Quand la montagne s’effondre, il est temps d’ouvrir les yeux

« Le glacier du Birch a cédé sur Blatten. Et avec lui, une partie de nos certitudes économiques », assurent Brewen Latimier, manager, et Virginie Captier, directrice du cabinet Colombus Consulting.

Quand la montagne s’effondre, il est temps d’ouvrir les yeux
Virginie Captier (directrice) et Brewen Latimier (manager) du cabinet Colombus Consulting.

Le 28 mai 2025, le glacier du Birch s’est effondré sur le village de Blatten. Plus de 500 000 m³ de glace se sont décrochés de la montagne, causant la mort d’une personne et laissant derrière eux un territoire bouleversé. Si cet événement a frappé les esprits par sa violence, il incarne aussi une réalité que nous ne pouvons plus ignorer : l’eau, que nous pensions stable, abondante, maîtrisable, devient un facteur d’incertitude profonde.

Le dérèglement climatique n’est plus une abstraction. Il s’impose dans nos vallées, dans nos lacs, dans nos comptes d’exploitation. Et l’effondrement du Birch en est le symbole : il nous montre que ce que nous pensions figé peut soudainement basculer. Les changements s’accélèrent, les équilibres hydriques s’érodent, et avec eux, les modèles économiques traditionnels.

La Suisse, château d’eau fissuré

Pendant longtemps, la Suisse s’est pensée à l’abri. Pays des barrages, des rivières, des glaciers. Une image rassurante, qui ne résiste plus aux faits. Selon la Commission suisse pour l’observation de la cryosphère, le pays a perdu plus de 10 % de sa masse glaciaire entre 2022 et 2023. Une fonte rapide, brutale, qui remet en cause le rôle régulateur des glaciers, essentiels pour alimenter nos rivières l’été, stabiliser nos versants, irriguer nos cultures et produire de l’électricité.

La disparition progressive du permafrost, cet ancrage géologique invisible, augmente le risque d’éboulements et de glissements de terrain. Les débits des cours d’eau deviennent irréguliers, plus tendus, plus conflictuels. La gestion de l’eau n’est plus une affaire d’ingénierie : c’est désormais un enjeu stratégique et systémique.

Entreprises suisses : les impacts sont déjà là

Dans ce paysage instable, certaines entreprises avancent encore les yeux fermés. Pourtant, les signaux sont clairs. À titre d’exemple, en 2024, les inondations dans le Valais ont paralysé plusieurs fournisseurs suisses d’aluminium, affectant notamment un équipementier stratégique de Porsche. Le constructeur allemand a dû interrompre sa production pendant plusieurs jours, entraînant un manque à gagner important. Un incident local aux répercussions globales : voilà ce que signifie une économie vulnérable à l’eau.

Cet exemple nous montre bien que les enjeux de l’eau ne s’arrêtent pas aux frontières des opérations directes. L’eau est partout – et souvent invisible. Elle est présente dans les chaînes d’approvisionnement agricoles, dans les produits transformés, dans les circuits de refroidissement, dans les composants électroniques. C’est ce qu’on appelle l’eau virtuelle : celle qu’on ne voit pas, mais que l’on consomme en important du coton, en ayant recours aux services d’un centre de données, en finançant un projet à l’étranger dans une zone soumise à stress hydrique. Ne pas intégrer cette dimension, c’est ignorer une part essentielle du risque.

Lorsque l’eau devient instable, ce ne sont pas seulement les écosystèmes qui vacillent, mais les modèles de rentabilité eux-mêmes.

Un angle mort stratégique

En 2023, les entreprises ayant répondu au CDP Water ont déclaré plus de 15,5 milliards de dollars de pertes économiques liées à l’eau. Pourtant, dans la majorité des entreprises suisses, l’eau reste absente des cartographies de risques, des comités de direction, des indicateurs ESG. Elle est perçue comme une donnée technique, non comme un enjeu stratégique.

Certains signaux laissent espérer un changement : des investisseurs comme UBS, Pictet ou Swiss Re commencent à intégrer les risques hydriques dans leurs analyses. La FINMA encourage une meilleure transparence.

Lorsque l’eau devient instable, ce ne sont pas seulement les écosystèmes qui vacillent, mais les modèles de rentabilité eux-mêmes. Une entreprise qui ne cartographie pas ses dépendances hydriques – visibles ou virtuelles – se prive d’un levier essentiel de résilience stratégique.

Vers une gouvernance à 360°

Les entreprises qui veulent anticiper plutôt que subir peuvent s’appuyer sur plusieurs leviers : elles doivent d’abord cartographier leurs vulnérabilités – non seulement dans leurs opérations directes, mais aussi dans l’ensemble de leur chaîne de valeur. Cela suppose de prendre en compte l’empreinte en eau virtuelle des matières premières, des transports, des services numériques ou des approvisionnements.

Ensuite, il est temps de mettre l’eau à l’agenda stratégique. À l’égal du carbone ou de la cybersécurité, la gestion de l’eau doit être intégrée dans les décisions d’investissement, de développement produit, d’achat.

Vient ensuite l’action : réduire les consommations, réutiliser l’eau, investir dans des technologies sobres, nouer des partenariats locaux. Car la gestion de l’eau est aussi une question de territoire. Coopérer avec les cantons, les régies, les autres usagers est essentiel pour préserver la ressource et éviter les conflits.

L’eau n’est plus une certitude. C’est un test de gouvernance. Ce que révèle l’effondrement du glacier du Birch, c’est notre vulnérabilité collective face à une ressource que nous avons longtemps considérée comme acquise.

L’eau : un révélateur de responsabilité

L’eau n’est plus une certitude. C’est un test de gouvernance. Ce que révèle l’effondrement du glacier du Birch, c’est notre vulnérabilité collective face à une ressource que nous avons longtemps considérée comme acquise. Mais c’est aussi une opportunité : celle de penser autrement, d’aligner durabilité et stratégie, d’anticiper au lieu de réparer.

La vraie performance ne se mesure plus seulement à la rentabilité ou aux tonnes de CO₂ évitées. Elle se joue aussi dans la capacité à sécuriser l’eau sur toute la chaîne de valeur, à en comprendre les flux visibles et invisibles, et à agir avec responsabilité.

L’économie suisse a été construite sur l’eau. Elle ne tiendra debout que si elle apprend à la préserver, à la partager, et à la piloter intelligemment. Ceux qui sauront intégrer cette nouvelle donne feront la différence. Les autres la subiront.

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