Forer plus profond et plus chaud : telle est, selon la société Quaise Energy et son PDG Carlos Araque, la clé de l’avenir de la géothermie profonde. Des États-Unis à l’Europe en passant par la Suisse, les initiatives géothermiques se multiplient, portées par de nouvelles avancées technologiques.
« Dans le domaine des transports et de l’énergie, quelles opportunités offrent réellement les données et quelles en sont les limites », questionne Matthias Finger, cofondateur de Swiss Economics et professeur émérite à l’EPFL.
Toujours plus profonde, la géothermie est-elle en train de défier les limites du possible ?
Forer plus profond et plus chaud : telle est, selon la société Quaise Energy et son PDG Carlos Araque, la clé de l’avenir de la géothermie profonde. Des États-Unis à l’Europe en passant par la Suisse, les initiatives géothermiques se multiplient, portées par de nouvelles avancées technologiques.
À une époque où la planète traverse une phase critique sur le plan climatique, l’exploitation de la chaleur enfouie dans les entrailles de la Terre apparaît de plus en plus comme incontournable. @Getty Images/Canva
Le 4 septembre dernier, dans une carrière située près de Marble Falls, au Texas, la jeune entreprise Quaise Energy a accompli un véritable exploit technologique. Ses ingénieurs ont démontré l’efficacité d’un procédé novateur : l’utilisation d’un faisceau d’énergie concentré capable de transformer la roche en vapeur minérale.
Grâce à un gyrotron — un dispositif émettant des ondes millimétriques — intégré au centre du foret, ils sont parvenus à faire fondre la roche en la bombardant d’ondes à haute fréquence. Résultat : 118 mètres de granit percés avec une précision remarquable, comme en témoignaient les parois lisses et polies du puits foré lors de cette opération.
À cette prouesse s’ajoute une vitesse de forage sans précédent. Les équipes de Quaise Energy ont enregistré des vitesses de pénétration atteignant cinq mètres par heure dans le granit — soit près de cinquante fois plus rapide que les méthodes classiques. Et ce n’est qu’un début : lors de tests précédents, la société avait déjà atteint une vitesse record de douze mètres par heure, laissant entrevoir un potentiel d’amélioration considérable.
Mais perfectionner la technique n’est qu’un moyen, non une fin en soi pour Quaise Energy. Son objectif reste très clair : révolutionner la géothermie profonde. Selon son PDG, Carlos Araque, sa société compte « forer en grande profondeur pour capter la chaleur du sous-sol terrestre et transformer cette ressource quasi inépuisable en pilier durable de la transition énergétique mondiale. »
« Notre analyse montre que la croissance de la géothermie pourrait générer des investissements de 1 000 milliards de dollars d'ici 2035 » explique Fatih Birol, directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
Les enjeux de la géothermie
À une époque où la planète traverse une phase critique sur le plan climatique, l’exploitation de la chaleur enfouie dans les entrailles de la Terre apparaît de plus en plus comme incontournable. Des États-Unis à l’Europe en passant par la Suisse, les initiatives géothermiques se multiplient, portées par de nouvelles avancées technologiques.
« Les nouvelles technologies ouvrent de nouveaux horizons à l'énergie géothermique partout dans le monde, offrant la possibilité de répondre de manière sûre et propre à une part importante de la demande mondiale en électricité, en forte croissance. Notre analyse montre que la croissance de la géothermie pourrait générer des investissements de 1 000 milliards de dollars d'ici 2035 », a déclaré Fatih Birol, directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
Une nouvelle approche développée depuis la Suisse
« En Suisse, de manière générale, la température dans le sol augmente d’environ 30°C par kilomètre de profondeur. La température qui règne à 5000 mètres de profondeur avoisine 160°C », indique l’Office fédéral de l’énergie (OFEN). C’est précisément cette chaleur que la société SwissDGS ambitionne d’exploiter.
