Olivier Hamant, biologiste-philosophe souhaite rendre les organisations robustes pour résister aux turbulences à venir. Pourfendeur du dogme de la performance, le biologiste tiendra une conférence à l'Université de Lausanne le 31 octobre dans le cadre des Écotopiales.
« Depuis toujours, les mythes et les légendes ont eu pour fonction d’interpréter le monde, d’en proposer une lecture qui permette d’opposer à l’angoisse de l’inconnu un modèle intelligible et porteur de sens, », explique Colin Pahlisch, directeur artistique du festival les Écotopiales.
S’inspirer du vivant pour repenser notre rapport au monde et à la société
Olivier Hamant, biologiste-philosophe souhaite rendre les organisations robustes pour résister aux turbulences à venir. Pourfendeur du dogme de la performance, le biologiste tiendra une conférence à l'Université de Lausanne le 31 octobre dans le cadre des Écotopiales.
Le vivant, de la molécule aux écosystèmes, fonctionne principalement de manière inefficace, incohérente, lente, imprécise, redondante, aléatoire, hétérogène. @Getty Images Pro/Canva
La force des meilleurs concepts réside dans leur simplicité. Mais cette simplicité apparente n’aurait pas pu surgir sans un long processus de recherche, de doutes et d’allers-retours. Dans le débat sur la crise climatique et énergétique, une théorie commence à faire parler d’elle en véhiculant une notion, a priori, toute simple : la robustesse.
Face aux perturbations multiples qui s’accroissent et menacent les conditions de vie que nous avons connues jusqu’ici, la robustesse représente une forme de « sortie de secours », puisqu’elle préconise de « mettre en place les conditions pour maintenir le système stable (à court terme) et viable (à long terme), malgré les fluctuations ».
Avec cette définition qu’en donne Olivier Hamant dans son livre « La troisième voie du vivant » (Odile Jacob 2022), la robustesse s’avère stimulante pour repenser notre rapport au monde, car elle offre les clés pragmatiques d’un avenir non seulement viable, mais enviable. Il est en effet plus engageant de répondre à la volonté de durer (robustesse) qu’à la nécessité de réduire (sobriété) ou de se relever d’une crise (résilience).
On voit bien que le système dominant craque de toutes parts. D’où la nécessité de proposer un autre modèle qui fasse la paix entre les hommes, les vivants et la planète.
Biologiste, le chercheur français est directeur de recherche à l’INRAE, au sein du laboratoire Reproduction et Développement des Plantes de l’École normale supérieure de Lyon. Il a peu à peu échafaudé cette vision en analysant les phénomènes naturels – et aussi en échangeant avec des artistes ! Il l’étend désormais au versant socio-économique dans un nouvel ouvrage, « L’entreprise robuste» (Odile Jacob 2025).
Ses conclusions sont à la fois sensées et critiques quant à la manière dont nos sociétés se préparent (ou non) à ce qui nous attend. En bon scientifique, le chercheur ne peut que « prendre acte de l’ampleur du dérèglement » causé par l’homme, montrant que nous avons déjà basculé d’un monde stable et abondant en ressources vers un monde de « turbulences jamais vues dans l’histoire de l’humanité ».
Olivier Hamant ne se positionne nullement comme un « effondriste » ou un « collapsolâtre » ! Le chercheur est également directeur de l’Institut Michel Serres, qui fait fructifier l’héritage du philosophe français disparu en 2019. Or Michel Serres a toujours été enclin à construire une vision inspirante pour l’humanité. Son disciple se situe à cheval entre la science du vivant et la société. Il fait partie de ces savants qui sortent des laboratoires.
Biologiste, Olivier Hamant est directeur de recherche à l’INRAE au sein du laboratoire Reproduction et Développement des Plantes de l’École normale supérieure de Lyon.
Le vivant n’est pas performant
Les avancées de la biologie systémique, auxquelles le scientifique a contribué, ont montré que, contrairement à ce qu’une interprétation erronée du darwinisme a voulu nous faire croire, la nature ne suit pas prioritairement une logique de compétition, mais se comporte de façon coopérative. Ce qui fait dire à Olivier Hamant que, dans le vivant, « la performance est plutôt l’exception ».
