« Pour le secteur gazier, le stockage en Suisse demeure un enjeu majeur »
Entretien avec Christian Gyger, porte-parole ad interim de l'Association Suisse de l’Industrie Gazière (ASIG).
Entretien avec Christian Gyger, porte-parole ad interim de l'Association Suisse de l’Industrie Gazière (ASIG).
Dans une interview accordée début décembre au « Tages-Anzeiger », Christoph Brand, directeur général du groupe Axpo, a mis en garde la Suisse contre le risque sérieux de pénuries d'énergie durant l'hiver.
Pour étayer ses propos, le directeur a évoqué le cas du 6 novembre 2024, une journée qualifiée de « sombre accalmie », c’est-à-dire sans soleil ni vent pour alimenter les panneaux photovoltaïques et les éoliennes. « Alors que toutes les centrales électriques d’Allemagne fonctionnaient à pleine capacité et que les lignes d’importation étaient saturées, la demande a tout juste été satisfaite. Imaginez si cela s’était produit par une froide journée d’hiver : les lumières se seraient éteintes », a-t-il affirmé.
En cette période où le Conseil fédéral semble prêt à rouvrir la porte du nucléaire en Suisse, avec son récent contre-projet visant à modifier la loi sur l’énergie nucléaire, l’avenir énergétique du pays est au centre des préoccupations. Mais bien avant toute relance du nucléaire, c’est le gaz qui semble recueillir la majorité des suffrages.
Depuis le début du mois de janvier, nous nous intéressons à la réémergence de cette source d'énergie dans les esprits. On en parle aujourd'hui avec Christian Gyger, porte-parole ad interim de l'Association Suisse de l’Industrie Gazière (ASIG).
Après les alertes survenues en 2022, quelle est la situation de la Suisse en termes de réserves de gaz ?
La situation de l'approvisionnement en gaz s'est assouplie. Toutefois, plusieurs facteurs de risque demeurent, notamment les températures hivernales, la conjoncture économique en Asie et l'expiration, à la fin de l'année, du contrat de transit via l'Ukraine. L'industrie gazière a une nouvelle fois consenti d'importants efforts pour renforcer la sécurité d'approvisionnement et se préparer à d'éventuelles réductions des exportations des pays voisins vers la Suisse en cas de pénurie.
Autre point positif : bien que non membre de l'UE, la Suisse est parvenue à conclure un accord de solidarité avec l'Italie et l'Allemagne. Par ailleurs, le bon niveau de remplissage des réservoirs de gaz en Europe constitue également un atout pour la sécurité d'approvisionnement. Actuellement, les stocks de l'UE sont inférieurs à 70 %, un niveau légèrement en deçà de la moyenne des cinq dernières années.
Certes, la dépendance à des infrastructures étrangères n'est pas idéale, mais jusqu'à présent, la Suisse n'a pas rencontré de difficultés majeures avec les stockages hors de ses frontières.
À l'Association Suisse de l’Industrie Gazière, estimez-vous aujourd’hui que la nouvelle structure mise en place par la Suisse, prévoyant une réserve équivalente à 15 % de la consommation annuelle du pays, est adaptée ?
Cette mesure a, en principe, fait ses preuves.
Qu’implique l’accord de solidarité signé entre la Suisse, l’Allemagne et l’Italie?
L'accord de solidarité constitue une avancée majeure pour renforcer la sécurité d'approvisionnement, non seulement en Suisse, mais aussi en Allemagne et en Italie. Il vise à garantir l'approvisionnement en gaz des clients protégés en cas de pénurie, tels que les ménages, les hôpitaux et les services d'urgence, grâce à des livraisons en provenance d'Allemagne ou d'Italie. En contrepartie, la Suisse s'engage à soutenir ses voisins en cas d'urgence.
La Suisse ne devrait-elle pas être plus active pour se protéger contre un risque de pénurie de gaz à l’avenir ?
Ces dernières années, l'industrie gazière a consenti d'importants efforts pour assurer la sécurité d'approvisionnement. L'accord de solidarité constitue un levier supplémentaire pour optimiser davantage la situation actuelle.
L’un des principaux défis de la Suisse réside dans sa dépendance envers l’Europe. Ne faudrait-il pas envisager la mise en place de solutions de stockage sur le territoire national ?
En Suisse, des projets de stockage de gaz ont toujours existé. Actuellement, Gaznat mène un projet de ce type à Oberwald, dans le canton du Valais. Pour le secteur gazier, le stockage de gaz en Suisse demeure un enjeu majeur. Il reste néanmoins à clarifier certaines questions techniques et économiques, notamment le financement d'un tel stockage dans un marché du gaz libéralisé.
La Confédération étudie également les moyens d'encourager le développement de capacités de stockage de gaz en Suisse. Toutefois, stocker du gaz à l'étranger reste une solution plus économique. Certes, la dépendance à des infrastructures étrangères n'est pas idéale, mais jusqu'à présent, la Suisse n'a pas rencontré de difficultés majeures avec les stockages hors de ses frontières.
La Suisse n’a par exemple pas de loi sur l’approvisionnement en gaz, ne faudrait-il pas en établir une d’urgence ?
Des lois spécifiques sont nécessaires pour établir des règles claires pour l'ensemble des acteurs du marché du gaz. Il conviendrait également de légiférer sur les aspects liés à la sécurité d'approvisionnement.
La Confédération doit désormais envoyer des signaux forts sur l'importance de l’hydrogène et définir des conditions-cadres claires afin de favoriser les investissements.
Pour remplacer à terme le gaz d’origine fossile, ne serait-il pas opportun d’intégrer dès maintenant un réseau d’hydrogène vert au futur réseau européen, tout en jetant les bases de carburants synthétiques capables de favoriser le stockage d’énergie et d’aider certains secteurs à se décarboner ?
L’un des principaux objectifs de l’industrie gazière est d’atteindre un approvisionnement en gaz décarboné d’ici 2050. À cet égard, l’hydrogène vert joue un rôle clé. C’est pourquoi le secteur œuvre activement à l’établissement d’une économie de l’hydrogène en Suisse.
En raison de l’intégration de la Suisse à l’infrastructure gazière européenne, il est désormais essentiel d’établir, dans les plus brefs délais, un raccordement au réseau européen de conduites d’hydrogène, appelé « European H₂-Backbone ». Cela permettrait d’acheminer les importations vers la Suisse dès les années 2030, depuis les ports européens, de manière énergétiquement et économiquement efficiente.
La Confédération doit désormais envoyer des signaux forts sur l'importance de l’hydrogène et définir des conditions-cadres claires afin de favoriser les investissements.