« C'est la baisse de pouvoir d'achat qui imposera le partage des surfaces »
Entretien avec Marc Muller, fondateur de la société IMPACT LIVING.
Entretien avec Marc Muller, fondateur de la société IMPACT LIVING.
« En transformant les immeubles lors de leur assainissement de manière à réduire les espaces privatifs et augmenter les surfaces mutualisées, il serait possible d'offrir à chaque habitant plus de mètres carrés tout en diminuant la surface globale par habitant », écrivait, dans une précédente opinion, Philippe Thalmann.
Selon le professeur d'économie de l'environnement à l'EPFL, ce modèle peut être économiquement viable. « Si le même bâtiment accueille 40 personnes au lieu de 30, il devient possible d’augmenter les revenus locatifs tout en réduisant le loyer par personne. Le propriétaire rentabilise ainsi l'assainissement et la transformation du bâtiment. Tout le monde est gagnant ! »
Suite aux nombreuses réactions suscitées par cette idée d'une plus grande mutualisation des espaces, nous avons voulu connaître l'opinion des acteurs et experts du secteur immobilier. On en parle cette fois avec Marc Muller, fondateur de la société IMPACT LIVING.
La mutualisation accrue des espaces pourrait-elle être une piste sérieuse pour l’avenir du secteur immobilier en Suisse ?
Oui, c'est aussi l'idée que l'on retrouve derrière le terme de "densification raisonnée". Dans notre pratique quotidienne, nous observons que les bâtiments anciens n'optimisaient pas bien l'espace. Un travail architectural rigoureux, notamment lors de rénovations lourdes, permet fréquemment de dégager des volumes à l’intérieur même des structures existantes : combles mieux aménagés, suppression des citernes à mazout au profit de locaux à vélos, etc.
L'idée ici va plus loin : il s’agit de repenser l’usage collectif de l’espace. Or, dans un contexte post-Covid et marqué par la guerre en Ukraine, on voit au contraire une augmentation de la conflictualité et de l'individualisme. Même si le partage d’espace apparaît techniquement réalisable et pertinent du point de vue de l’efficacité des ressources, les conditions sociales d’un partage volontaire semblent très éloignés à ce jour.
Cette mutualisation des espaces permettrait-elle de consacrer davantage de ressources à la rénovation plutôt qu’à la construction de nouveaux logements – et ainsi combler le retard pris par la Suisse dans la transformation de son parc immobilier ?
Oui, évidemment. Toutefois, dans l'attribution de la main-d'œuvre disponible, on commence à percevoir la tension croissante qu'il peut y avoir entre la construction neuve et la transition énergétique. Ce que l’on oublie souvent, c’est que le parc immobilier est en partie en fin de vie. Dans ce contexte, la rénovation lourde ne relève plus d’un choix, mais devient une obligation — à la fois pour des raisons de sécurité et de salubrité.
Dans de nombreux cas, ce sont ces nécessités structurelles qui déclenchent, presque mécaniquement, les travaux liés à la transition énergétique. Le vrai enjeu risque d'être : insalubrité et forts coûts de l'énergie versus construction neuve. Cela nous mènera sans doute au constat que ceux qui ont les moyens financiers pourront choisir en s'accaparant la main-d'oeuvre disponible, les autres pas.
Depuis des années, on entend cette nécessité de réduire la taille des logements, mais le secteur semble rester sourd à cette demande...
C’est le marché qui tranchera — et, ironiquement, il le fait déjà très bien : les prix ne cessent d'augmenter ! Ainsi, les forts revenus disposeront de grandes surfaces tandis que les plus modestes s’éloignent de leur cadre de vie initial, optent pour la colocation, ou prolongent leur séjour chez leurs parents. Ce mouvement a largement démarré et est visible dans toute l'Europe. C'est la baisse de pouvoir d'achat qui imposera le partage des surfaces.
Dans le secteur de l’habitat, la sobriété énergétique soulève des problématiques spécifiques. Abaisser la température intérieure, par exemple, peut rapidement entraîner des risques d’humidité, de moisissures, voire de salubrité.
Quelles pistes concrètes existent pour réduire l’impact climatique du secteur immobilier suisse ?
Dans le secteur de l’habitat, la sobriété énergétique soulève des problématiques spécifiques. Abaisser la température intérieure, par exemple, peut rapidement entraîner des risques d’humidité, de moisissures, voire de salubrité. Contrairement à la mobilité, où « rouler moins » ne pose pas ce genre de problèmes, réduire la consommation énergétique d’un bâtiment peut affecter directement les conditions de vie.
Ces enjeux ne peuvent être résolus que par des moyens techniques souvent longs à mettre en œuvre et très exigeants en main-d’œuvre. À défaut, il faut envisager une mutualisation des espaces. C'est physique, il n'y a pas d'alternative.
Le secteur immobilier fait actuellement face à une suroffre de bureaux. Ces espaces, une fois réaménagés, ne pourraient-ils pas répondre au besoin croissant de logements intégrant davantage d’espaces mutualisés ?
C’est un bon exemple de ce que recouvre le partage de l’espace. Quelle part du sol — et plus largement de l’espace construit — souhaitons-nous allouer à l’agriculture, au rapatriement de productions décarbonées, au logement, ou encore aux services ?
Avec la généralisation du télétravail et la montée en puissance du commerce en ligne, la demande en bureaux et en surfaces commerciales a considérablement reculé. Il y a là une belle opportunité pour récupérer ces surfaces. Toutefois, pour le faire, cela nécessite souvent le changement des règlements communaux et d'aménagements du territoire. Autrement dit, il s’agit avant tout d’un enjeu politique.