Tourisme mondial : Un essor menaçant pour le climat

Une récente étude publiée dans « Nature Communications » montre que, à lui seul, le secteur touristique était en 2019 responsable de 8,8 % du réchauffement climatique d’origine anthropique.

Tourisme mondial : Un essor menaçant pour le climat
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Les vacances de Noël approchent. S’il est encore un peu tôt pour préparer ses valises, une grande majorité de la population a déjà choisi entre le ski et la fondue en station ou le sable chaud et les vahinés sur une île paradisiaque. C’est un fait : le tourisme connaît une nouvelle explosion. « Le rebond du tourisme après la pandémie a été rapide, et le tourisme mondial devrait à nouveau dépasser les 20 milliards de voyages en 2024 », peut-on lire dans « Nature Communications ».

Cependant, cette soif de voyages, cette envie d’ailleurs si humaine, n’est naturellement pas sans conséquences pour la planète. Les données manquent, ou plutôt sont incomplètes à une échelle mondiale, pour en estimer clairement les impacts. En utilisant les profils de dépenses touristiques de 175 pays, une récente étude a cherché à établir une véritable base de données permettant de déterminer les empreintes carbone du tourisme mondial et national.

Couvrant la période 2009-2020 et intitulée « Facteurs responsables des émissions de carbone du tourisme mondial », l’étude alerte sur une croissance qu’elle juge insoutenable pour le climat. En voici les points clés :

1️⃣
Évolution négative : Durant la décennie analysée par les auteurs de l’étude, le premier constat est que nous ne sommes clairement pas sur la bonne voie. À lui seul, en 2019, le tourisme mondial était responsable de 8,8 % du réchauffement climatique d’origine anthropique. L’industrie du tourisme est particulièrement polluante, puisque chaque dollar gagné dans ce secteur a généré 1,02 kg d'émissions de gaz à effet de serre (GES). À titre de comparaison, c’est environ quatre fois plus que le secteur des services (0,24 kg/$) et 30 % de plus que l'économie mondiale (0,77 kg/$).

Sur le plan des sources de pollution, sans trop de surprises, la plupart des émissions nettes ont été générées par le transport aérien (0,27 Gt) et les services publics (0,26 Gt). Quant à l'utilisation de véhicules privés par les voyageurs, elle a également contribué de manière substantielle, avec notamment 0,29 Gt dues aux moteurs à combustion.
2️⃣
Brève pause due au Covid : La pandémie représente une courte anomalie ayant débouché sur une réduction drastique de l’empreinte carbone du tourisme. « En 2020, les limitations des voyages internationaux et les réductions du tourisme intérieur ont entraîné une baisse des émissions mondiales du tourisme, passant de 5,2 Gt en 2019 à 2,2 Gt en un an », indique l’étude.

Cette baisse des émissions est attribuable à une chute des dépenses mondiales des touristes d’environ 3000 milliards de dollars, ainsi qu'à la réduction concomitante des voyages en avion et de l'utilisation de véhicules privés. Les dépenses associées à ces deux composantes ont diminué de 50 % en un an.

Le transport aérien bat tous les records

Les dernières estimations fournies par l'Association du transport aérien international (IATA) montrent que le secteur aérien a largement retrouvé son dynamisme depuis la pandémie. En 2024, il a accueilli plus de 4,89 milliards de passagers, générant des résultats cumulés de 965 milliards de dollars et un bénéfice net de 31,5 milliards. Les prévisions pour 2025 anticipent la poursuite de cette croissance rapide, avec 5,2 milliards de passagers attendus et un chiffre d'affaires pour l'ensemble du secteur dépassant, pour la première fois, le seuil symbolique des 1 000 milliards de dollars.

En dépit de ce redressement spectaculaire, une certaine frustration persiste au sein du secteur. En effet, le secteur pourrait se porter encore mieux si les constructeurs livraient les avions commandés. « La plus grande frustration pour les compagnies aériennes réside dans l'incapacité de Boeing, Airbus, GE, Rolls-Royce et Pratt & Whitney à livrer les avions et les pièces détachées nécessaires », soulignait Willie Walsh, directeur de l'IATA. « C’est une situation inacceptable, et rien n'indique que cela s'améliorera en 2025. Cela semble parti pour durer plusieurs années. » O.W.

3️⃣
Disparité entre pays riches et pauvres : Les auteurs ont pu confirmer qu’il existe une forte disparité entre les différentes régions du monde. « La prospérité économique détermine si les gens voyagent et surtout comment ils voyagent », peut-on lire dans l’étude. Si, en moyenne, l’empreinte carbone mondiale par habitant du tourisme en 2019 était de 0,68 t de CO₂, de fortes disparités apparaissent entre les pays les plus riches et ceux aux revenus bien plus faibles. « En utilisant le système de classification des revenus de la Banque mondiale, nous avons constaté que les pays à revenu élevé ont une empreinte de voyages de 1,52 t de CO₂ par habitant, tandis que les pays à faible revenu n'en ont que 0,04 t de CO₂ par habitant », indiquent les chercheurs.

