Chaque mois, nous interrogeons différents secteurs et professions sur des thématiques spécifiques. Pour ce mois d'octobre, la parole est donnée aux fournisseurs d'électricité concernant la politique énergétique de la Suisse.
Les réponses de Christian Petit, directeur général de Romande Energie.
Le Parlement et le Conseil fédéral se concentrent sur l’augmentation de l’énergie renouvelable en Suisse, mais ne faudrait-il pas plutôt encourager la modernisation du réseau ainsi que l'amélioration du stockage de l’énergie ?
Pour sortir des énergies fossiles, il est d’abord indispensable de promouvoir et développer la production d’énergie renouvelable indigène et pour ce faire, d’accélérer les procédures administratives et législatives. Nombre de projets éoliens, hydrauliques ou photovoltaïques alpins pourraient répondre à ce besoin, mais nécessitent de passer à la vitesse supérieure. D'après le site de l’AES, si tous les grands projets en attente de construction se concrétisaient, on atteindrait une production annuelle de 4,6 térawattheures.
Compte tenu de l’intermittence des sources renouvelables et de l’énorme ambition solaire de la Suisse, il est en effet indispensable de travailler en parallèle sur la flexibilisation du réseau et sur l’augmentation de nos capacités de stockage. Cela permettrait de résoudre le grand problème énergétique du pays qui est son déséquilibre entre l’été et l’hiver.
Le renforcement et la modernisation du réseau sont dès lors une priorité et cela passe par une accélération des procédures, par un maintien du WACC (taux moyen du coût du capital calculé, ndlr) au niveau actuel afin de ne pas décourager les investissements dans ce domaine ou encore par l’émergence d’un marché de la flexibilité en Suisse suffisamment attractif pour les investisseurs privés.
Concernant le stockage, l’enjeu principal est le transfert d’électricité de l’été vers l’hiver. Dans ce contexte, il est indispensable de mettre en œuvre les 15 projets hydrauliques de la table ronde, projets inscrits dans la nouvelle Loi sur l'électricité.
Il s’agira d’inciter la population à modifier ses habitudes de consommation, par exemple en consommant le surplus d’énergie solaire en journée, et en autoconsommant pour les producteurs solaires.
À plus long terme, la Confédération doit se doter d’une véritable « stratégie Hydrogène/Gaz Synthétiques ». À elle seule, elle donnera de la visibilité aux investisseurs potentiels sur les mesures de soutien indispensables pour mettre sur pied un stockage saisonnier à base de gaz neutre en CO2 (lire « Urgence énergie et climat » de Roger Nordmann).
Il s’agira également d’inciter la population à modifier ses habitudes de consommation, par exemple en consommant le surplus d’énergie solaire en journée, et en autoconsommant pour les producteurs solaires. Sans oublier toutes les mesures d’efficience et de sobriété énergétiques sans lesquelles les objectifs de sécurité d’approvisionnement ne pourront pas être atteints. C’est cet équilibre qui importe.
N’est-il pas choquant que la Confédération envisage de brider la production solaire parce que le réseau n’est pas suffisamment adapté pour absorber toute cette énergie ?
Ce sont les GRD (gestionnaires de réseau) qui doivent brider certaines productions et non la Confédération. Il en va du bon fonctionnement du réseau qui, aujourd’hui, selon les conditions, n’est pas prêt à absorber toute cette électricité produite en mode bidirectionnel. Ici également, il convient de rappeler l’importance des changements d’habitudes de consommation pour inciter les producteurs solaires, surtout, à consommer leur production, à décaler l’utilisation de certains appareils électriques ou la recharge de leur véhicule électrique, voire à compléter leur installation en ajoutant une batterie.
La Confédération pourrait par contre jouer un rôle primordial dans la prescription et l’information. Tant qu’un système de transfert d’électricité de l’été vers l’hiver ne sera pas techniquement et économiquement possible, il est clair que la Suisse produira de plus en plus d’électricité excédentaire et inutile aux heures très ensoleillées de l’été. Une partie de cette production devra être bridée pour ne pas se déverser sur les réseaux. C’est la manière la plus pertinente d’éviter des surinvestissements dans les réseaux qui seraient une source d’augmentation forte des factures pour les clients.
En tant que producteur et distributeur, quelles sont vos attentes à l'égard des pouvoirs publics pour sortir de cette impasse ?
Les pouvoirs publics ont déjà fait un pas important à travers la Loi sur l'électricité qui va donner la possibilité aux GRD de brider les installations solaires sous certaines conditions, de réduire le montant des prix de reprise de l’électricité refoulée en rapprochant ces prix du marché et en envisageant un « Grid Express » sur le modèle d’un « Solar Express » ou d’un « Wind Express ».
Nous attendons maintenant la Stratégie Hydrogène de l’OFEN qui doit être publiée en fin d’année et qui, par son ambition, démontrera si la Confédération a pris la mesure de l’enjeu du déséquilibre été-hiver à résoudre d’ici 2050.
Toutes les études et scénarios (de l’OFEN, d’Axpo, etc.) montrent que la politique énergétique de la Suisse est ambitieuse, mais réaliste.
Selon votre expérience, les objectifs fixés par les politiques en matière de transition énergétique sont-ils toujours réalistes, atteignables ou, au contraire, encore très hypothétiques ?
Toutes les études et scénarios (de l’OFEN, d’Axpo, etc.) montrent que la politique énergétique de la Suisse est ambitieuse, mais réaliste. À la différence de nos grands voisins européens, nous disposons d’une production hydraulique très importante et qui peut encore être augmentée. Ceci nous donne une base d’électricité pilotable et disponible la plus grande partie de l’année, ainsi qu’une grande flexibilité jour/nuit, semaine/week-end et même été/hiver.
Les études montrent qu’il est possible de compléter cette production hydraulique par du solaire et un peu d'éolien tout en prolongeant en toute sécurité la durée de vie de nos centrales nucléaires (le temps que ces nouvelles énergies renouvelables soient disponibles en suffisance).
Mais seule la réduction continue de notre consommation d’énergie par habitant, telle que prévue dans la Loi sur le climat et la Loi sur l'électricité, nous permettra de boucler la boucle. Comme toute stratégie, elle ne peut réussir que si tout le monde y croit, que si nous créons un élan national pour l’atteindre. Par contre, si nous persistons à douter continuellement, à envisager d’autres voies en espérant y trouver une solution miracle, alors nous nous diviserons, nous freinerons mécaniquement nos efforts et n’y arriverons pas. Et plein de gens nous diront alors : « Nous vous l’avions bien dit. » En avant !