Entre 2017 et 2024, trois votations populaires ont permis d’établir une politique énergétique et climatique fédérale cohérente. Il en résulte une feuille de route fondée sur trois piliers : du côté de la production, un approvisionnement 100 % renouvelable ; du côté de la consommation, la généralisation des économies d’énergie techniquement réalisables, doublée d’une sobriété au niveau des usages. En gardant en tête que le poids carbone de nos importations représente le double du CO2 émis depuis notre territoire, elle représente la trilogie gagnante pour assurer notre approvisionnement en énergie, tout en contribuant à maintenir le réchauffement climatique dans des limites supportables.
En 2021, un premier grain de sable s’était toutefois déjà introduit dans cette mécanique bien agencée: le rejet au mois de juin par le peuple de la loi sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (loi sur le CO2). Cette loi prévoyait des taxes et des subventions destinées à corriger des prix faussés, ainsi qu’une série de mesures permettant d’atteindre les objectifs climatiques fixés.
Son refus a mis en évidence le point faible des stratégies énergétiques et climatiques : l’écart entre des objectifs en apparence consensuels, et les moyens d’y parvenir, qui le sont nettement moins. Un écart que l’on retrouve dans la dissonance entre les proclamations d’urgence climatique et le manque de volonté de s’attaquer aux causes des dérèglements.
Cette tendance se confirme sur le front des énergies renouvelables. Si la part du solaire dans la production indigène d’électricité dépasse désormais les 10 %, celle de l’éolien, elle, stagne à un maigre 0,3 %, freinée par de fortes oppositions locales — savamment orchestrées à l’échelle nationale et renforcées par l’élargissement récent des droits de recours au niveau fédéral.
Quant à l’hydroélectricité, pilier historique de notre production renouvelable, elle doit aujourd’hui composer avec un contexte où nos montagnes subissent un réchauffement nettement supérieur à la moyenne mondiale. L’instabilité croissante de la météo et de la pluviométrie, combinée à la fonte accélérée des glaciers, n’augure rien de bon pour ce qui reste une fierté nationale.
Cette « dissonance cognitive » semble même encore s’amplifier. Récemment, en Valais comme à Berne, des législations progressistes en matière de climat ou de développement du photovoltaïque ont été largement rejetées en votation populaire. Et voilà qu’un parti politique demande désormais que la Suisse se retire, elle aussi, de l’Accord de Paris — une initiative portée par ailleurs par un paysan de montagne du Simmental, soit une personne confrontée au quotidien aux effets du changement climatique…
Presser le citron jusqu’à la dernière goutte pour transformer les ressources naturelles en monnaie sonnante et trébuchante — toujours plus inégalement répartie — semble être la voie choisie.
Une grande fatigue climatique ?
Globalement, les objectifs fixés voici dix ans dans l’Accord de Paris paraissent de moins en moins atteignables. Plus inquiétant encore : on observe une lassitude croissante — voire une aversion — au sein de l’opinion publique. Qu’elle semble lointaine cette époque où l'on assistait à ces imposantes manifestations pour le climat !
Pire encore, on recommence allègrement à opposer économie et écologie — comme si notre prospérité pouvait reposer sur une fragilisation continue des capacités productives de la nature. Presser le citron jusqu’à la dernière goutte pour transformer les ressources naturelles en monnaie sonnante et trébuchante — toujours plus inégalement répartie — semble être la voie choisie. Or, des 9 limites planétaires identifiées il y a une quinzaine d’années, sept ont déjà été franchies ou sont sur le point de l’être.
Le constat laisse songeur : plus les indicateurs signalant l’incapacité croissante de l’environnement à soutenir nos activités passent au rouge, moins on veut le savoir. Il est vrai que les bénéfices potentiels de la transition, notamment en matière d’emploi — dans des secteurs comme les énergies renouvelables, l’économie circulaire, la gestion de l’eau, la mobilité durable ou encore l’agroécologie — ont été ni correctement communiqués, ni véritablement compris.
