Transition énergétique : l'enjeu complexe des subventions

« Investir dans les énergies renouvelables s’avère plus rentable que de maintenir le système actuel de subventions aux énergies fossiles. Selon l'ONU, la réduction mondiale de la pollution permettrait d’économiser jusqu’à 4 200 milliards de dollars par an d’ici à 2030 », explique Jean-Yves Pidoux.

Transition énergétique : l'enjeu complexe des subventions
Jean-Yves Pidoux, ancien conseiller municipal et directeur des Services industriels de Lausanne.

Dans son « Best of » hebdomadaire du 28 février, SwissPowerShift partageait un extrait de message d’une lectrice reprenant une critique récurrente accusant les énergies renouvelables d’être des parasites de l’État : « Ni l’éolien, ni le solaire ne sont rentables sans de solides subventions, et la Suisse a déjà pris bien des risques en acceptant de subventionner cette énergie peu efficace, non pilotable, et donc très coûteuse. »

Cette question mérite d’être replacée dans un cadre plus large : celui des subventions directes et indirectes que les États allouent aux différentes ressources énergétiques. Une étude du FMI, dont la dernière mise à jour remonte à 2021, permet d’éclairer ce débat.

Le cadre d’analyse des économistes du FMI, qui sont loin d’être des militants écologistes, reste on ne peut plus « mainstream ». Leur diagnostic est d’ailleurs résumé dans le titre même de l’étude : « Les prix de l’énergie ne sont toujours pas corrects : Une mise à jour mondiale et nationale des subventions aux combustibles fossiles » (Still Not Getting Energy Prices Right: A Global and Country Update of Fossil Fuel Subsidies).

En d’autres termes, les collectivités publiques – c’est-à-dire les contribuables – alimentent les revenus d’entreprises qui ne supportent pas l’ensemble des coûts liés à la production énergétique.

Toujours autant de subventions pour les énergies fossiles

Or, selon le FMI, les énergies les plus subventionnées sont les énergies fossiles : en tête, le charbon, suivi du gaz naturel et des divers produits pétroliers. Ces subventions se divisent en deux catégories : explicites et implicites. En 2020, les énergies fossiles ont bénéficié de 5,9 billions de dollars de subventions à l’échelle mondiale, un montant réparti de manière très inégale entre les 191 pays étudiés.

D’après les chercheurs, ces près de 6 000 milliards de dollars annuels représentent 6,8 % du produit intérieur brut mondial et devraient encore augmenter. Seuls 8 % de ces subventions sont directes – ou « explicites ». Même modeste, ce pourcentage équivaut tout de même à près de 500 milliards de dollars par an.

Une autre étude, publiée par l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), souligne que les subventions directes aux énergies fossiles représentent 70 % de l’ensemble des aides étatiques au secteur de l’énergie, contre seulement 20 % pour les énergies renouvelables.

Au fil des éditions, les chercheurs du FMI ont affiné leurs calculs afin d’évaluer la répartition des 92 % de subventions dites implicites. Selon leurs estimations, 42 % de ces subventions correspondent aux coûts liés à la pollution atmosphérique locale, 29 % au réchauffement climatique, et 15 % aux impacts du trafic routier (embouteillages et accidents). Une part plus faible est attribuée aux allégements fiscaux.

L’étape suivante du raisonnement reste, bien sûr, hypothétique. Elle suggère qu’un prix « efficient » des énergies fossiles permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre à un niveau compatible avec une augmentation des températures limitée à 1,5 °C – conformément aux engagements pris par les États lors de la COP21 de Paris en 2015. Selon les auteurs, cela permettrait également d’éviter 900 000 décès liés à la pollution atmosphérique.

Potentiel économique des énergies renouvelables

L’ONU ne dit pas autre chose. Son programme « Action Climat » souligne que les énergies renouvelables constituent un choix économiquement judicieux. Plutôt que de subventionner les énergies fossiles, l’agence recommande d’investir 4 000 milliards de dollars par an jusqu’en 2030 dans les énergies renouvelables – y compris dans les technologies et infrastructures – afin d’atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici à 2050.

