Dans sa « Revue mondiale de l’énergie 2025 », l’Agence internationale de l’énergie (AIE) souligne que la demande énergétique mondiale a progressé de 2,2 % en 2024, une croissance portée en grande partie par le secteur de l’électricité.
« La Suisse se situe au cœur du système électrique européen… sans vraiment en faire partie. Ce paradoxe risque de nous coûter de plus en plus cher », avertit Dominique Rochat, responsable de projets Energie & infrastructures pour la faitière Economiesuisse.
Accord sur l'électricité : un petit pas pour la Suisse, un grand pas pour sa sécurité énergétique
« La Suisse se situe au cœur du système électrique européen… sans vraiment en faire partie. Ce paradoxe risque de nous coûter de plus en plus cher », avertit Dominique Rochat, responsable de projets Energie & infrastructures pour la faitière Economiesuisse.
Il y a la saga Star Wars et, en Suisse, celle du marché de l’électricité. Depuis plus de vingt ans, deux camps s’affrontent sur la manière de gérer « la force électrique » : ceux souhaitant la laisser au pouvoir supposé obscur du marché et ceux convaincus de la bienveillance innée de la sphère publique.
Un nouvel épisode vient de débuter avec la conclusion de l’accord sur l’électricité entre la Suisse et l’Union européenne. Et comme dans Star Wars, les non-initiés peuvent rapidement perdre le fil de l’histoire. Il est donc utile de faire la lumière sur les enjeux centraux de ce débat. Le principal d’entre eux : le maintien à long terme de la sécurité d’approvisionnement en Suisse.
Un marché en grande partie déjà ouvert
La Suisse est-elle le dernier pays européen à résister au marché de l’électricité ? En apparence, oui — mais en apparence seulement. Le peuple avait refusé l’ouverture complète du marché en 2002 et les tentatives du Conseil fédéral pour relancer le dossier ont toutes échoué. Il n’empêche que le marché est déjà largement ouvert.
Tous les clients dont la consommation dépasse un certain seuil (100 MWh) peuvent d’ores et déjà choisir librement leur fournisseur. Deux tiers d’entre eux ont opté pour cette liberté, représentant un total de 80 % de l’électricité consommée par cette catégorie de clients comme l'indique le rapport de l'Elcom pour l'année 2023.
Les quelque 600 distributeurs d’électricité en Suisse — tous en mains publiques — ont manifestement su gérer cette ouverture partielle sans pertes ni fracas. D’ailleurs, eux-mêmes achètent l’essentiel de leur électricité sur le marché, car seuls un tiers d’entre eux en produisent directement. Pour faire court : seuls les petits consommateurs n’ont pas le choix, et restent captifs de leur distributeur local.
Le prix moyen est passé de 21 centimes par kilowattheure en 2020 à 29 centimes actuellement, plaçant la Suisse parmi les pays les plus chers d’Europe.
Clients captifs peu protégés
L’épouvantail d’une hausse des prix pour les petits consommateurs est régulièrement brandi par les opposants à une ouverture complète du marché. Pourtant, les clients captifs en Suisse ont vu leur facture bondir après l’agression de l’Ukraine par la Russie. Le prix moyen est passé de 21 centimes par kilowattheure en 2020 à 29 centimes actuellement, plaçant la Suisse parmi les pays les plus chers d’Europe. L’absence de marché ne les a manifestement pas protégés.
En réalité, les petits consommateurs ne risquent rien d’une ouverture du marché. Tout simplement parce qu’ils auront toujours le choix entre rester dans l’approvisionnement de base de leur fournisseur local, à des conditions contrôlées, ou opter librement pour un autre prestataire.
L’accord négocié avec l’Europe le prévoit et de très nombreux pays de l’UE appliquent déjà ce modèle. Une dose de concurrence profiterait clairement aux clients, car elle inciterait les fournisseurs à améliorer leur service, à développer leurs prestations et tempèrerait la tentation de gonfler les prix pour leurs clients captifs.
La Suisse se situe au cœur du système électrique européen… sans vraiment en faire partie. Ce paradoxe risque de nous coûter de plus en plus cher.
Le risque de rester à l'écart du marché européen
Nos voisins européens ont fait le choix d’interconnecter leurs réseaux électriques via un marché commun — non pas par amour du libéralisme, mais pour renforcer la sécurité d’approvisionnement de tous. Ce choix s’avère plus que judicieux alors qu’une guerre fait rage aux portes de l’Europe et que l’insécurité internationale croît dangereusement. Certains espéraient que le marché ne survivrait pas à la crise énergétique de 2022. C’est le contraire qui s’est produit, avec un ajustement de ses règles pour le rendre plus robuste.
La Suisse se situe au cœur du système électrique européen… sans vraiment en faire partie. Ce paradoxe risque de nous coûter de plus en plus cher. Les gestionnaires du réseau suisse, tout comme les producteurs d’électricité, sont désormais pratiquement exclus du pilotage du réseau européen. Cette situation perturbe le fonctionnement de notre propre réseau et exige des interventions coûteuses pour en maintenir l’équilibre.
Rester à l’écart renchérira et compliquera aussi les importations dont nous avons impérativement besoin en hiver. Nos voisins accordent en effet, dès cette année, la priorité à leurs propres échanges sur leurs réseaux. Par ailleurs, nos producteurs ne peuvent pas pleinement valoriser leur production sur le marché européen.
Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que les acteurs du secteur — AES et Swissgrid en tête — réclament une participation pleine et entière au système électrique européen. Tout bien pesé, cela nécessiterait uniquement des ajustements réglementaires minimes et parfaitement gérables. Ce serait un petit pas pour la Suisse… mais un grand pas pour sa sécurité d’approvisionnement.
Dans sa « Revue mondiale de l’énergie 2025 », l’Agence internationale de l’énergie (AIE) souligne que la demande énergétique mondiale a progressé de 2,2 % en 2024, une croissance portée en grande partie par le secteur de l’électricité.
Les infrastructures permettant d'acheminer l'électricité joueront un rôle essentiel dans le processus de décarbonation. Mais il ne suffira pas de les renforcer : elles devront inclure de nouvelles fonctions et diverses synergies devront être exploitées.
Dans un contexte suisse et international marqué par une actualité intense sur les enjeux énergétiques et climatiques, l’occasion est idéale pour un échange approfondi avec Benoît Revaz, directeur de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN). Entretien.