Alors que certains n’ont que le mot « greenwashing » à la bouche dès qu’une entité publique ou privée leur semble ne pas en faire assez — tout en étant eux-mêmes loin d’adopter un comportement écoresponsable —, d’autres, bien plus nombreux, se fatiguent du sujet. Déboussolés, souvent puissamment influencés par les réseaux (anti)sociaux, ils se tournent vers des formations politiques dont l’un des objectifs assumés est de déconstruire toute politique de durabilité, voire d’effacer la question écologique des mémoires collectives.
La situation est complexe : le « petit peuple » en a assez qu’on lui demande de modifier ses comportements, considérant que « les gros pollueurs ne font rien ». Mais lorsque l’on s’attaque à ces derniers, les mêmes redoutent aussitôt des conséquences sur l’économie et l’emploi…
Dans ce contexte déconcertant, la révolte paysanne du début de l’année 2024 a marqué le point de départ d’un détricotage rapide des composantes qualitatives du contrat implicite entre la société et ses producteurs. Ces derniers étant largement – et à juste titre – subventionnés par de l’argent public et protégés par des mesures étatiques aux frontières, ils devraient faire l’objet d’un débat légitime sur les conditions économiques, écologiques et sociales de la production agricole.
La réalité : silence radio. Il n'est plus question de réduire les cheptels excessifs qui saturent les sols et polluent les eaux. Au contraire, on préfère accélérer la concentration des exploitations. Alors que l’agriculture biologique régresse, on reporte les plans de réduction des pesticides, et l’on accélère la fuite en avant dans un productivisme sans lendemain.
Où s’arrêtera la furie destructrice ?
Dans la foulée, le Pacte vert de l’Union européenne a été vidé de sa substance. Quant à la finance durable, elle se bat pour sa survie — et pas seulement aux États-Unis, pays où le retour à la Conquête de l’Ouest a balayé en quelques mois un demi-siècle de tentatives pour mieux cadrer leurs comportements individuels et collectifs destructeurs.
Suppression de programmes de recherche et d’observation environnementale et climatique — comme s’il suffisait de désactiver le thermomètre pour recouvrer la santé —, promotion forcenée des énergies fossiles, négation pure et simple du changement climatique… tout y passe. Démantèlement des agences environnementales, affaiblissement de la surveillance dans les parcs nationaux : à ce jour, rien de tout cela ne suscite de réaction significative au-delà du cercle restreint des personnes directement concernées.
Dernière transgression en date : la décision du président américain d’autoriser l’exploitation des grands fonds marins, riches en nodules métalliques. Et ce, dans des zones pourtant situées en pleine haute mer, placées sous la gouvernance de l’Autorité internationale des fonds marins — une institution chargée d’élaborer un cadre juridique pour ce type d’activités.
Rien ne semble freiner la furie d’un mouvement qui considère la nature comme taillable et corvéable à merci, alors que tout dans les faits en révèle la fragilité.
Sa secrétaire générale a récemment rappelé que « le principe du patrimoine commun de l’humanité est une pierre angulaire du droit international et un pilier fondamental de la gouvernance des océans, largement défendu par la communauté internationale ». Mais alors qu’une trentaine de pays réclament un moratoire, pour une Amérique aux prises avec ses démons, tout cela va beaucoup trop lentement et on fonce à nouveau dans l’inconnu.
Rien ne semble freiner la furie d’un mouvement qui considère la nature comme taillable et corvéable à merci, alors que tout dans les faits en révèle la fragilité. Les États-Unis, quant à eux, n’entendent pas se plier au droit de la mer — ils ne font d’ailleurs pas partie de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, pas plus que de celle sur la biodiversité.
On parlait d’effondrement écologique ; nous voilà désormais confrontés à un effondrement politique — qui le précède, et l’accélère. À moins que le mouvement MAGA redécouvre qu’aux Etats-Unis près d’un million de personnes gagnent leur vie dans les énergies renouvelables, contre à peine 42 000 dans l’extraction du charbon… etse décide à passer en conséquence du « Make America Great Again » au « Make our Planet Great Again ».