Fondée l’an dernier par EAPOSYS, en partenariat avec les groupes Amberg et Basler & Hofmann, l’entreprise développe une approche innovante baptisée AGS (Advanced Geothermal Systems), en opposition aux méthodes plus classiques reposant sur la fracturation hydraulique (fracking). « Il s’agit de systèmes AGS consistant à collecter la chaleur simplement en faisant circuler de l'eau dans des forages profonds déviés et connectés entre eux en profondeur, à la manière d'un radiateur inversé. Il n'y a donc pas de surpressurisation du milieu, ce qui ôte le risque d'induire des tremblements de terre », expliquait dans nos pages Naomi Vouillamoz, cofondatrice d’EAPOSYS.
Il y a quelques jours, EAPOSYS annonçait la signature d’un accord avec Halliburton pour la réalisation d’une étude de faisabilité du sous-sol, destinée à accélérer le déploiement des systèmes AGS. « Cette étude contribuera à l’industrialisation de l’ingénierie et de la conception des puits d’EAPOSYS, tout en intégrant des considérations géothermiques et stratigraphiques propres aux sites afin de minimiser les risques de forage et d’optimiser la conception évolutive des puits », indiquait l’entreprise dans un communiqué.
Quelle que soit la technologie employée ou la profondeur visée, une chose est désormais certaine : la géothermie entend bien exploiter la chaleur abondante des entrailles de la Terre pour soutenir la transition énergétique. O.W.
Dans son rapport intitulé « L'avenir de l'énergie géothermique », l’AIE estime que cette source d’énergie pourrait couvrir jusqu’à 15 % de la croissance de la demande mondiale d’électricité d’ici 2050, à condition que les coûts de développement continuent de diminuer. « Une telle expansion représenterait le déploiement de près de 800 gigawatts de capacité géothermique à travers le monde — soit une production annuelle équivalente à la demande actuelle d’électricité des États-Unis et de l’Inde réunis ».
Ce potentiel est naturellement observé de près en Suisse. « Notre pays dispose d'un très important potentiel géothermique. Les perspectives offertes par cette source d'énergie propre, inépuisable et permanente sont séduisantes », indique l’Office fédéral de l’Énergie. Un constat partagé par Patrick Scherrer, président et cofondateur d’EAPOSYS, pour qui la géothermie profonde non conventionnelle — notamment les systèmes EGS (Enhanced Geothermal Systems) et AGS (Advanced Geothermal Systems) — recèle un potentiel colossal : « L’immense majorité de la chaleur sous nos pieds, environ 99 %, se trouve stockée dans la roche, contre seulement 1 % dans les ressources géothermiques conventionnelles. »
À seulement quelques kilomètres sous la surface terrestre, les températures atteignent entre 400 et 500 °C. Grâce aux progrès technologiques récents, il est désormais possible de convertir cette chaleur en électricité, ouvrant ainsi l’accès à une énergie propre, locale et disponible en continu. Pourtant, malgré ce potentiel, la géothermie profonde demeure sous-exploitée. Selon les dernières statistiques de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), elle ne représente aujourd’hui qu’environ 1 % de la production mondiale d’électricité.
« Si l’on considère la planète entière, la profondeur maximale requise pour exploiter la géothermie se situerait autour de 12 miles, soit environ 19 km », estime Carlos Araque, PDG de Quaise Energy.
Creuser toujours plus profond
« L’industrie pétrolière fore couramment à des profondeurs de 3 à 5 kilomètres, atteignant des températures de 65 à 93 °C tout au plus. Pour exploiter la ressource géothermique adéquate, il faudra doubler, voire tripler ces profondeurs », expliquait Carlos Araque, PDG de Quaise Energy, dans une interview accordée à CNBC.
