« Si nous voulons réussir notre transition énergétique, il faudra faire quelques concessions »
Entretien avec Michèle Cassani, porte-parole de Romande Energie.
Entretien avec Michèle Cassani, porte-parole de Romande Energie.
À la fin du mois de septembre, La Chancellerie fédérale annonçait que les initiatives populaires fédérales « Contre la destruction de nos forêts par des éoliennes (initiative pour la protection des forêts) » et « Pour la protection de la démocratie directe par rapport aux parcs éoliens (initiative pour la protection des communes) », ont formellement abouti.
Déposés le 25 juillet 2025, les deux textes visent à encadrer de manière plus stricte encore le développement des installations éoliennes en Suisse. Dans un pays où l’énergie éolienne peine encore à s’imposer — la Suisse ne compte actuellement que 47 éoliennes en activité, contre plus de 1 400 en Autriche — les obstacles se multiplient.
C'est dans un tel contexte que nous avons entamé toute une série d’entretiens consacrée à la question éolienne en Suisse. En voici le deuxième volet avec Michèle Cassani, porte-parole de Romande Energie.
À la lumière du dépôt réussi des deux dernières initiatives consacrées à l’éolien, une première question s’impose : cette source d’énergie a-t-elle réellement un avenir en Suisse ?
Ces deux initiatives ne visent pas à interdire les projets éoliens, mais à encadrer plus strictement leur implantation. On pourrait penser qu’il s’agit d’un bras de fer entre la protection du paysage et la transition énergétique. Or, la Suisse accorde une attention particulière au respect de la biodiversité, et même le WWF soutient le développement de l’éolien lorsqu’il s’inscrit dans des zones respectueuses de la nature.
Il convient toutefois de distinguer le fait de défricher de celui de déboiser une zone. L’objectif n’est pas de supprimer la forêt, mais d’adapter ponctuellement l’espace pour permettre la construction d’un parc éolien, tout en préservant au maximum les milieux naturels. Des mesures de reboisement, de compensation environnementale ou de restauration sont généralement prévues dès la conception du projet, puis mises en œuvre une fois les travaux terminés.
L’éolien reste une source d’énergie renouvelable extrêmement pertinente et précieuse. Outre le fait qu’il réduit la dépendance aux importations d’électricité, surtout en hiver, il complète idéalement le solaire et l’hydraulique, produisant près des deux tiers de son électricité entre octobre et mars, de jour comme de nuit. On parle ici de mix énergétique dans lequel l’éolien a clairement sa place.
Comment expliquer un tel élan anti-éolien dans notre pays ?
La Suisse est réputée pour ses paysages de montagne dignes d’une carte postale. Elle offre néanmoins, grâce à sa topographie, des zones propices à l’implantation d’éoliennes, notamment sur les crêtes du Jura, dans les Préalpes et les vallées alpines.
On peut dès lors comprendre qu’une catégorie de la population soit réticente à voir ces grands mâts blancs s’élever dans de tels paysages. À cela s’ajoute probablement un manque de prise de conscience quant à la nécessité de développer et d’accélérer la production d’énergies renouvelables, dont l’éolien fait partie intégrante.
Même si la Confédération, avec ses révisions récentes, vise à les accélérer, il paraît peu probable que la Suisse atteigne les 400 installations dans les cinq prochaines années.
La Suisse vise l’installation d’environ 1 000 éoliennes d’ici 2050 dans le cadre de son mix énergétique. Mais au regard du contexte actuel, ce chiffre ne paraît-il pas hors d’atteinte ?
En effet, si l’on part des 47 éoliennes aujourd’hui en fonction dans notre pays, ce chiffre pourrait paraître inatteignable. Mais c’est sans compter sur les progrès technologiques : les éoliennes permettent de produire toujours plus d’énergie.
Selon Suisse Éole, environ 400 turbines seraient nécessaires d’ici à 2030 pour répondre à la Stratégie énergétique 2050, laquelle en prévoit entre 760 et 800 à terme. Il est toutefois indéniable que ce chiffre ne pourra être atteint au vu du nombre de chantiers en cours — soit un seul, sur le site du Sur Grati, près de Vallorbe.
À cela s’ajoute la lenteur des procédures. Même si la Confédération, avec ses révisions récentes, vise à les accélérer, il paraît peu probable que la Suisse atteigne les 400 installations dans les cinq prochaines années. Mais à l’horizon 2050, avec une simplification des procédures et une meilleure acceptation de la population, nous pourrions probablement arriver à atteindre la puissance visée par la Stratégie énergétique 2050 : faire passer la part de l’éolien de 0,3 % à environ 7 % de la production nationale.
Comment se portent vos propres projets éoliens chez Romande Energie ?
Notre parc éolien de Sainte-Croix est en service depuis le début de l’année 2024. Il répond à nos estimations de production, tout en respectant les mesures environnementales fixées par l’autorisation d’exploitation. Les premiers rapports sont extrêmement positifs, notamment en ce qui concerne la faune ailée. Quant au projet de Provence (VD), il est actuellement en phase d’examen préalable auprès du Canton. Nous avons bon espoir de pouvoir le mettre à l’enquête dans les prochains mois.
Ne vaudrait-il pas mieux aller financer des projets éoliens à l’étranger, où les procédures rencontrent moins d’obstacles, quitte à importer ensuite cette énergie en Suisse ?
Nous le faisons déjà depuis une dizaine d’années, par le biais de notre société fille Romande Energie France, qui gère quatre parcs éoliens, une centrale solaire et huit centrales hydroélectriques. Nous sommes également actionnaire de EOS Holding, qui investit massivement à l’étranger, faute de pouvoir le faire en Suisse. À noter que l’énergie produite hors de nos frontières est directement injectée dans les réseaux électriques locaux pour un usage immédiat.
Courant septembre, les Chambres fédérales ont adopté la loi visant à accélérer les procédures pour les énergies renouvelables. Est-ce que cela pourrait redonner un peu d’élan à l’éolien en Suisse ?
Il est clair que cette loi devrait permettre de gagner plusieurs années sur le développement d’un projet éolien, et nous attendons fermement son entrée en vigueur. Les nombreux porteurs de projets éoliens en Suisse accueilleront aussi positivement cette accélération, qui devrait permettre d'atteindre un potentiel de production de 29,5 TWh par an d’ici à 2050, dont plus de 60 % en hiver. Il convient aussi de rappeler la complémentarité saisonnière de l’éolien : près des deux tiers de la production ont lieu entre octobre et mars, alors que l’hydraulique et le solaire produisent davantage durant l’été.
Comment relancer la question éolienne en Suisse ? Comment surmonter les fameux syndromes « NYMBY » (Not In My Backyard) et « BANANA » (Build Absolutely Nothing Anywhere Near Anything) ?
La Confédération, tout comme les cantons, manifestent de plus en plus leur soutien à l’énergie éolienne, partant du postulat que les parcs produisant plus de 20 GWh par an sont considérés d’intérêt national. La topographie du pays fait que les zones les plus venteuses se situent sur les crêtes et en dehors des régions urbaines à forte densité. Il est donc normal que les projets se situent dans ces zones peu anthropisées.
Si nous voulons réussir notre transition énergétique et respecter la Stratégie énergétique 2050 que le peuple a votée en 2017, il va falloir faire quelques concessions. Elles se rapprocheraient par ailleurs de celles faites par les Suisses lors de la construction des barrages hydroélectriques, aujourd’hui devenus des destinations d’excursion. Ces réticences sont compréhensibles, mais elles ne doivent pas entraver le progrès ni les objectifs de la Confédération.