d’adopter une vision globale du réseau électrique, en dépassant une approche centrée uniquement sur la Suisse. Notre position centrale et nos interconnexions avec les pays voisins offrent l’opportunité d’envisager des solutions à l’échelle européenne. Si les centrales à gaz peuvent temporairement répondre aux défis actuels, une stratégie à long terme doit s’appuyer sur les gaz renouvelables.
Par ailleurs, la surproduction des nouvelles énergies renouvelables (NER) en été pourrait être valorisée grâce aux technologies Power-to-X, qui convertissent l’énergie en molécules liquides ou gazeuses. Ces innovations permettent un stockage saisonnier, limitant notre dépendance actuelle au stockage de gaz étranger.
Enfin, nous menons actuellement, en collaboration avec Gaznat, Holdigaz et SIG, des études préliminaires pour la création d’une réserve physique de gaz en cavité rocheuse dans la vallée de Conches (VS).
Sans cela, en cas de pénurie de gaz, le risque de pénurie d’électricité ne serait-il pas de nouveau une réalité ?
La crise géopolitique de 2022 a poussé la Confédération à prendre des mesures pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise. Des accords ont été conclus avec divers fournisseurs afin de diversifier les sources d’approvisionnement.
Je souligne également le remarquable travail de Gaznat, qui a renforcé la sécurité de l’approvisionnement en gaz pour l’ouest de la Suisse notamment grâce à la conclusion d’un contrat avec un grand fournisseur norvégien, sécurisant également son acheminement jusqu’à notre réseau de distribution.
Dans le mix énergétique visé par la Suisse, plutôt que de parier sur le gaz, ne faudrait-il pas investir plus fortement dans l’hydrogène ?
La Suisse a récemment dévoilé sa stratégie en matière d’hydrogène, qui prévoit une production locale pour répondre à des besoins à moyen terme, encore limités jusqu’en 2035 en raison des défis liés à l'implémentation technique de son usage. À plus long terme, la stratégie envisage une connexion au réseau européen, lorsque la technologie sera suffisamment développée pour satisfaire les besoins des consommateurs industriels, l’approvisionnement en énergie de pointe pour le chauffage et les transports professionnels.