Actuellement, trois pays mènent le bal en matière d'émissions de CO₂ : les États-Unis, la Chine et l’Inde. Fait intéressant, l’analyse mondiale révèle une grande disparité dans l’empreinte carbone du tourisme par habitant, tant entre les pays qu’au sein de ceux-ci. Que ce soit en Chine, en Inde ou aux États-Unis, c’est effectivement la croissance des voyages intérieurs qui contribue le plus à la hausse absolue de leurs émissions.
4️⃣
Transformation technologique insuffisante : La stratégie de tout miser sur les bonnes pratiques (un tourisme plus vert) et sur les nouvelles technologies pour diminuer l’impact du tourisme sur la planète ne semble clairement pas idéale. En effet, si les améliorations technologiques ont permis de baisser légèrement les émissions, elles ne sont pas suffisantes au vu du nombre croissant de touristes et surtout de celui de leurs dépenses.

« Au niveau mondial, la croissance de la consommation touristique est le principal facteur à l'origine des émissions du tourisme », expliquent les auteurs de l’étude. Que ce soit en hébergement, en gastronomie ou en transport, les dépenses touristiques par habitant sont passées de 536 dollars en 2009 à 672 dollars en 2019, ce qui a entraîné une augmentation des émissions du tourisme de 1,4 Gt d'équivalent CO₂.

En conséquence, si l'intensité des émissions s'est améliorée de 0,3 % par an au cours des dix dernières années, la croissance des dépenses touristiques a été de 3,8 % par an. « C’est la confirmation que les améliorations de l'intensité des émissions ont été largement compensées par la croissance de la consommation », regrettent les scientifiques.

Les conclusions de l'étude ne sont pas très positives, tant elles montrent que l’industrie du tourisme a fait très peu de progrès en matière de réduction des émissions. Et après le bref répit du Covid, la courbe est de nouveau fortement ascendante. Les auteurs de l’étude prévoient une augmentation annuelle des émissions de 3 à 4 % selon les tendances actuelles. « Cette évolution représente un défi insurmontable pour le secteur du tourisme, qui doit s’aligner sur l’objectif de limitation du réchauffement climatique à +1,5 °C, tel que défini dans l’Accord de Paris. Or, pour atteindre cet objectif, il faudrait que les 5,2 Gt d’émissions de CO₂ diminuent de 10 % par an d’ici 2050 », indiquent-ils.

Croire qu’il suffirait simplement de pousser tous les pays à réduire leur volume de touristes est illusoire, selon les experts. L’approche est jugée injuste et inéquitable. « Le GIEC suggère qu’une « contribution équitable » à l’atténuation des émissions doit tenir compte de quatre éléments : l’égalité, la responsabilité, la capacité et la rentabilité », peut-on lire dans l’étude. L’urgence concerne naturellement les vingt destinations touristiques les plus émettrices au monde, en particulier les États-Unis, la Chine et l’Inde. « Si les 20 principales destinations avaient réduit leur taux de croissance du tourisme de 1 % par an entre 2009 et 2019 (passant de 5,9 % à 4,9 % de croissance annuelle aux prix courants), elles auraient pu réduire leurs émissions de CO₂ de 0,38 Gt en 2019. Cela aurait représenté à lui seul une réduction de 7 % des émissions mondiales du tourisme. »

En ce qui concerne les services publics et la motorisation touristique privée, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a évalué les alternatives pour atténuer les émissions dans ces deux domaines. L’électrification de la mobilité, dans un réseau électrique entièrement décarboné, offre quelques raisons d’être optimiste.

En revanche, sur le plan du transport aérien, ce dernier demeure le talon d’Achille des émissions mondiales du secteur touristique. Faudrait-il limiter la possibilité de voyager en avion ? La question se pose, car, selon les auteurs de l'étude, « se concentrer sur la limitation de la croissance continue du transport aérien international, plutôt que sur le tourisme intérieur, offrirait une approche plus équitable sur le plan social ». Ces derniers estiment, en tout cas, qu'il est urgent d’établir des mesures ciblées, telles que « les taxes sur le CO₂, les budgets carbone et les obligations en matière de carburants alternatifs ».


Informations sur les auteurs

Auteurs et affiliations

  1. Université du Queensland, Sainte-Lucie, Queensland, AustralieYa-Yen Sun et Futu Faturay
  2. Agence de politique budgétaire, ministère des Finances de l'Indonésie, Jakarta, IndonésieFutu Faturay
  3. ISA, École de physique A28, Université de Sydney, Sydney, NSW, AustralieManfred Lenzen
  4. Hanse-Wissenschaftskolleg, Lehmkuhlenbusch 4, Delmenhorst, AllemagneManfred Lenzen
  5. Institut de recherche de Norvège occidentale, Sogndal, NorvègeStefan Gössling
  6. École de commerce et d'économie, Université Linnaeus, Kalmar, SuèdeStefan Gössling
  7. Université Griffith, 170 Kessels Road, Brisbane, QLD, AustralieJames Higham
  8. Université d'Otago, Dunedin, Nouvelle-ZélandeJames Higham

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