Forer plus profond et plus chaud : telle est, selon lui, la clé de l’avenir de la géothermie profonde. « En Islande, on peut atteindre les conditions nécessaires à environ 3 miles (soit 4,8 km). À New York, il faudrait probablement creuser jusqu’à 8 miles (près de 13 km). Si l’on considère la planète entière, la profondeur maximale requise pour exploiter la géothermie se situerait autour de 12 miles, soit environ 19 km. Nous voulons absolument être capables d’atteindre cette profondeur afin que le monde puisse avoir accès à l’électricité géothermique », détaillait-il également auprès d’Energy Monitor.
D’ici quelques années, Quaise Energy ambitionne ainsi de mettre en service la toute première centrale géothermique « superchaude » — ou supercritique — de la planète, une installation capable de produire une énergie quasi illimitée à partir de la chaleur du sous-sol terrestre.
De nombreux défis à résoudre
Les ambitions de Quaise Energy sont indéniablement prometteuses, mais leur technologie soulève autant d’enthousiasme que de questions. Peut-on réellement forer à de telles profondeurs avec une efficacité, une stabilité suffisante et sans risques ? À ce stade, les interrogations sont nombreuses avec bien peu de réponses.
Patrick Scherrer, cofondateur de la société EAPOSYS, évoque une technologie au potentiel de disruption important. « L’intérêt majeur de cette approche réside dans son caractère sans contact, qui permet d’éviter les opérations de « tripping », ces remontées répétées de la tête de forage, nécessaires dans les méthodes conventionnelles lorsqu’elle s’use au contact de la roche dure trouvée à grande profondeur. Cela pourrait réduire considérablement les temps de forage et donc aussi les coûts qui y sont associés », explique-t-il.
D’ici quelques années, Quaise Energy ambitionne ainsi de mettre en service la toute première centrale géothermique « superchaude » — ou supercritique — de la planète. @QuaiseEnergy
Plusieurs incertitudes techniques demeurent toutefois. « Cette technologie est avant tout adaptée aux roches dures, où les méthodes mécaniques classiques atteignent leurs limites. En revanche, dans la couverture sédimentaire, les approches conventionnelles resteront indispensables, notamment pour assurer l’étanchéité du tubage (casing) et éviter toute entrée de fluides ou de gaz susceptibles d’être présents dans les couches traversées », précise Patrick Scherrer.
Par ailleurs, l’efficacité d’absorption risque également de varier selon la lithologie et la composition des roches, et la stabilité des parois vitrifiées reste à démontrer à grande profondeur. Quant à la gestion des particules ou des cendres issues du processus d’ablation, elle représente un défi important pour maintenir la circulation et la propreté du puits.
L’utilisation du gyrotron présente encore certains risques environnementaux. Tout d’abord, le rejet localisé de gaz chauds ou de particules pourrait affecter la végétation environnante. Une défaillance du revêtement vitrifié pourrait aussi provoquer une contamination de l’aquifère souterrain, nécessitant une vigilance particulière lors de la conception et de l’exploitation du système. Quant aux déchets issus des métaux réfractaires et des liquides de refroidissement, ils devront être traités avec précaution afin d’éviter toute source de pollution.
Selon le cofondateur de la société EAPOSYS, ces défis n’enlèvent rien au potentiel énorme de la géothermie profonde. « Les méthodes de forage conventionnelles offrent déjà un potentiel considérable en Suisse, à des profondeurs de 3 000 à 6 000 mètres, notamment pour la production de chaleur. Les avancées technologiques en développement, comme celles de Quaise Energy, ouvrent la voie à une production sûre d’électricité géothermique locale, continue, et à des coûts très compétitifs ».
« Dans le domaine des transports et de l’énergie, quelles opportunités offrent réellement les données et quelles en sont les limites », questionne Matthias Finger, cofondateur de Swiss Economics et professeur émérite à l’EPFL.
Sur le principe, l’accord obtient très nettement le soutien affirmé de la branche. Sa mise en œuvre nationale suscite en revanche davantage de réserves au sein du secteur énergétique.