Notons au passage que les montants nécessaires à la transition énergétique, bien que limités dans le temps et inférieurs aux subventions accordées aux énergies fossiles, ne reposeront pas uniquement sur des aides publiques. En effet, le coût de production des énergies renouvelables ne cesse de baisser et, selon les contextes nationaux, le besoin de subventions devrait progressivement diminuer.

Toujours selon l'IRENA, en 2010, le solaire photovoltaïque coûtait sept fois plus cher que la source fossile la moins onéreuse, alors qu’en 2022, il est 29 % moins cher que cette même ressource. À terme, les aides devraient être réservées aux régions et aux pays qui en ont le plus besoin, notamment ceux ayant été spoliés pendant des siècles par les puissances coloniales et qui subissent aujourd’hui plus durement les conséquences du changement climatique.

Investir dans les énergies renouvelables s’avère plus rentable que de maintenir le système actuel de subventions aux énergies fossiles. L’ONU estime qu’à l’échelle mondiale, la réduction de la pollution et des effets du changement climatique permettrait d’économiser jusqu’à 4 200 milliards de dollars par an d’ici à 2030. En outre, les technologies basées sur des ressources renouvelables – et gratuites, s’agissant du vent et du soleil – permettent d’établir un système énergétique plus résilient et moins exposé aux fluctuations des marchés.

Des défis avant tout technologiques

La lectrice de SwissPowerShift n’a pas tort de rappeler que les sources d’énergie dépendantes des conditions météorologiques posent de nouveaux défis. Cependant, leur attribuer une prétendue faillite de l’Allemagne et affirmer que la science impose d’y renoncer relève d’une exagération manifeste.

D’un point de vue scientifique, il serait plus pertinent d’établir les faits et de rappeler que les allègements fiscaux accordés aux énergies fossiles profitent aux majors du charbon et du pétrole, au détriment des collectivités, en accroissant leurs bénéfices déjà astronomiques. Il serait également plus rigoureux de préciser que les défis liés aux énergies renouvelables sont surtout technologiques et économiques.

En effet, ces dernières ne pourront garantir la stabilité de l’approvisionnement et des réseaux électriques que si des solutions de stockage à grande échelle et sur le long terme sont mises en place. Or, le moins que l’on puisse dire, c’est que la science se penche activement sur ces enjeux.

Un modèle qui reste imparfait

Il convient, bien sûr, de reconnaître à cette honorable correspondante qu’une part des externalités aujourd’hui imputables aux infrastructures thermiques persistera même en cas de transition énergétique. Par exemple, la fabrication des voitures électriques continuera de peser sur l’empreinte carbone de la planète ; leurs pneus laisseront des résidus nocifs pour la santé des riverains ; et, en cas d’embouteillage, les pertes économiques liées à la congestion routière ne différeront guère de celles occasionnées par les véhicules thermiques.

Il faut également admettre qu’il est irréaliste d’abandonner du jour au lendemain le soutien aux énergies fossiles, aussi dommageables soient-elles : l’ensemble des économies nationales, qu’elles appartiennent à des pays riches ou en développement, repose encore largement sur elles.

Toutefois, une transition qui ne se réduise pas à une simple accumulation – pour reprendre l’argument de Jean-Baptiste Fressoz dans « Sans transition : Une nouvelle histoire de l'énergie » (Paris, 2024) – est essentielle pour l’avenir. Surtout, les dommages globaux engendrés par les sources d’énergie renouvelable resteront incomparablement plus faibles que ceux causés par l’exploitation des énergies fossiles.

Bref, le temps est venu de considérer que les subventions aux énergies renouvelables ne sont pas plus indues – et le sont même considérablement moins – que celles, bien plus substantielles, octroyées aux énergies fossiles…

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