Chaque mois, nous interrogeons différents secteurs et professions sur des thématiques spécifiques.
Pour ce mois de novembre, nous sommes aller toquer à la porte des promoteurs et grands groupes immobiliers pour avoir leur point de vue sur une thématique particulièrement sensible ces jours à Berne : celle des subventions destinées à l'assainissement des bâtiments.
Les réponses d'Emanuel von Graffenried, Directeur & Associé chez Bernard Nicod Conseils SA.
Un groupe d’experts nommé par le Conseil Fédéral propose de réduire drastiquement les subventions pour l'assainissement des bâtiments. Comment accueillez-vous cette idée ?
La proposition de réduire les subventions pour l’assainissement des bâtiments est inquiétante. Elle aura des répercussions majeures sur le secteur immobilier et sur les efforts de transition énergétique. Ces subventions sont en effet indispensables pour encourager la rénovation énergétique, surtout pour les propriétaires qui, sans ce soutien, n’auraient pas les moyens d’investir dans des améliorations coûteuses mais nécessaires. Réduire ces aides freinerait considérablement les progrès en faveur de bâtiments écoénergétiques et de compromettre ainsi les objectifs de durabilité à long terme.
Pour les investisseurs, cette manne est un levier crucial. Elle permet de réduire les coûts initiaux des projets de rénovation, ce qui est d’autant plus vital dans un contexte où les exigences réglementaires en matière d’efficacité énergétique sont de plus en plus strictes. De plus, ces subventions augmentent la valeur des actifs immobiliers en les rendant plus attractifs pour les locataires et les acheteurs potentiels, tout en répondant aux critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance), désormais incontournables pour les investisseurs.
Les experts argumentent que la plupart des solutions pour assainir sont déjà rentables et que, dans ce cas, les subventions ne font plus sens. Cet argument vous semble-t-il valable ?
Bien que certaines solutions de rénovation énergétique puissent être rentables à long terme, les coûts initiaux restent un obstacle considérable pour de nombreux propriétaires. Il est important de rappeler que la rentabilité dépend étroitement de la situation financière de chaque propriétaire, rendant ainsi toute généralisation hasardeuse. Les subventions sont donc essentielles pour lever cette barrière financière en réduisant le coût des investissements initiaux et en facilitant l’adoption plus large des technologies vertes.
Pour les investisseurs, la rentabilité à long terme est certes un facteur clé, mais les subventions réduisent considérablement le risque financier initial et accélèrent le retour sur investissement. De plus, elles boostent l’innovation en rendant les nouvelles technologies plus accessibles et en favorisant leur adoption à grande échelle. Sans subventions, les propriétaires seraient bien moins incités à investir dans des solutions innovantes, ce qui freinerait les progrès technologiques dans le secteur de la construction durable.
Les propriétaires chercheront à compenser leurs investissements, ce qui rendrait le logement nettement moins abordable pour de nombreux locataires.
Sans ces subventions, faut-il redouter une forte hausse de la facture pour les locataires ?
Oui, il est quasi certain que les coûts de rénovation seront répercutés sur les locataires sous forme de loyers plus élevés. Les propriétaires chercheront à compenser leurs investissements, ce qui rendrait le logement nettement moins abordable pour de nombreux locataires. Cela aggraverait les inégalités sociales, car les ménages à faible revenu seront les plus impactés par l’augmentation des loyers.
Les bâtiments non rénovés sont également souvent moins efficaces sur le plan énergétique, entraînant des factures de chauffage et d’électricité plus élevées. Sans ces subventions, on risque de faire face à un véritable cercle vicieux où les coûts énergétiques élevés combinés à l’augmentation des loyers rendent le logement de plus en plus inabordable pour les locataires.
Est-ce que cela pourrait mettre en péril les objectifs de neutralité carbone de 2050 de la Suisse ?
Sans aucun doute. Les subventions sont un levier indispensable pour atteindre les objectifs de neutralité carbone. Nous ne pouvons espérer atteindre la neutralité carbone sans des investissements massifs et un soutien fort de l’État. Si les autorités décident dès maintenant de réduire, voire de supprimer, leur soutien, il est clair que l’objectif de 2050 ne sera pas atteint.
En supprimant les incitations financières, nous risquons de ralentir considérablement le rythme des rénovations énergétiques, ce qui compromettra nos engagements climatiques pour 2050. Les subventions rendent les projets de rénovation plus attractifs et financièrement accessibles, ce qui est essentiel pour encourager les propriétaires à investir dans des améliorations énergétiques.
Les investisseurs institutionnels, qui jouent un rôle clé dans le secteur immobilier, pourraient également réviser totalement leurs stratégies d’investissement si les subventions sont réduites. Cela aurait alors un impact catastrophique sur les efforts de décarbonation, car les projets de rénovation énergétique deviendraient bien moins attractifs sur le plan financier.
Le manque de main-d’œuvre qualifiée dans le secteur de la construction durable ralentit aussi considérablement ces projets.
En tant que propriétaires, quels seraient les autres obstacles subsistant pour atteindre cette neutralité carbone ?
Outre le financement, les propriétaires doivent faire face à des défis majeurs tels que la complexité des réglementations, le manque d’informations sur les technologies disponibles, et parfois une résistance au changement. Un soutien continu et accru, tant financier que technique, est crucial pour surmonter ces obstacles et encourager des pratiques de construction plus durables.
Les investisseurs et propriétaires, tels que le Groupe Bernard Nicod, soulignent l’importance vitale de la stabilité réglementaire (gestion des oppositions et des différentes réglementations complexes et contraignantes), de la rapidité des procédures administratives et de solides incitations fiscales pour garantir des investissements durables et rentables.
La complexité des démarches administratives et la variabilité des réglementations locales constituent des obstacles majeurs aux projets de rénovation énergétique. De plus, le manque de main-d’œuvre qualifiée dans le secteur de la construction durable ralentit considérablement ces projets. Il est donc essentiel de continuer à investir dans la formation et le développement des compétences pour soutenir efficacement la transition énergétique.