Pour être plus nuancé, il explique que, dans des environnements stables et riches en ressources, la vie peut fonctionner en mode compétitif et performant. Mais dès que les fluctuations augmentent ou que la pénurie guette, les organismes basculent du côté de la coopération.
Le biologiste va même plus loin en affirmant que le vivant, de la molécule aux écosystèmes, fonctionne principalement de manière inefficace, incohérente, lente, imprécise, redondante, aléatoire, hétérogène — et que ces contre-performances permettent justement aux organismes de mieux résister aux aléas. Car « elles contribuent à ajouter du jeu dans les rouages pour augmenter les marges de manœuvre, les filets de sécurité ». Elles garantissent ainsi la robustesse. Par conséquent, le biologiste souligne qu’il est physiquement impossible d’être à la fois très robuste et très performant.
« Nous sommes à ce point drogués à la performance que même les défenseurs de la transition énergétique pensent faire de la robustesse, mais sont prisonniers de l’efficacité, de l’efficience et de l’optimisation. »
Humains et écosystèmes en burn-out
Là où la réflexion d’Olivier Hamant devient potentiellement sensible, c’est lorsqu’il s’insurge contre notre obsession de la performance, toujours présentée positivement alors que, selon lui, elle constitue l’une des causes des problèmes actuels. Pour reprendre ses termes, l’injonction d’optimisation constante « canalise la trajectoire dans une seule voie, au détriment des autres, qui pourraient devenir un atout majeur quand le monde change ». En outre, dans cette dynamique, on accroît les impacts négatifs sur l’environnement et notre propre vulnérabilité. Le burn-out des humains comme des écosystèmes en est le symptôme.
Le paradoxe, c’est que la réaction face aux dégâts causés par l’homme se formalise encore sous le même régime, comme s’il fallait répondre aux conséquences négatives de la performance par une surperformance : « Nous sommes à ce point drogués à la performance que même les défenseurs de la transition énergétique pensent faire de la robustesse, mais sont prisonniers de l’efficacité, de l’efficience et de l’optimisation. »
Son exemple le plus marquant est la vision réductionniste de la crise écologique, qui se focalise sur une seule molécule : le CO₂. Ce travers privilégie des solutions techniques qui font effectivement baisser les émissions de CO₂, mais qui, en contrepartie — ou par effet rebond —, aggravent la perte de biodiversité et l’épuisement des ressources (batteries au lithium, viande végétale, usines de captation de CO₂, reforestations en monoculture, etc.).
De ces expériences découlent des facteurs susceptibles de renforcer l’adaptabilité des entreprises, tout en garantissant leur pérennité économique dans cette phase délicate de bifurcation. Cela passe par le respect des milieux naturels et du tissu social, un ancrage local, une taille « humaine », une gouvernance participative, une diversification au-delà des activités de base et une véritable mise en œuvre de la circularité.
Que ces expérimentations soient encore balbutiantes, fragiles et marginales ne freine pas l’enthousiasme du chercheur : « Comme toujours, le renouveau vient des marges en contaminant le cœur. On voit bien que le système dominant craque de toutes parts. D’où la nécessité de proposer un autre modèle qui fasse la paix entre les hommes, les vivants et la planète. On est déjà en plein basculement. C’est un mouvement de fond, et en plus il est joyeux ! »
Découvrez le programme des Écotopiales : le festival de recherche-création de l’Université de Lausanne sur les imaginaires écologiques !
« Depuis toujours, les mythes et les légendes ont eu pour fonction d’interpréter le monde, d’en proposer une lecture qui permette d’opposer à l’angoisse de l’inconnu un modèle intelligible et porteur de sens, », explique Colin Pahlisch, directeur artistique du festival les Écotopiales.
S’appuyant sur un cadre méthodologique novateur pour la modélisation des transitions énergétiques, l'étude publiée en 2023 dans la revue « Frontiers » présente une vision du système énergétique national.